Mais que fait-il donc de ses journées ? 24 heures dans la vie de Thomas Pesquet sur la station spatiale
L’astronaute français Thomas Pesquet séjourne pour six mois dans l’espace. Mais à quoi passe-t-il donc ses journées ? Elles sont très soigneusement organisées et divisées en tâches précises. Voici son “journal de bord”, dans ses propres mots.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/f744db9d-4059-49f1-b3ae-ab829b0df5cc.png)
- Publié le 09-05-2021 à 09h55
- Mis à jour le 09-05-2021 à 11h56
:focal(1275x858:1285x848)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/2KYY7J3F4VATBMO7EPLDHEM3EA.jpg)
L’astronaute de l’agence spatiale européenne Thomas Pesquet a retrouvé depuis deux semaines “sa deuxième maison” : la station spatiale internationale (ISS). Son séjour durera six mois. Mais que fait-il de toute sa journée dans cette structure de 110 mètres de long et de 400 tonnes, assemblage en forme de croix de différents modules et tournant autour de la Terre, à 400 km au-dessus de nos têtes ?
Ses journées sont très chargées, et structurées entre expériences, entretien, sport, détente, alimentation et sommeil dans cet environnement surchargé et où haut et bas n’ont plus de sens car l’on flotte en permanence. Même le concept d’un jour est en fait une construction abstraite à bord de l’ISS, car vu l’allure où elle se déplace (28000 km/h), on y vit 16 levers et couchers de soleil en 24 heures. Mais les astronautes suivent avec soin nos rythmes circadiens ancestraux. À défaut, ils seraient totalement “jetlagués”…
7h15 : Lever "aux aurores"
Chaque “matin”, les astronautes se réveillent avec leur alarme, puisqu’il n’y a pas de “jour” sur l’ISS. L’horaire “abstrait” est basé sur le temps GMT (Greenwich mean time soit deux heures avant la Belgique). Normalement, le réveil est fixé à 6 heures GMT, car la journée commence officiellement à 7 h 30, avec un contact avec les différents centres de contrôle à travers le monde. L’objectif de la réunion est de vérifier si les centres de contrôle des agences spatiales ont de nouvelles informations à livrer à l’équipage. Pour 7 heures 30, il faut donc a priori être prêt et avoir déjeuné. “L’heure du lever dépend un peu de chacun. Moi, je suis plutôt celui qui ferme les stores à minuit et qui se lève tard le matin, 15 minutes avant que la journée ne commence !, avoue Thomas Pesquet en riant. Il faut savoir qu’on fait des nuits entières. Les gens veillent au centre de contrôle, mais nous, à bord, on ne veille pas. Parfois, on a besoin de se décaler. Cela va être le cas quand des collègues vont rentrer sur Terre, par exemple. Là, il va falloir se lever au milieu de la nuit. On s’adapte, comme dans tous les métiers !”
Matinée : expériences en série

Après la réunion de 7 h 30 qui peut être légèrement retardée ou avancée en fonction des liens satellites, la journée de travail commence réellement. Les astronautes occupent 60 % de leurs temps avec les expériences réalisées à bord et qu’ils doivent mettre en oeuvre. L’Europe possède un laboratoire spécifique dans l’ISS, Columbus. Une expérience qui fascine Thomas Pesquet en particuler ? “Une expérience sur les mini-cerveaux. On se rend compte que le milieu spatial est un modèle accéléré du vieillissement. Mais un vieillissement réversible. Donc, cela fait fantasmer tout le monde, parce que si on pouvait découvrir cette clé, cela aiderait beaucoup de gens sur Terre. Donc, on va essayer de regarder les effets sur le cerveau. On va monter des espèces des assemblages de cellules de cerveau dans des boîtes de Pétri, on observe leur vieillissement, ce qui se passe, puis on les renverra au sol pour les scientifiques. C’est dingue de se dire qu’on va avoir 8 ou 9 mini-cerveaux à bord ! Cela fait un peu science-fiction ! Je trouve que la médecine, c’est qui marche le mieux à bord de la station.” Sur six mois, Thomas participera à 232 expériences. Lors de la préparation au sol, il s’est entraîné à faire fonctionner celles-ci, mais ce sont les chercheurs au sol qui les ont conçues qui analyseront les résultats. Il est aussi parfois le “cobaye”des expériences L’un des buts de l’ISS est de voir comment l’espace affecte l’humain. L’autre but des expériences est de mettre à nu les phénomènes scientifiques sans le facteur pesanteur qui “affecte” les résultats terrestres.
Midi : pause-repas d'une heure

Les astronautes ont droit à une pause d’une heure à la mi-journée pour le repas. Mais à midi, en général, chaque astronaute déjeune de son côté : “chacun attrape l’équivalent spatial d’un sandwich, pour se replonger ensuite dans ses activités”. Les repas ensemble ont lieu plutôt le soir. “La nourriture est soit déshydratée, soit lyophilisée, soit irradiée (pour préserver la durée de consommation, NdlR), elle se présente dans des sachets, et on la fait réchauffer dans un four, et on a même un petit frigo, dans lequel on va mettre nos boissons ou nos desserts.” Les boissons se présentent en sachets pourvus d’un bouchon. “On consomme directement dans l’emballage, avec une paille”, vu l’impesanteur, tandis que les couverts doivent être collés à la table avec du Velcro ! Pour cette mission, Thomas a droit à du risotto, du bœuf bourguignon, des crêpes Suzette, de la tarte aux poires… “A chaque mission européenne, on a de la nourriture du pays de l’astronaute concerné, avec des plats réalisés en fonction de ses goûts personnels. Moi, j’ai la chance qu’il y ait eu un héritage dans les vols habités français : Alain Ducasse a toujours fait la cuisine pour les missions du l’agence spatiale française dans les années 80-90, puis pour les missions de l’Esa. Lors de ma première mission, on avait fait appel à Thierry Marx (chef étoilé, NdlR), qui m’avait fait trois plats. Et là, il a récidivé, tant mieux !” Le traiteur d’Air France, “représentatif du goût à la française” lui a préparé trois autres plats. “Cela fait beaucoup de nourriture française, mes collègues sont très contents ! Ils ont déjà prévu de me subtiliser la nourriture…”
Après-midi : entretien de la station
Si l’astronaute a consacré sa matinée à la science, il passe l’après-midi à des travaux de maintenance ou de logistique. Et inversement. L’ISS nécessite en effet des travaux d’entretien au quotidien. Étonnamment, l’appareil photo sert en premier lieu à cette maintenance. “On prend des photos pour le centre de contrôle, on est leurs yeux et les oreilles. Parce qu’ils veulent voir un matériel qui casse, si une connexion électrique est bien faite ou pas…”, explique Thomas Pesquet. Les astronautes aussi disposent d’un bras robotique piloté via des joysticks depuis l’intérieur et qui permet aussi de faire des réparations à l’extérieur. En outre, “on doit maintenir la station propre en permanence. On passe tout notre samedi matin à la nettoyer ! On désinfecte toutes les surfaces qu’on touche, comme ces rails bleus qui nous permettent de nous tenir. ” Il y a aussi la maintenance plus exceptionnelle : “Quatre sorties extravéhiculaires sont prévues. La tâche la plus importante qui nous attend, c’est d’installer des nouveaux panneaux solaires. Je suis un peu l’électricien de la station, car ma première sortie extravéhiculaire, c’était pour changer le système de batteries... Là, on se rend compte que les panneaux solaires se dégradent un petit peu, que la station grossit et donc qu’on a besoin d’un petit peu plus d’électricité. On est actuellement à 76-80 kilowatts à peu près, donc on voudrait un petit peu plus. D'où cette installation de nouveaux panneaux solaires, déroulants. On installe des énormes tubes de 350 kg, et qui se déroulent. Un système fantastique !”
17-19 heures : séance de sport

Dans l’espace, il faut soulever de la fonte tous les jours, résume Thomas Pesquet, car l’impesanteur conduit à la perte musculaire et osseuse. Après le travail, direction donc la “salle de gym”. Les astronautes disposent de plusieurs machines pour faire du sport sur la station. “La première permet de faire tous les mouvements de musculation du haut du corps, les bras, les cuisses, le dos. On peut monter jusqu’à 272 kilos. Évidemment, on ne va pas tous les jours aussi haut. Elle est isolée du reste de la station par un système complexe d’amortisseurs, pour ne pas transmettre les vibrations au reste de la station. C’est sur cette plateforme qu’on va pouvoir réaliser des développés-couchers, des squats, des lifts et finalement travailler tous les muscles du corps, qui sont affectés par les missions de longue durée en apesanteur.” Une deuxième est un tapis roulant, “attaché au mur”. “On va se servir d’élastiques pour avoir une force qui nous retient à la ceinture et aux épaules, avec un harnais, vers le sol. Et on court, comme ça à la verticale. C’est un peu déconcertant au début, mais on s’y fait assez rapidement et cela nous permet de rester en forme physique, de ne pas perdre trop de masse musculaire et masse osseuse.”
19 heures : petit coup de frais

Le temps réservé au sport, suivi d’un petit moment de toilette s’étale au total sur 2 h 30. Les astronautes ne prennent pas de douches, ils se nettoient à l’aide de lingettes humides. Ils mouillent aussi des sortes de serviettes éponge avec un peu d’eau gardée dans de petits sachets et du savon non rinsable. Mais il y a en revanche bien sûr des toilettes. “Il y a deux dispositifs, pour la petite commission, cela fonctionne par aspiration, un flux d’air qui permet d’aspirer (un tube avec une sorte d’entonnoir au bout, NldR). “Pour la grosse commission”, c’est un siège, où les astronautes doivent s’attacher et qui évacue les déchets via un courant d’air puissant. “Les toilettes spatiales, c’est compliqué. Il y a des panneaux de contrôle, avec des interrupteurs. Et des procédures (on a des procédures pour tout dans la station spatiale !). On a une porte pour s’isoler.” Garder son intimité est important dans l’ISS, “grande coloc confinée”. “On n’a pas besoin de trop expliciter les règles. Dans l'équipage, ce sont des vétérans ; tout le monde a déjà vécu 180 jours à bord de la station. On sait comment ça marche, que c’est important d’avoir son intimité, qu’il faut laisser aux gens un peu de moments où ils sont seuls. Même dans ce grand espace partagé, il faut laisser des petits espaces individuels. Et puis, on fait attention. Cela veut dire que, quand on est celui qui prend par exemple la dernière lingette pour faire sa toilette, il ne s’agit pas de laisser le paquet comme ça, on change, on prépare le prochain pour celui qui suit etc. Ce sont de petites attentions de la vie de tous les jours, rien de très compliqué. Ce n’est pas un entraînement d’astronaute, plutôt un entraînement de personne qui a eu l’occasion de partager sa vie avec d’autres. On s’entend bien, cela se passe très très bien. On rigole beaucoup !"
Après 20 heures : quartier libre
À la fin de la journée de travail, vers 19 h 30, c’est la dernière réunion, avec les centres de contrôles, suivie du dîner et du temps libre. Les astronautes regardent parfois des films ensemble : “On a déjà eu des premières sur l’ISS !”. Ils peuvent aussi s’isoler. “On a une couchette, comme une petite cabine d’un voyage en bateau qui durerait six mois. Le sac de couchage est accroché au mur. Sur les autres murs est accroché un ordinateur portable pour envoyer les mails à la famille et travailler, on peut mettre des photos, par exemple. On a aussi près cette couchette nos affaires de rechange.”
Il est possible de faire des appels privés vers la Terre, avec un système téléphonique connecté par Internet, qui fonctionne par ordinateur et peut appeler n’importe quel numéro sur Terre. Pendant son temps libre, lors de son premier séjour, Thomas Pesquet a aussi pris des milliers de photos de la Terre. “Je passerai un peu de temps à prendre des photos, évidemment. Peut-être un peu moins que la dernière fois. Les photos, c’est en plus : le soir, le week-end… La fois dernière, en deux cents jours, je n’ai vraiment pas eu cinq minutes à moi, parce que je voulais utiliser chaque minute de chaque jour. Du coup, cette fois-ci, peut-être que je prendrai un petit peu plus de temps pour moi, juste pour me faire des souvenirs, plutôt que faire des photos, sourit-il. Mais j’ai encore quelques cibles que je n’ai pas pu prendre en photos la dernière fois, donc, il faut s’attendre à quelques photos et tweets !” A noter que s’il est bien à l’origine des textes et des photos, ce n’est pas lui qui pousse sur le bouton d’envoi. Il envoie tout par mail durant son temps libre aux équipes de communication qui postent sur Twitter. Une façon de gagner du temps sur la mise en forme et le chargement. Etre astronaute, c'est aussi avoir une mission de "représentation" : il s'entretient donc aussi régulièrement en direct depuis l'ISS avec des écoliers, des journalistes ou des personnalités du monde entier.
21 heures 30 : Nuit de sommeil
Le temps de sommeil prévu débute normalement à 21 h 30. “La qualité du sommeil, cela dépend des gens, c’est un peu comme sur Terre. Moi, j’ai la chance de dormir plutôt bien. C’est un peu ma capacité numéro un, de toujours arriver à dormir, sans problème. On est dans notre cabine, accroché à notre sac de couchage. Il y en a que ça dérange beaucoup de dormir en flottant. Il faut s’habituer, en fait. Ce n’est pas évident au début. On n’a pas la sensation de reposer sur son oreiller, on n’a pas la sensation d’avoir une couverture du soi. Mais, moi je trouve cela plutôt agréable et reposant, en fait. On a les muscles complètement détendus.”
Hormis le samedi, jour de ménage, et le dimanche, où les astronautes ont “congé”, ce rythme se répète tous les jours. Quid de l’ennui, avec ce programme pendant six mois ? “Il y a deux moments importants. Le milieu de la mission, tu as l’impression de monter la pente, et une fois que tu es arrivé au milieu, ensuite ça descend. Tu as conscience que le plus dur est fait, j’ai tendance à trouver cela plus facile. Le moment le plus difficile, c’est juste avant d’arriver au milieu ! Le plus difficile aussi, c’est quand tu te rapproches de la fin, on commence à te parler de ton emploi du temps après l’atterrisage etc. Une fois que ce mécanisme-là est enclenché, tu te vois revenir et si à ce moment-là, on te dit que tu restes deux mois de plus, c’est difficile ! Mais si tu sais que tu pars pour huit mois dès le départ, par contre ce n’est pas grave ! Il y a une sorte de contrat avec soi-même, (ou avec l’organisation, je ne sais pas) qu’on part pour une telle période et on garde cela en tête."