Le colosse James Webb, le plus grand et puissant télescope jamais construit, est dans les starting-blocks
La Nasa et l’Esa mettent la dernière main au James Webb, le plus grand et puissant télescope jamais construit. L’envoyer dans l’espace est un défi technique qui pourrait révolutionner nos connaissances sur l’Univers.
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- Publié le 23-06-2021 à 19h48
- Mis à jour le 24-06-2021 à 10h09
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Les astronomes du monde entier trépign(ai)ent d’impatience. Le télescope James Webb devait être à l’origine lancé dans l’espace en… 2007, mais, depuis, les reports - avec une transformation majeure du projet en 2005 - n’ont fait que se succéder. Finalement, cette fois, ce serait la bonne. Le télescope spatial, qui doit révolutionner les connaissances astronomiques, devrait être lancé dans le courant du mois de novembre 2021, selon l’Agence spatiale européenne et son homologue américaine, la Nasa, qui ont récemment fait le point.
Ce projet européano-américain est pharaonique : James Webb sera tout simplement le plus grand et le plus puissant télescope spatial jamais construit. "C’est un véritable ‘moment Apollo’ pour la Nasa et pour le monde entier, affirme ainsi Thomas Zurbuchen , administrateur associé à la direction des missions scientifiques de la Nasa. Après des décennies à avoir travaillé vers ce but, on sera capables de voir l’Univers comme on ne l’a jamais vu auparavant. James Webb sera au centre du programme d’observations en astrophysique pour la prochaine décennie ou plus. On sera capable d’observer l’Univers à 1 ou 2 % de son âge. C’est comme regarder un album photo de l’Univers et voir des images à la source de cet océan cosmique dont nous faisons partie.Nous avons beaucoup de questions sur l’origine des galaxies et des étoiles, et Webb promet de répondre à cela. C’est le genre de grandes questions à l’échelle d’une civilisation qui changent non seulement ce qu’on connaît, mais aussi la façon dont on pense en tant qu’humains… En outre, un des objectifs clés de la Nasa est la recherche de la vie ailleurs que sur Terre. Lla question de l’origine de la vie est l’une de celles que nous avons transportées avec nous pendant des millénaires, et nous commençons à y répondre avec les outils de la science. Webb a un rôle unique dans la poursuite de cet objectif et va nous aider à étudier des exoplanètes qui orbitent autour d’autres étoiles que le Soleil. En analysant leurs orbites et les éléments chimiques qui composent leur atmosphère. En le combinant avec d’autres données, on pourra voir si ces planètes sont dans la zone habitable de ces étoiles, et même si elles montrent des signatures de vie ! Webb va être capable de voir ces planètes, mais aussi les planètes de notre système solaire, à une résolution et dans une gamme spectrale incroyables."
"La communauté astronomique européenne est impatiente. On sait tous que Webb va faire des découvertes incroyables dans tous les domaines de l’astrophysique", complète Antonella Nota, scientifique du projet Webb de l’Esa. On est impatient d’être surpris !"
"Comme si on levait un voile"
James Webb, du nom d’un administrateur de la Nasa, a été construit à partir de ce qu’a été capable de faire le télescope Hubble pendant 31 ans de services en orbite. Mais Webb est doté d’une sensibilité cent fois plus importante. Résultat : les astronomes pourront remonter plus loin dans le temps, jusqu’à "la formation de la première galaxie", selon l’Esa. En effet, plus un télescope est puissant, plus on peut voir loin, et donc plus on peut voir "tôt" car on est alors capable de voir la lumière d’objets émise il y a des milliards d’années et qui arrive à présent à notre œil, vu la vitesse de la lumière.
Particularité : James Webb sera capable de voir en infrarouge, ce qu’Hubble ne faisait que de manière limitée. La différence ? "C’est comme si on levait un voile", assure Antonella Nota,responsable du projet Webb de l’Esa. Là où, par exemple, les télescopes en lumière visible (celle que notre œil peut voir) ne verraient que de la poussière ou un nuage de couleur, en infrarouge, on peut voir à travers la poussière et compter des milliers d’étoiles en train de se former, les mesurer et les identifier.
Concrètement, "nous avons en gros pratiquement tout terminé. Nous sommes sur les rails", assure Thomas Zurbuchen. En mai, James Webb a déployé pour la dernière fois sur Terre son iconique miroir principal de 6,5 mètres de diamètre, fait de 18 segments de béryllium (métal léger) recouvert d’or. Ce qui sera le plus grand miroir jamais déployé dans l’espace sera protégé par un pare-soleil en forme de cerf-volant et de la taille d’un terrain de tennis. Le défi : toutes ces parties devront se faire toutes petites et être repliées pendant le lancement, pour pouvoir être "casées" dans la coiffe de 5 mètres de diamètre et 17 mètres de haut de la fusée. "Et trois à quatre semaines après le lancement nous assisterons à environ 50 déploiements majeurs et 178 mécanismes d’ouverture qui permettront de déployer le télescope pour l’utiliser, souligne Thomas Zurburchen. Chacun de ces déploiements doit fonctionner pour que le télescope marche. On vadonc retenir notre respiration et se ronger les ongles ! Mais prendre ce risque vaut le coup, nous repoussons les limites de ce qu’on est capables de construire. Les retours scientifiques seront incroyables…"
Jusqu’à début décembre
Le télescope sera lancé depuis Kourou à bord d’une fusée Ariane 5 spécialement adaptée pour l’occasion. La campagne de lancement durera au total dix semaines.James Webb sera transporté depuis la Californieoù il se trouve actuellement à la Nasa jusqu’à la Guyane française, en bateau. Le déménagement du télescope et son placement dans un container pour sa petite croisière sont prévus "vers la fin du mois d’août", indique Thomas Zurburchen. "On veut le mettre dans le container avec zéro réserve, donc on est en train de tout checker et double-checker […]. Nous nous accordons tous sur le but suivant : le succès de la mission. Nous ne lancerons pas un jour plus tôt que lorsqu’on est prêts, c’est-à-dire que lorsque le télescope est prêt." Du côté d’Arianespace, une anomalie liée au carénage de l’Ariane 5 avait été détectée en août 2020 et depuis aucune n’a quitté le pas de tir, "mais l’origine du problème a été trouvé, des actions et des mesures correctives ont été prises, les derniers tests ont lieu… Cela ne mettra pas en aucun cas en péril le lancement de James Web", assure Daniel de Chambure, responsable à l’Esa pour Ariane 5.Vu le placement dans le container fin août et les dix semaines nécessaires à la campagne de lancement, le décollage pourrait avoir lieu vers la mi-novembre, a confirmé Thomas Zurburchen. "Cela ne sera pas plus tôt que le 31 octobre, mais nous avons un accord pour une fenêtre de lancement qui s’étend jusqu’à début décembre, indique Beatriz Romero, responsable du projet Webb à Arianespace. Nous identifierons le jour précis de lancement à une date ultérieure."
Les planètes “belges” parmi les cibles principales
Parmi les astrophysiciens impatients figurent au premier rang les découvreurs des planètes Trappist, un groupe de chercheurs belges de l’Université de Liège. Emmenés par Michaël Gillon, ils avaient découvert en 2017 ce système de sept planètes orbitant autour d’une étoile “naine rouge ultrafroide” à plus de 40 années-lumière de la Terre. En réponse à une question de La Libre, Thomas Zurbuchen a confirmé que “oui, en effet, Trappist est une des cibles qui ont déjà été sélectionnées (pour être étudiées par James Webb), tout comme d’autres, d’ailleurs. En plus de Trappist, il y a aussi des cibles qui sont en train d’être analysées en ce moment. En effet, du côté Nasa, le satellite Tess est en opération, et, de façon continue, on est en train d’évaluer quelles sont les meilleures exoplanètes à aller examiner au fur et à mesure qu’on connaîtra mieux les performances réelles de ce télescope une fois dans l’espace”.
Trappist est un “merveilleux système planétaire”, complète Gunther Hasinger, directeur de la science à l’Esa. “Il s’agit de sept planètes tempérées Trappist à la Terre, proches de leur étoile. Nous aussi, de notre côté, nous avons une mission de caractérisation des exoplanètes en cours, Cheops. Cette mission a pu découvrir un autre système, originellement trouvé par Tess, avec six planètes, plus ou moins dans la même configuration que Trappist. Ces planètes sont dans une “harmonie de Laplace”, chantent ensemble sur le même ton.Elles seront clairement dans les ‘planètes d’or’ que James Webb va regarder. Et on espère que l’on va encore en découvrir plus lorsque JWST sera en fonction. Parce que le Graal, c’est au final de trouver une planète tempérée que l’on pourrait examiner pour trouver de la vie.” La distribution du temps d’observation entre scientifiques est soigneusement réfléchie et tout le monde ne peut être choisi. Les observations de JWST se divisent en cycles d’un an. Pour le premier cycle, pour Trappist 1, du temps d’observation est garanti à ceux qui ont participé à la construction du télescope, en “récompense” (les GTO).
Programme ambitieux, mais rejeté
Il existe aussi des programmes (GO) conçus par des astronomes et sélectionnés par des experts sur base de leur excellence scientifique.
“Au niveau personnel, j’ai proposé deux programmes d’observation qui n’ont pas été sélectionnés, indique Michaël Gillon. Il s’agissait de programmes ambitieux s’étalant sur plusieurs cycles, et je pense que les panels ont été frileux d’accepter ce genre de programmes coûteux en temps de télescope alors que les performances de JWST ne sont pas encore connues. C’est bien compréhensible. Ce n’est pas un problème, mon équipe et moi collaborons avec plusieurs programmes GTO. En outre, la plupart des scientifiques impliqués dans le GTO ont rejoint l’initiative communautaire Trappist 1 (mise en place par Michaël Gillon et qui vise à rendre les données prises sur Trappist immédiatement publiques, NdlR) et joueront le jeu de la collaboration ouverte. Enfin, nous aurons aussi accès à la majorité des données GO. Tout cela nous permettra de jouer un rôle actif dans ces premières études de ‘nos’ planètes avec Webb. Le plus important est que JWST observe au maximum Trappist 1, et ce sera bien le cas en cycle 1.” La sélection pour le cycle 2 aura lieu en 2022.