Il y a 60 ans, la double gifle de Youri Gagarine, premier être humain dans l'espace: "La Russie s’est servie de lui comme propagande"
À l’occasion des 60 ans du premier vol spatial de l’Histoire, l’Euro Space Center consacre une exposition à Gagarine, enrichie de pièces sur la conquête spatiale russe, depuis le 2 avril.
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- Publié le 10-04-2021 à 19h02
- Mis à jour le 11-04-2021 à 21h55
Le 12 avril 1961, il y a exactement 60 ans, avait lieu le premier vol dans l’espace d’un être humain, avec la prouesse du Russe Youri Gagarine, également premier homme à tourner en orbite autour de la terre.
Après une orbite de 108 minutes dans son vaisseau Vostok, envoyé par la fusée Semiorka, le Vostok rentrait dans l’atmosphère avec à son bord le cosmonaute qui s’éjectait ensuite avec son parachute à 7 km du sol.
Un exploit. Et une gifle pour les Américains, qui espéraient bien être les premiers à réaliser cette performance. “La première raison de la réussite russe est que les fusées russes de l’époque étaient beaucoup plus puissantes que les américaines. Or, il fallait des fusées puissantes pour atteindre la vitesse de 28 000 km/h, nécessaire pour tourner en orbite”, explique Pierre-Emmanuel Paulis, instructeur à l’Euro Space Center et auteur de nombreux ouvrages sur la conquête spatiale. “Dans le cadre d’une guerre atomique, par exemple, les missiles militaires russes auraient dû décoller du territoire russe et survoler le pôle, le Canada, pour ensuite frapper les Américains. Tandis que les fusées américaines pouvaient, grâce à l’Otan, décoller des bases en Europe ou en Turquie pour atteindre les Russes. La portée de leurs fusées était donc bien plus faible car ils n’avaient pas besoin d’outils si puissants.” En outre, les Américains avaient également accumulé du retard dans la course à l’espace car la Naca (ancêtre de la Nasa) avait confié à l’US Navy et l’US Air Force le soin de construire les fusées en se basant sur des modèles existants. “Et pour des raisons politiques, ils n’ont pas voulu engager tout de suite l’ingénieur Werner von Braun, à l’origine des fusées allemandes V2 et ancien Nazi réfugié aux États-Unis. Mais vu les échecs des premières fusées, ils sont tout de même allés le chercher.”
Les États-Unis ont ensuite largement rattrapé leur retard, avec l’arrivée sur la Lune. “Côté russe, le programme spatial était secret, sans l’élément fédérateur du peuple derrière lui. C’est une des raisons pour laquelle les Russes ne sont jamais arrivés sur la lune. Les États-Unis, eux, avaient besoin du soutien du peuple.” Notons qu’à l’occasion des 60 ans du premier vol spatial de l’Histoire, l’Euro Space Center consacre une exposition à Gagarine, enrichie de pièces sur la conquête spatiale russe, depuis le 2 avril. Le mois d’avril marque d’ailleurs d’autres étapes importantes de la conquête spatiale dont notre ligne du temps détaille les grandes dates ci-contre.
3 octobre 1942: le premier objet humain atteint l'espace

La fusée allemande V2 (V pour Vengeance) est le premier objet humain à atteindre l’espace, durant la deuxième guerre mondiale. “Les livres d’histoires racontent que la première V2 opérationnelle a décollé depuis la Hollande pour s’écraser sur Londres ; mais, en réalité, quelques heures plus tôt, le 8 septembre 1944, une V2 a décollé de Gouvy (Sterpigny exactement) en Belgique. Celle-ci est donc la toute première V2 décollant dans un cadre opérationnel”, signale Pierre-Emmanuel Paulis, auteur de La Conquête de l’espace (Casterman). Un grand nombre d’essais ont eu lieu auparavant, et la première fusée à atteindre l’espace était l’A4 (premier nom de la V2) le 3 octobre 1942. “C’est la première fois qu’un objet humain atteignait 80 km d’altitude, c’est-à-dire “la ligne Von Karmann”. En clair, la limite théorique entre l’atmosphère et l’espace, fixée à l’époque à 80 km. Hitler espérait grâce à la V2 changer le cours de la guerre en détruisant un maximum d’installation, vu sa portée de 350 km. On voit donc ici que le spatial trouve en fait son origine dans le militaire et la guerre.”
4 octobre 1957: le vol du Spoutnik

Dans le contexte de la guerre froide, les Américains avaient commis “l’erreur” d’annoncer en 1957 qu’ils lanceraient un satellite l’année suivante pour célébrer l’année internationale de la géophysique. “Lorsque les Russes ont appris cela, ils se sont dit que c’était l’occasion de jouer un bon tour aux Américains, et ils ont commencé à transformer dans le plus grand secret un missile balistique mis au point par l’ingénieur Sergueï Korolev (considéré comme le fondateur du programme spatial russe) et inspiré de la V2 en un engin capable de satelliser un objet”, remarque Pierre-Emmanuel Paulis. Rapidement, les ingénieurs russes ont fabriqué un satellite, simple boule de 50 cm de diamètre pourvue d’un émetteur radio. “Le but n’était évidemment pas scientifique, mais de faire la nique aux Américains, qui ont été ébahis par cette nouvelle du lancement dans la nuit du 4 au 5 octobre 1957. Ils étaient persuadés qu’ils allaient être les premiers à pouvoir le faire…” L’engin tournera autour de la Terre durant 22 jours. Tous les radios amateurs pouvaient capter son célèbre “Bip-Bip”, ce qui a fortement marqué les Américains.
3 novembre 1957: le premier être vivant dans l'espace

Contrairement aux Américains, qui, à partir de 1961 se font focaliser sur un objectif bien précis (la lune), à chaque fois que les Russes obtenaient une réussite, ils se demandaient : qu’allons-nous faire ensuite ? C’est ainsi que, vu le retentissement mondial du Spoutnik, le Kremlin a ordonné à Korolev, l’ingénieur principal, d’envoyer un être vivant dans l’espace. “Ils vont donc entraîner trois chiennes errantes de la ville de Moscou”, raconte Pierre-Emmanuel Paulis. “Ils ont choisi Laïka, âgée de trois ans. Ils vont transformer un caisson de bombe atomique en caisson pressurisé pour accueillir Laïka.” Pourquoi une chienne ? Pour des raisons d’espace disponible. “Une chienne s’accroupit pour uriner tandis qu’un chien doit lever la patte. Et il n’y avait pas assez de place dans le caisson pour qu’il lève la patte…”
12 avril 1961: le premier être humain dans l'espace
À l’époque, les Américains avaient sélectionné leurs premiers astronautes, et face aux médias, les avaient présentés comme des “héros astronautes” alors qu’aucun n’avait été dans l’espace”, retrace M. Paulis. De leur côté, dans le plus grand secret, les Russes avaient recruté 20 candidats cosmonautes, afin d’arriver dans l’espace avant les États-Unis. Les Américains n’avaient pas pour plan de directement faire tourner en orbite un homme autour de la terre mais de procéder par étapes précautionneuses, en réalisant d’abord un vol balistique, c’est-à-dire accéder à l’espace puis en redescendre, sans atteindre les 28 000 km/h nécessaire pour orbiter. “Le vol de Gagarine était donc une double gifle : non seulement les Russes étaient les premiers dans l’espace mais, en plus, en faisant un tour de terre ! L’exploit était bien plus considérable que ce que les Américains préparaient.”
Étonnant : l’épouse de Gagarine ignorait que son mari était cosmonaute (il s’entraînait dans le secret total) et a été avertie juste quelques jours avant le vol. L’événement a eu impact mondial. “Gagarine est devenu un héros, une légende, un mythe. Et la Russie s’est servie de lui comme propagande.”
25 mai 1961: le discours de Kennedy

Vingt jours après le vol d’Alan Shepard, premier Américain dans l’espace, le président Kennedy monte à la tribune du Congrès pour annoncer que les États-Unis se lancent dans l’aventure lunaire. “Pour battre les Russes, évidemment”, souligne M. Paulis. Dans ce but, les Américains mettent au point le programme “Gemini”. “Ce programme, ainsi que le recrutement d’un deuxième groupe d’astronautes, va permettre de mettre au point les techniques nécessaires au débarquement lunaire.” Dans le cadre de Gemini, qui vise des vols autour de la terre dans une capsule biplace, sont réalisées les premières sorties extra-véhiculaires, les premières rencontres de deux vaisseaux dans l’espace, les premiers amarrages dans l’espace… Des techniques indispensables au voyage lunaire et à l’époque tout à fait méconnues. “Les Américains vont y aller pas à pas, mais c’est à ce moment-là que les Russes vont être largués, car ils n’ont pas les moyens financiers de suivre. Du côté américain, les dollars vont couler à flots. Il y a aussi le contexte politique : Vietnam, Baie des Cochons… Kennedy va vouloir effacer ce cauchemar américain en donnant du rêve et en promettant la lune.”
24 décembre 1968: le premier tour autour de la Lune

Après le drame d’Apollo 1, qui voit la perte de trois astronautes lors d’une répétition au sol en 1967, le programme spatial américain célèbre le succès du premier vol autour de la lune. “Les Américains étaient persuadés que les Russes faisaient bien la course à la Lune, ils ignoraient que leurs rivaux n’en étaient pas capables, raconte Pierre-Emmanuel Paulis. “Les Américains ont même brûlé les étapes suite à une photo mystérieuse prise par un avion-espion au-dessus du cosmodrome de Baïkonour et qui montrait une énorme fusée sur un pas de tir. Ils en ont déduit que les Russes préparaient aussi le voyage vers la lune. Les astronautes d’Apollo 8 sont tombés des nues quand on leur a dit : ‘abandonnez le plan de vol prévu (tourner autour de la Terre), vous allez sur la lune.’ ” En trois mois, le voyage lunaire est mis au point. Le 24 décembre 1968, les astronautes réalisent 10 orbites autour de la lune puis rentrent sur terre.
21 juillet 1969: le premier homme sur la Lune

Le vaisseau spatial emportant le premier équipage à se poser sur la lune est lancé depuis le Centre spatial Kennedy le 16 juillet 1969 par la fusée géante Saturn V développée spécialement. L’équipage se compose de Neil Armstrong, commandant de la mission, de Buzz Aldrin, pilote du module lunaire et de Michael Collins, pilote du module de commande et de service restant en orbite lunaire. Armstrong et Aldrin séjournent 21 heures et 36 minutes à la surface de la Lune et effectuent une sortie extra-véhiculaire de 2 h 31. “C’est l’exploit du siècle passé”, commente Pierre-Emmanuel Paulis. “L’humanité ne sera plus jamais la même après l’homme sur la lune. L’aventure lunaire a permis de développer des nouvelles technologies et bien d’autres choses, dont on n’est pas forcément conscient. Ainsi, l’organisation de la vie sur la Terre ne sera plus identique. Par exemple, le diagramme d’organisation du travail utilisé pour les 400 000 personnes impliquées sur tous les États-Unis (sans Internet !) sert maintenant dans les entreprises multinationales !” Depuis, l’homme n’est plus retourné sur un autre astre. “On n’a plus jamais été aussi loin qu’à cette époque-là. À présent, lorsqu’on va dans l’espace, c’est à 400 km d’altitude. La lune, c’est à 380 000 km de nous.”
19 avril 1971: la première station spatiale russe

Après le succès américain, ayant abandonné l’idée d’aller sur la lune, les Russes se concentrent sur les stations spatiales et les vols de longue durée. Le but : réaliser des expériences scientifiques et étudier le comportement du corps humain en apesanteur. Ce sont sept stations spatiales qui vont se succéder. “La première station Saliout est placée sur orbite le 19 avril 1971 et les cosmonautes qui vont la rejoindre 4 jours plus tard, ne vont pas arriver à s’amarrer. Ils vont devoir redescendre sur terre”, indique M. Paulis. La station Mir prendra ensuite le relais des Saliout. “Les Américains auront aussi leur propre station spatiale, Skylab, à partir de 1973. La navette spatiale américaine aurait dû desservir Skylab, mais vu l’énorme retard pris dans la construction de la navette, Skylab s’est retrouvé inoccupé. La station a fini par dégringoler dans l’atmosphère. Elle est retombée dans l’océan de manière incontrôlée.”
12 avril 1981: la première navette spatiale américaine

Le 12 avril 1981, la première navette spatiale américaine, Columbia, est lancée. “Le but est de rentabiliser l’espace en construisant un engin faisant la navette entre l’orbite basse et la Terre”, explique Pierre-Emmanuel Paulis. “Il n’y avait pas encore de station spatiale à l’époque, donc on parle ici de vols indépendants : la navette tournait autour de la terre, et sa soute était transformée, selon les vols, soit en laboratoire scientifique (c’est ainsi que l’Europe a pu placer un premier labo, Space Lab, qui a accueilli un premier astronaute européen dès le neuvième vol de la navette) soit pour des satellites (les larguer, les ramener ou les réparer).” Mais le projet s’est avéré plus coûteux que prévu. “La maintenance d’une navette entre deux vols coûtait les yeux de la tête. Mais la navette a tout de même effectué 135 vols. En tout, il y a eu cinq navettes construites, donc deux ont malheureusement disparu, avec leur équipage : Columbia à sa rentrée en 2003, et Challenger au décollage en 1986. L’accident de Columbia a sonné le glas des vols de navette. Vu aussi le coût, la Nasa a réalisé qu’il était temps de passer à autre chose.”
20 novembre 1998: début de l'assemblage de la Station Spatiale Internationale

Possédant un programme de navettes, les États-Unis ont logiquement envisagé d’édifier une station spatiale, desservie par navette. Les Américains ont proposé aux Russes, aux Européens, aux Canadiens et aux Japonais, de s’associer pour bâtir la Station spatiale internationale (ISS), située à 400 km d’altitude. Le premier élément est placé dans l’espace en 1998. “L’ISS est la grande leçon de la guerre froide”, note Pierre-Emmanuel Paulis. L’idée est, après la chute de l’URSS en 1993, d’unir les anciens ennemis. “Et financièrement, les États-Unis n’auraient pas pu le faire seuls.” L’objectif est d’apprendre à vivre dans l’espace sur une longue durée, en prévision du long voyage vers Mars. En l’absence de navettes américaines à partir de 2003 (accident de Columbia), les astronautes américains (et les autres) se rendent à l’ISS à bord d’une fusée et d’un module russes, le Soyouz. Et ce, jusqu’au service de la société privée Space X en 2020.
28 avril 2001: le premier touriste de l'espace

Dennis Tito devient, le 28 avril 2001, le premier touriste de l’espace. Pour 20 millions de dollars, payés à l’agence spatiale russe, ce financier américain a réalisé son rêve, après un entraînement à la Cité des étoiles de Moscou. Son vol a duré 7 jours, 22 h et 4 minutes. “Les Américains n’étaient pas du tout d’accord, et avaient interdit à Dennis Tito de pénétrer dans les modules américains. Il est donc resté en permanence dans le module russe”, indique Pierre-Emmanuel Paulis. “Cette possibilité touristique a ensuite été mise entre parenthèses, car, en absence de navette, les Américains voulaient réserver les places à des astronautes.” Mais désormais, le tourisme spatial fait partie intégrante de la stratégie du “New Space”, c’est-à-dire les sociétés privées actives dans le spatial (Space X…). “C’est devenu un élément rentable pour financer la nouvelle approche spatiale. Si les sociétés privées veulent continuer à se développer, elles ont besoin de touristes.” Exemple : Space X lancera à l’automne prochain un équipage formé de seuls touristes. “L’un d’entre eux a payé le voyage pour les quatre, dont un astronaute américain à la retraite chargé du pilotage.”
2024: la première femme et le prochain homme sur la Lune

La date qui occupe actuellement les esprits, c’est 2024 : l’année annoncée (et pas encore reportée, à ce stade) par la Nasa pour “l’arrivée de la première femme et le retour de l’homme sur la Lune.” Si ces deux heureux élus seront bien américains, l’Europe participe à l’effort et sera du voyage plus tard. L’Agence spatiale européenne est en train de co-construire la Gateway, la station qui devrait orbiter autour de la lune. Dès 2022 (mais plusieurs reports ont déjà été enregistrés), dans le cadre de ce programme lunaire Artemis, la méga fusée SLS de la Nasa devrait réaliser son premier vol. Les deux boosters sont désormais assemblés. “Cette fusée est indispensable pour le retour des vols habités vers la lune”, commente M. Paulis. “Elle propulsera la capsule Orion en direction de la Gateway ou de la lune elle-même.” L’idée n’est pas de réaliser un bref séjour lunaire comme en 1969 mais d’y implanter à terme un poste permanent. D’autres grandes puissances visent la lune. Chine et Russie viennent de décider de coopérer dans la réalisation d’une station de recherche lunaire. Cette station pourrait soit être une base en dur installée au pôle sud, soit une station spatiale orbitale. Les autres pays sont aussi invités.
20..: le premier être humain sur Mars

À plus long terme, le grand objectif des agences spatiales reste de poser un être humain sur Mars. “C’est l’objectif du XXIe siècle”, selon le président de la Mars Society Belgium (qui promeut le voyage vers Mars), Pierre-Emmanuel Paulis. À quelle date ? Très difficile de le déterminer. Préalablement, devra être réalisé le projet de présence humaine sur la lune. En effet, “le retour sur la lune et l’établissement d’une base lunaire ont pour but de préparer le voyage vers Mars (expérimenter et innover sur des techniques, s’habituer au long séjour etc., NdlR)”, souligne Pierre-Emmanuel Paulis. Il est probable que les agences spatiales du monde entier participeront ensemble à ce projet martien, de même que les sociétés privées. “L’économie américaine, à elle seule, ne serait pas capable d’assumer un tel voyage.” La société privée Space X est en train de mener des essais pour sa fusée martienne, Starship. Ce 30 mars, un prototype, pour la quatrième fois, a raté son vol.