"Le spatial sert à montrer le succès du système chinois, vis-à-vis de l'étranger"
La Chine – et donc le parti communiste chinois – se montre en général assez secrète sur les missions, histoire de maîtriser au maximum la communication.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/f744db9d-4059-49f1-b3ae-ab829b0df5cc.png)
Publié le 16-12-2020 à 09h08 - Mis à jour le 16-12-2020 à 10h58
:focal(1275x945:1285x935)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/TSQ5UFSK3NFOFJ3I7ZC2JKWIWU.jpg)
La mission Chang’e 5, qui doit ramener ce mercredi soir sur Terre des échantillons de roches lunaires, prépare aussi la suite des ambitions spatiales chinoises, le pays ne s’en cache pas : “Le rendez-vous et l’amarrage en orbite, ainsi que l’alunissage, et le décollage depuis la Lune, et enfin le retour, sont des parties importantes d’une mission lunaire habitée. Cela pose les bases techniques pour notre projet futur d’exploration de l’espace lointain et des missions lunaires habitées”, a déclaré aux médias chinois Liu Ran, directeur du programme de l’exploration lunaire à l’agence spatiale chinoise (CNSA).

“Chacune des missions Chang’e (la première date de 2007), permet de valider des blocs technologiques pour la base lunaire. Il y a beaucoup de prouesses techniques dans ce qu’ils font, et cela s’est déroulé sans problème. Si Chang’e 5 réussit, c’est une démonstration que la Chine est un acteur à part entière dans l’exploration spatiale, réservée auparavant aux États-Unis, Russie, Europe, analyse l’expert et blogueur français Jean Deville, spécialiste du spatial chinois et habituellement basé à Shanghai. Normalement, avec Chang’e 7 et 8, il y a d’autres blocs à valider : l’idée est d’explorer le pôle Sud lunaire, là où se trouve de l’eau sous forme de glace. L’eau est très importante pour les taïkonautes et pour produire de l’oxygène et de l’hydrogène, carburants de fusée. L’autre aspect de la mission serait l’usage de ressources in situ. On doit mieux connaître les matériaux lunaires si on veut par exemple les utiliser pour construire des dômes-abris en impression 3D. Même si on sait très peu de choses sur ces deux futures missions.”
Il faut dire que la Chine – et donc le parti communiste chinois – se montre en général assez secrète sur les missions, histoire de maîtriser au maximum la communication. “La Chine a toujours le désir de mettre en avant ses réussites. Donc, ils attendent de voir que cela se passe bien pour donner des informations ! […] Et par exemple, dans le spatial, c’est l’armée qui gère les bases de lancement et la télémétrie. Assister à un lancement est interdit aux étrangers.”
Néanmoins, “le spatial sert à montrer le succès du système chinois, vis-à-vis de l’étranger notamment les États-Unis. Il y a aussi les enjeux territoriaux. Il y a ce consensus en Chine que le partage du monde actuel a lieu au 19e et début du 20e siècles où la Chine était absente, ce qui n’est pas à son avantage. Les États-Unis ont par exemple des bases partout. Ce que disent les Chinois, c’est que le partage lunaire se fait aujourd’hui et il ne faut pas rater le coche, car sinon, ils vont se retrouver dans la même situation qu’il y a un siècle.”

De manière générale, pour une nation, le spatial est aussi un “accélérateur de technologies. Et comme tous les pays, la Chine ne peut plus se passer du spatial : il lui en faut pour les communications, la météo….”, note Vladimir Pletser. Ou encore la défense (satellites espion…). “Quand une nation développe son industrie spatiale, le but numéro un est militaire, le n° deux, c’est commercial, et l’exploration de l’univers est la priorité n° trois”, ajoute Jean Deville.
La conquête spatiale de la Chine a été entamée sous Mao il y a 60 ans. Alors qu’en 1957, l’URSS place en orbite terrestre le Spoutnik, le fondateur de la République populaire de Chine, Mao Tsé-toung, lance un appel à ses citoyens : “nous aussi nous fabriquerons des satellites !” La première étape se concrétise en 1970. Pékin lance son premier satellite à l’aide d’une fusée “Longue Marche”. Sous le credo de “rêve d’espace” de Xi Jinping, le pays vise désormais encore plus grand. Parmi les projets les plus ambitieux : faire atterrir un robot téléguidé sur Mars l’an prochain, construire une grande station spatiale d’ici 2022 ou encore envoyer des Chinois sur la Lune à l’horizon 2030, avant une base lunaire.

Les Chinois ont été exclus d’office du nouveau programme lunaire américain Artemis. Et ils avaient aussi été délibérément écartés de la Station spatiale internationale. “Avoir sa propre station, ses propres astronautes, sa propre base lunaire… La Chine a des ambitions bien annoncées. Est-ce que ça va continuer de manière parallèle ?, interroge Vladimir Pletser. Chacun va-t-il continuer de faire les choses de son côté, avec la Russie, les États-Unis, l’Europe, d’une part et la Chine de l’autre, ou d’ici quelques années, y aura-t-il une approche plus intégrée, par exemple pour une mission habitée vers Mars ? Si l’on s’unit, on y arrivera beaucoup plus rapidement !”
Et la Chine pourrait-elle atteindre ses divers objectifs et dépasser les Occidentaux ? “Oui, sincèrement, et dans certains domaines, c’est déjà le cas. Tout est une question de dynamique, juge Vladimir Pletser. À la Nasa, il y a eu une accélération dans les années 60, dans un contexte de rivalité avec l’URSS. Les budgets étaient quasi illimités. Par après, les budgets n’ont plus suivi, le taux d’expansion a freiné. Du côté chinois, on voit un peu le même type d’accélération qu’à la Nasa dans les années 60. Actuellement, de par cette accélération, les Chinois sont, je ne dirais pas leaders absolus, mais sont bien en avance dans certains domaines (certains domaines en observation de la terre, en microgravité, applications en intrication quantique…). Autre prévision qui n’engage que moi : le programme Artemis, avec Biden, sera sans doute un peu retardé. D’autre part, les Chinois, eux, ont clairement l’ambition de faire une mission lunaire. Il n’est donc pas impossible que le prochain astronaute sur la Lune soit chinois. […] Les Chinois se sont investis dans les technologies spatiales depuis 20 à 30 ans et leur courbe d’apprentissage suit une croissance exponentielle. Les étapes s’enchaînent les unes après les autres (un satellite, un vaisseau habité, une première mini-station spatiale, des missions automatiques en parallèle…), le degré de complication augmente à chaque fois. Cet apprentissage est aussi lié à de nouvelles découvertes, à la maîtrise de nouvelles technologies.”
Dans certains domaines, comme les missions habitées, la Chine dépasse l’Europe qui à leur tour les dépasse pour les satellites, le seul acteur polyvalent étant les États-Unis. Mais on n’assiste pas à une course lunaire, selon Jean Deville. “Parce que si cela part vraiment en course, la Chine sait que les États-Unis vont gagner. Ils ont beaucoup plus d’expérience et un budget phénoménal dédié au spatial. Si le financement suit, la mission Artemis prévoit un atterrissage habité sur la Lune, en 2024, ou disons 2025-2026. Ce n’est pas du tout le calendrier chinois. Le début du programme lunaire chinois date de 2007. La Chine est plutôt dans le temps long. La Lune, c’est l’astre le plus facile à viser, pour parfaire les techniques.”
Auparavant, il y aura de toute façon la station spatiale chinoise dont la fin d’assemblage est prévue en 2022. Une équipe de chercheurs norvégiens et belges, dont Sarah Baatout (SCK-CEN de Mol) et Vladimir Pletser, se préparent déjà à y lancer une expérience, en 2024, pour examiner si la microgravité peut contribuer à traiter le cancer. “La Chine, dans le domaine scientifique en général, surtout en spatial, a quand même une politique d’ouverture aux pays qui veulent coopérer avec elle, juge donc Vladimir Pletser. Elle a passé un accord avec le bureau spatial des Nations Unies, l’Unoosa, qui permet à des chercheurs de pays sans accès aux technologies spatiales (et d’autres) de participer à des recherches organisées par la Chine. La Chine a donné accès à des scientifiques de pays divers (sud-américains, africains, européens…) à sa future station spatiale. Notre recherche a été sélectionnée pour y voler. Je pense que comme la Nasa et l’Esa, la Chine va continuer à inviter des scientifiques de nations ‘amies’à participer à la recherche.”