L’objet interstellaire Oumuamua est-il la relique d’une vie extraterrestre ?
L’ancien astronome de Harvard Avi Loeb assure qu’Oumuamua est une relique d’une civilisation extraterrestre. Cet étrange objet interstellaire a pénétré notre système solaire en 2017. Mais la nature peut aussi l’expliquer.
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Publié le 05-02-2021 à 08h05 - Mis à jour le 06-02-2021 à 09h40
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Mais qu’est donc Oumuamua ? Baptisé du nom d’éclaireur en hawaïen, cet objet a été observé à proximité de la Terre en 2017. Il est considéré comme le premier objet interstellaire à pénétrer notre système solaire. À ce stade, la communauté scientifique n’a pas d’explication définitive sur ce qu’est cet objet venu d’un autre système solaire.
Pour Avi Loeb, ancien directeur du département d’astronomie de l’Université d’Harvard, il n’y a aucun doute. Il s’agit d’une voile solaire, "relique d’une civilisation extraterrestre" ancienne, "probablement disparue". Il défend sa position qui fait polémique dans un nouvel ouvrage, Extraterrestre. Le premier signe d’une vie intelligente (Seuil). Pour lui, il ne s’agit donc pas d’une comète, d’un astéroïde ou d’un autre objet naturel. Oumumua n’a pas fait de dégazage (de queue) contrairement à ce qu’il se passe quand une comète s’évapore en arrivant près du Soleil. Il a aussi une forme étrange de crêpe.
Balise extraterrestre
"En juin 2018, on a découvert que cet objet avait subi une poussée et un changement de trajectoire inattendus, impossibles à relier à l’attraction que le Soleil exerçait sur lui. La physique nous permet en effet de prédire la trajectoire d’un objet lorsqu’il passe à proximité du Soleil. Or, Oumuamua ne s’est pas comporté comme prévu : une force l’en éloignait", explique Avi Loeb à Télérama. "Quand j’ai appris la nouvelle, la seule explication qui m’est venue à l’esprit était que cette poussée était provoquée par la lumière du Soleil rebondissant sur cet objet comme le vent sur une voile, rien à voir donc avec une comète. La lumière du Soleil pousserait bien notre ‘pancake’ et, d’autre part, la force de cette poussée déclinerait, selon une loi de la physique : exactement ce que nous disent les données !"
Mais il y a plus, selon lui : "Statistiquement, si Oumuamua était vraiment un objet naturel perdu dans l’espace, nous n’aurions jamais dû le croiser", vu la rareté de tels objets. "Par ailleurs, lorsqu’il a rencontré notre Soleil, il est passé d’une immobilité relative à un mouvement de fuite. Cela m’a conduit à l’hypothèse que non seulement Oumuamua était un objet artificiel, mais qu’il avait été conçu spécialement pour se trouver au repos dans notre galaxie. Peut-être s’agissait-il d’une sorte de balise, comme une station relais posée là pour transmettre des informations de station en station, ou un panneau de signalisation placé à cet endroit pour aider les vaisseaux spatiaux dans leur navigation." Avi Loeb pense aussi qu’il faudrait faire de l’archéologie spatiale afin de chercher d’anciennes traces de civilisations extraterrestreset consacrer davantage de budgets à rechercher des signes technologiques de vie (intelligente) ailleurs et non seulement biologiques. "Un tabou pèse sur toutes les discussions concernant la vie extraterrestre" dans la communauté scientifique, "qui manque d’imagination".
Voile solaire, astéroïde, comète, planète ?
Une chose est certaine, quoi qu’il soit, Oumuamua est exceptionnel. “C’est la première fois qu’un objet interstellaire était détecté dans notre système solaire”, souligne l’astrophysicienne Yaël Nazé (ULiège), qui consacre une partie de son ouvrage Astronomie de l’étrange (Belin, à paraître le 17 février) à Oumuamua. “Mais c’est vrai que c’est un objet qui a un certain nombre de problèmes ! Si on considère que c’est un astéroïde ou une comète, il y a en effet certains aspects qui ne sont pas extraordinairement clairs. Mais de là à aller dans l’interprétation de Loeb – depuis le début, il pousse à la charette pour cette hypothèse-là – c’est peut-être aller un petit peu vite ! On ne peut pas exclure qu’il s’agit bien d’un astéroïde ou d’une comète. En fait, le grand problème, c’est qu’Oumuamua est passé tellement vite qu’on a eu très très peu de temps pour l’observer. Comme il est petit, on l’a découvert très tard. On l’a découvert en octobre quand il est passé pas loin de la Terre et on a pu travailler jusqu’à janvier, quand il s’est rapproché près du Soleil et il est devenu trop faible.Et maintenant c’est trop tard, il est trop loin, et comme il est petit, on ne le voit plus assez bien.”
Voile solaire et accélération
On connaît cependant plusieurs choses. “On sait qu’il a une trajectoire telle qu’il vient de l’extérieur de notre système solaire, énumère Yaël Nazé.On sait aussi que sa forme est un peu bizarre : une dimension est plus grande que l’autre, mais on ne la connaît pas exactement. Cela peut être un cigare ou une crêpe. On a pu déterminer la forme sur base des variations de lumière, en la reconstruisant via un modèle mathématique, mais on n’a pas de ‘photos’. Et il y a le problème de son accélération : quand il a commencé à s’éloigner du Soleil, bizarrement, il a accéléré par rapport à un objet ‘normal’ uniquement soumis à la gravitation. Il faut donc un effet non gravitationnel. Les comètes peuvent accélérer de cette façon quand elles s’évaporent, mais on n’a pas vu ce ‘dégazage’."
En fait, continue la chercheuse, "on est un peu bloqués parce qu’il faudrait d’autres informations. Et ce n’est pas parce qu’on ne sait pas que ce sont nécessairement les aliens ! En fait, on n’en sait rien… D’ailleurs, on n’est pas restés sans rien faire en ce qui concerne les extraterrestres : on a essayé d’écouter s’il y avait des émissions radio, il n’y a rien eu… Les extraterrestres, c’est une vraie question scientifique. On peut donc, comme Loeb le fait, tester une hypothèse sur une voile solaire, et voir si cela peut marcher. Oui, cela marche, donc pourquoi pas… C’est un moyen de propulsion simple pour un objet de cette forme. Avec la voile solaire (des projets humains misent aussi sur cette technique pour le voyage interstellaire, NdlR), la lumière exerce une pression, pousse cette voile. Mais cela marche surtout près d’une source de lumière. Si on avait pu suivre l’objet plus longtemps, on aurait pu voir, lorsqu'il est loin du Soleil, du côté de Jupiter et Pluton, si son accélération diminue, car il n’y aurait alors plus assez de photons par mètre carré pour le pousser.”
L’hypothèse de la comète
Pour l’astrophysicien Emmanuel Jehin (ULiège), spécialiste des petits corps du système solaire, l’hypothèse d’une petite comète venue d’un autre système solaire “est celle qui colle aujourd’hui le mieux aux observations - comme montré dans une série d’articles publiés sur le sujet - et sans devoir faire intervenir des explications non naturelles”. Les comètes sont de petits corps gelés de quelques centaines de mètres à quelques kilomètres de diamètre, reliquats de la formation des planètes, et composées à moitié de glace (d’eau principalement) et de roches, et provenant des confins du système solaire. Lorsqu’elles se rapprochent du Soleil au cours de leur orbite, la glace fond (elle sublime donc passe de l’état solide à gazeux directement), éjectant dans l’espace des tonnes de gaz et de poussières, créant la fameuse queue. “Oumuamua pourrait contenir des glaces de composition différente de celles des comètes de notre système solaire, suite notamment à son voyage de probablement plusieurs centaines de millions d’années entre les étoiles. La fameuse accélération non gravitationnelle(qui fait dire à Avi Loeb qu’il s’agit d’une “voile stellaire”) peut, elle, s’expliquer par un jet de gaz dirigé vers le Soleil, non dû à des glaces d’eau, mais à la sublimation de glaces d’azote ou de monoxyde de carbone, agissant un peu comme le moteur d’une fusée. Un article plus spéculatif propose aussi la possibilité d’un object composé de glace d’hydrogène, ce qui n’a jamais été observé dans notre système solaire, mais qui rendrait Oumuamua si léger qu’il aurait pu être dévié par la pression de radiation (des photons) du Soleil. On n’a pas observé de queue pour Oumuamua, mais cela peut s’expliquer s’il était très petit et que le dégazage s’est produit tout près du Soleil, quand il n’était pas observable depuis la Terre.”
Par ailleurs, Avi Loeb affirme qu’il était quasi impossible qu’un objet inter-stellaire atteigne notre système solaire et qu’il fallait donc une intention derrière, surtout pour passer aussi près de la Terre. “Faux !, s'exclame Emmanuël Jehin. En 2019, à peine deux ans après, un deuxième objet interstellaire a été découvert, la comète 2I/Borisov, que nous étudions d’ailleurs dans mon équipe. C’est grâce à des télescopes toujours plus performants que ces deux voyageurs interstellaires ont été récemment découverts et d’autres devraient suivre. Et si Oumuamua a été observé si près de la Terre, c’est bien parce qu’il était très petit. S’il était passé plus loin, on ne l’aurait tout simplement pas vu."
La caractéristique peut être la plus particulière est sa forme très allongée ou aplatie. "Elle a été révélée par des variations de luminosité importantes en environ 7 heures au cours de sa rotation sur lui-même (à noter qu’il est très difficile d’expliquer une telle rotation pour une voile solaire). Des objets aplatis avec un rapport de un sur six, on en trouve dans notre système solaire, même si c’est très rare. C’est clairement une information importante pour comprendre le processus de formation de Oumuamua. En effet, tout n'est pas parfaitement compris pour Oumuamua ! Ce qui ouvre des perspectives très excitantes sur la nature de ces objets interstellaires et rend leur étude passionnante, dans la perspective de mieux comprendre la formation et l'évolution des systèmes planétaires de façon plus générale."
Méthode scientifique
Enfin, selon Emmanuel Jehin et Yaël Nazé, il n’est pas non plus exclu que, vu sa forme extrême et sa brillance, Oumuamua soit un résidu de la destruction d’une planète par son passage près de son étoile ou d’une autre planète et qu’il ait été déformé par des forces de marées (gravitationnelles) très importantes.
“En science, il ne faut pas plonger sur l’hypothèse qu’on préfère et rejeter d’emblée toutes les autres. Il faut aussi juger de la probabilité a priori de chaque hypothèse, commente pour sa part l’astronome Michaël Gillon (ULiège). Des planétésimaux (astéroïdes, comètes NdlR) éjectés de leur système solaire, il doit y en avoir des milliers de milliards qui se baladent dans la galaxie. Par contre, même s’il y a des civilisations technologiques avancées dans notre galaxie, je ne pense pas qu’il y ait des milliers de milliards de vaisseaux spatiaux à la dérive. Cela me semble beaucoup moins probable ! Ici, on n’a pas assez de poids, ni en fonction des données ni des a priori, pour dire que c’est forcément un vaisseau spatial. Évidemment, un vaisseau spatial, c’est plus sexy qu’un morceau de rocher !”
Les trois astrophysiciens sont d’ailleurs d’accord pour dire qu’il faut toujours, en science, essayer de trouver des explications d’abord dans le cadre de ce qu’on connaît. Chaque hypothèse mérite cependant d’être passée en revue, celle d’Avi Loeb étant clairement l’hypothèse extrême, voire la plus improbable.
Une civilisation nous observe-t-elle ?
Pour les trois scientifiques liégeois, il est totalement faux que l’astronomie ait posé un tabou sur la recherche de vie extraterrestre, y compris intelligente, comme l'avance Avi Loeb. “Si on était dans les années 1950, il aurait assez raison, parce que la recherche de la vie extraterrestre était vue comme une fantaisie à laquelle la science ne pouvait pas s’attaquer”, détaille Michaël Gillon, connu pour sa recherche de vie sur les exoplanètes (planètes hors de notre système solaire). “Maintenant, ce n’est plus du tout le cas, avec la découverte des exoplanètes. On sait que pratiquement toutes les étoiles ont des planètes, y compris dans la zone habitable, qui pourrait abriter de la vie. On est très ouverts à la possibilité qu’il y ait de la vie ailleurs dans l’Univers. C’est une hypothèse qu’on aimerait tester, en étudier l’atmosphère de ces planètes pour y chercher des biosignatures.Et l’hypothèse d’une vie intelligente, cela ne choque pas non plus. Cette victimisation d’Avi Loeb, prétendant être une sorte de Galilée incompris de ses pairs, est totalement injustifiée. Moi-même, je juge tout à fait possible qu’il y ait des formes de vies plus avancées, plus évoluées technologiquement dans notre Univers, y compris dans notre galaxie.”
Pourquoi ? “Des endroits qui peuvent abriter de l’eau liquide, qui est l’ingrédient essentiel de la vie telle qu’on la connaît, et des molécules organiques complexes, on peut estimer a priori qu’il y en a des dizaines de milliards dans les galaxies. Donc, les conditions de base qui ont conduit sur notre planète à l’apparition de la vie existent ailleurs. Et beaucoup de ces planètes sont plus vieilles que la Terre. Donc, on peut très bien imaginer que la vie est apparue dans des milliards d’autres endroits dans les galaxies, cela n’aurait rien de surprenant. On sait que la vie évolue et s’adapte aux conditions changeantes de l’environnement, et qu’elle converge vers des solutions qui marchent bien. Et l’intelligence, y compris celle très forte, voire technologique, c’est l’une de ces solutions. Elle a permis la survie et l’expansion de notre espèce. C’est une solution qui devrait donc être ‘trouvée’ ailleurs. Comme beaucoup de ces planètes sont plus vieilles que la Terre, on peut très bien imaginer des civilisations qui ont des milliards ou des millions d’années d’avance sur nous. L’idée même qu’une civilisation sait qu’on existe, a déjà exploré l’ensemble de la galaxie et l’observe, cela ne me choque pas. Mais, scientifiquement, cela reste à démontrer !”
Enfin, pour la recherche de signatures technologiques comme le demande Avi Loeb, poursuit Michaël Gillon, il y en a déjà eu, avec Seti, et les radiotélescopes n’ont rien trouvé."Ce qu’on cherche avec les radiotélescopes Seti, c’est une civilisation relativement proche qui tente de nous contacter. Cela semble a priori peu probable. Je pense que c’est bien qu’il y ait des iniatives dans ce sens là, on ne sait jamais ce qu’on peut trouver. Mais on sait que les planètes potentiellement habitables, elles sont là ! On a la capacité technologique d’apprendre des choses sur elle. Il y a beaucoup de résultats qui sont attendus, donc il y a de gros finanements. Tandis que cette recherche de signature technologique, c’est beaucoup plus spéculatif. On ne sait pas ce qu’on cherche non plus vraiment. La technologie d’une civilisation plus avancée que la nôtre peut être très différente. On avance donc dans l’inconnu. C'est donc à mon sens normal que la recherche de traces d’une civilisation intelligente soit moins financée que l'étude des exoplanètes."