L’olivine, le grain dans la machine de la tectonique
Une étude des Universités de Louvain et de Lille jette un nouvel éclairage sur l’origine des séismes et sur le fonctionnement de la tectonique des plaques. Elle s’est intéressée à la déformation de l’olivine, matériau présent dans le manteau terrestre.
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- Publié le 21-03-2021 à 08h06
- Mis à jour le 21-03-2021 à 15h30
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L’olivine doit son nom à sa couleur, vert olive. Ce matériau se trouve jusqu’à 400 km sous nos pieds, dans les profondeurs de la Terre. Mais il arrive que l’on puisse toucher ce tissu minéralogique, car il affleure à la surface, à cause de l’érosion, ou des éruptions volcaniques. "Quand la lave remonte, elle gratte sur les parois des conduits, et ramène des bouts du manteau, explique le minéralogiste Patrick Cordier, nous montrant ce qui ressemble à une grosse pierre, parsemée de points verdâtres. "Ce minéral est un silicate de magnésium et de fer. Le vert olive que l’on peut voir dans la pierre, c’est de l’olivine." Ce matériau est au centre d’une grande étude, le projet TimeMan, subventionnée par le Conseil européen de la recherche, dirigée par l’Université de Lille et à laquelle l’UCLouvain participe.
Dans ce cadre, les scientifiques ont fait une découverte "inattendue", tout juste publiée dans Nature et qui a des implications tant pour la fabrication de matériaux que dans la géologie.
L’olivine se situe dans le manteau, la couche sous la croûte terrestre sur laquelle nous évoluons directement et qui continue jusqu’à 30 km de profondeur. Le manteau est lui une couche de roches qui plonge jusqu’à 2 900 km de profondeur, mais n’est pas homogène. "L’olivine est importante car c’est le minéral qui domine la composition du manteau supérieur, jusqu’à 400 km de profondeur", souligne Patrick Cordier, enseignant-chercheur à l’Université de Lille et auteur de l’étude. "L’olivine est un cristal qui se déforme, comme d’autres cristaux ou des métaux", note Hosni Idrissi, professeur à l’UCLouvain et auteur de l’étude. Un cristal est un solide dont les constituants (atomes, molécules ou ions) sont assemblés de manière régulière selon un motif qui se répète. "La déformation des matériaux, c’est un défi à l’ordre cristallin, reprend Patrick Cordier. S i on a une cagette de pommes, que celles-ci sont entassées en désordre, et que l’on veut les mettre dans un tonneau, c’est facile : il suffit de faire couler. Par contre, si dans votre cagette vous avez bien ordonné les pommes en rangs réguliers et que vous voulez les transvaser, là, ce n’est plus si simple. Autrement dit, l’ordre qui caractérise les cristaux ne semble pas aller très bien avec le fait de devoir se déformer. Un liquide coule, pas de problème… Un cristal, comment fait-il pour se déformer ? On pourrait penser qu’il suffit de détruire l’ordre pour faire couler. Mais la nature a trouvé des moyens plus rusés : elle ne met en désordre que la première rangée de pommes. Elle ne désordonne pas tout, il y a juste des petites lignes de désordre qui préservent, en gros, la cristallinité de l’ensemble et qui permettent la déformation."
Les défauts ne sont pas toujours négatifs
Concrètement, pour l’olivine, "elle se déforme par des mécanismes spécifiques qui impliquent des défauts linéaires (interruption dans l’alignement des atomes) qu’on appelle des dislocations, reprend Hosni Idrissi. Dans les matériaux, les défauts peuvent parfois avoir une connotation négative, parce que cela peut détériorer le fonctionnement des matériaux comme dans les composants électroniques. Mais dans l’automobile, par exemple, c’est grâce aux défauts, aux dislocations, que le métal va se déformer pour protéger l’habitacle. Particularité : dans l’olivine, on n’a pas assez de dislocations pour permettre une déformation homogène. Dans ce cas, il y a d’autres mécanismes qui sont activés. Dans cette étude, on s’est intéressés à un mécanisme précis, qui s’appelle le glissement aux joints de grains. C’est-à-dire lorsque les grains de l’olivine, les cristaux d’olivine, commencent à glisser les uns sur les autres pour accommoder la déformation. Dans cette étude, ce qu’on a réussi à révéler, c’est un mécanisme de joints de grains dans l’olivine, qui implique une couche très fine de verre d’olivine entre les grains cristallins." En clair, grâce à des techniques de microscopie électronique de pointe, les scientifiques ont donc pu découvrir que la déformation se fait au contact entre les grains de la roche, c’est-à-dire entre les cristaux de la roche, en vitrifiant une très fine couche à leur interface. "Nous avons vu une chose à laquelle personne ne s’attendait : sous des pressions très fortes, on arrive à vitrifier une couche entre les grains", souligne Patrick Cordier.
Par ailleurs, complète Hosni Idrissi, le mécanisme de création de cette fine couche de verre opère aussi dans d’autres matériaux. "Or, à l’échelle très fine, les mécanismes qui régissent la déformation et la plasticité sont encore très mal connus, pas que dans le verre d’olivine, aussi dans les verres métalliques, qui ont des applications dans le biomédical, la microélectronique… Tout ce qu’on va découvrir permettra de comprendre le ‘désordre’ d’autres types de verre. Nous n’en sommes qu’au début, cela ouvre la porte à beaucoup d’autres études."