Vénus, the new space to be: les agences spatiales repartent à l'assaut de cette planète méconnue
Après la Lune et Mars, les agences spatiales repartent à l’assaut de Vénus. Les conditions "infernales" qui règnent sur cette planète rendent ces missions délicates, mais potentiellement riches de nombreux enseignements.
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- Publié le 02-07-2021 à 20h09
- Mis à jour le 04-07-2021 à 14h58
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Vénus, ce lieu infernal qui reste toujours mystérieux. La planète pourtant voisine de la Terre n’avait plus fait l’objet de lancement de missions spatiales depuis 15 ans en Europe, voire 30 ans pour la Nasa. Mais celle qui porte le nom de la déesse romaine de l’amour retrouve l’affection des agences spatiales. L’Esa, l'agence spatiale européenne, vient d’annoncer qu’elle comptait retourner vers Vénus. Juste avant, c’était l’agence spatiale américaine qui annonçait son intention de lancer deux sondes vers la “jumelle infernale de la Terre”. Et l’Inde compte aussi aller explorer Vénus, tout comme la Russie.
Milieu hostile
“C’est ahurissant à quel point nous connaissons peu Vénus”, a justifié Tom Wagner, scientifique du programme Découvertes de la Nasa. “C’est l’une des planètes du système solaire pour lesquelles nous manquons de données, confirme Ann Carine Vandaele, chercheuse de l’Institut royal d’aéronomie spatiale de Belgique qui participera à l’élan général vers Vénus. Il y a eu des missions dans le passé, mais pas suffisamment pour qu’on puisse dire : “on a compris Vénus”. Ces missions étaient beaucoup plus ponctuelles. Jusqu’à présent, il n’y avait pas un programme dédié à Vénus alors qu’il y a un programme dédié à Mars. C’est un peu au gré du hasard, du bon vouloir de chacun. Ici, c’est une première étape pour rendre l’exploration de Vénus un peu plus structurée, et également coordonnée. Cela commence à ressembler un peu à ce qui existe pour Mars.” Une des explications de ce manque de données ? Vénus est clairement un milieu hostile : bien que ce soit une planète rocheuse (on peut marcher dessus) comme la Terre, sa température de surface est de quelque 450 degrés centigrades et sa pression y est 92 fois plus élevée que la Terre. En outre, elle est entourée d’épais nuages (couches et sous-couches) sur environ 40 km, faits de gouttelettes… d’acide sulfurique. Tout cela n’est pas vraiment idéal pour faire atterrir une sonde ou un robot comme pour Mars… Placer une sonde en orbite est cependant un peu moins à risque. C’est ce que plusieurs agences spatiales ont décidé de faire. Celles de la Nasa et de l’Esa comporteront des instruments pour mesurer des gaz dans l’atmosphère et des radars pour réaliser des cartographies de la géologie du terrain… L’Inde compte aussi cartographier la surface et le sous-sol vénusiens avec une mission dès 2024, tandis que la Russie évoque une mission pour la fin de la décennie.
Réchauffement climatique, signaux mystérieux, recherche de la vie ailleurs...
La question fondamentale derrière toutes ces missions est d’arriver à comprendre les processus qui font qu’une planète n’est pas une autre, explique Ann Carine Vandaele. “Quand on regarde Vénus, on pourrait s’attendre à ce qu’elle soit très semblable à la Terre. Toutes les planètes de notre système solaire ont été créées à partir des mêmes éléments et au même moment. Au départ, c’étaient des planètes semblables et puis elles ont suivi des parcours différents. Seule la Terre est devenue ce qu’on connaît et a permis que la vie puisse se développer. Il faut comprendre qu’est ce qui a fait qu’un moment dans l’histoire de ces planètes, elles ont bifurqué pour arriver à des différences si importantes aujourd’hui.” Mais en plusde cette question fondamentale, il y a aussi plusieurs raisons très “d’actualité”.
1 Le réchauffement climatique sur Terre
Un des aspects interpellant de Vénus est que ses conditions actuelles (atmosphère dense, température élevée…) résultent de l’effet de serre. L’effet de serre a d’ailleurs été découvert à travers ce qui se passait sur Vénus. “C’est un effet de serre ‘emballé’, souligne Ann Carine Vandaele. Sur Terre, on n’a pas connu cet emballement, contrairement à Vénus. Sur notre planète, il y a des cycles (eau, Co2) qui permettent de faire retourner ces espèces à la surface de la planète. Sur Vénus, il y a au contraire une accumulation dans l’atmosphère, ce qui fait qu’elle est très dense (et composée à environ 95 % de Co2). Pourquoi ? C’est une question importante. D’autant plus maintenant dans le cadre des problématiques de changement climatique que l’on connaît sur Terre. C’est intéressant pour nous de savoir ce qui a pu déclencher les conditions actuelles sur Vénus, l’idée étant d’éviter qu’on arrive à des conditions semblables. Je ne crois pas qu’on connaîtra sur Terre un effet de serre de l’ampleur que l’on connaît sur Vénus, mais ce sont peut-être les mêmes processus à l’origine. Et que l’on pourrait mettre en évidence chez nous, pour éviter que cela n’empire.”
2 De mystérieux signaux
Ce qui a dirigé à nouveau les projecteurs médiatiques sur Vénus, c’est la découverte, par une équipe de chercheurs, de phosphine, un gaz hautement toxique, en septembre 2020. Pour expliquer cette présence étonnante dans l’atmosphère de la planète, l’équipe, parmi plusieurs hypothèses, a évoqué celle de la biosignature (indice chimique de vie produit par un organisme quelconque). Mais le ballon s’est dégonflé depuis : d’autres équipes ont cherché eux aussi des traces de phosphine dans l’atmosphère de Vénus sans en trouver.
Pourrait-il néanmoins y avoir des traces de vie sur ou autour de Vénus ? “C’est une frange de la recherche active, mais qui n’est pas mainstream, observe Ann Carine Vandaele. En fait, on observe Vénus depuis l’espace depuis un certain temps. Et dans nos spectres livrés par nos détecteurs, apparaît une signature que nous n’arrivons pas à comprendre, qu’on appelle “l’absorbeur UV”. On ignore quelle molécule crée cette signature ; cette absorption dans l’UV est pour l’instant inexplicable. Certains font l’hypothèse que ce serait quelque chose lié à une forme de vie située dans les nuages, une bactérie par exemple. Il y a d’ailleurs des études sur Terre pour examiner quelle serait la viabilité d’une bactérie dans une telle atmosphère. Mais il ne faut pas oublier que la chaleur et l’acide sulfurique n’offrent pas un environnement hospitalier, même pour des bactéries !”
Même si dans ces nuages qui entourent Vénus, pression et température sont les mêmes que sur Terre (l’air est cependant irrespirable). Ce qui fait dire à certains, que si l’on colonisait Vénus, les êtres humains ne s’installeraient pas à sa surface, mais séjourneraient dans des habitats flottants dans ces nuages. L’exploration habitée n’est cependant pas encore évoquée par les agences spatiales, même si les trajets seraient plus courts que pour Mars, pour des raisons de mécanique céleste. Quoi qu’il en soit, l’absorbeur UV fera l’objet de l’attention des futures missions. La sonde de la mission américaine Da Vinci + passera à travers les nuages pour en étudier les gaz et prendre des photos avant d’atteindre le sol. L’orbiteur de Da Vinci + sera entre autres doté d’un spectromètre UV afin de suivre cet absorbeur inconnu. Quant à la phosphine, “sur EnVision, on a un spectromètre dans l’infrarouge qui pourrait la détecter, mais la mission n’est pas optimisée pour cela. On essayera, mais ce n’est pas le but”, précise Ann Carine Vandaele.
3 Une aide dans la quête des exoplanètes et de la vie ailleurs
Mais ce qui est vraiment le moteur de ce regain d’intérêt vers Vénus, ce sont les avancées réalisées ces dernières années en matière d’exoplanètes. “Nous entrons dans une nouvelle décennie “Vénus” pour comprendre comment une planète semblable à la terre est devenue une serre chaude. Nos objectifs vont très loin. Il ne s’agit pas seulement de comprendre l’évolution des planètes et de leur habitabilité dans notre système solaire, mais de l’étendre vers les exoplanètes, une aire de recherche émergente très enthousiasmante”, a ainsi déclaré Thomas Zurbuchen, responsable de la science à la Nasa. Ainsi,par exemple, l’instrument fabriqué par l’Institut royal d’aéronomie spatiale de Belgique sous la direction de Ann Carine Vandaele doit mesurer la quantité d’eau, de CO et de CO2 dans différentes couches de l’atmosphère (près du sol et au-dessus des nuages). L’objectif est de détecter des panaches d’eau et de CO afin d’aider à identifier des traces de volcanisme (fumerolles.…) à la surface. “L’idée est d’arriver à comprendre tout ce qui se passe à l’intérieur, car c’est une clé pour comprendre l’évolution de la planète, mais aussi l’évolution du système solaire et la diversité de ses planètes. Pour comprendre une planète et son habitabilité, on doit pouvoir coupler l’atmosphère et ce qui se passe à l’intérieur. On sait par exemple que pour que la vie arrive et se maintienne, il faut de l’eau liquide ou un solvant liquide, mais il y en a aussi de plus surprenantes : on évoque aussi de plus en plus une lune pour stabiliser l’orbite et que les organismes ne subissent pas de variations trop chaotiques, ou la tectonique des plaques.…Or, sur Vénus, il n’y a pas de tectonique.…”
La planète Vénus a probablement aussi accueilli des océans (on parle de 700 millions d’années) avant qu’ils ne disparaissent à cause de l’effet de serre. “Il y a sans doute eu des conditions favorables mais pas assez longtemps pour que la vie se développe”, estime Ann Carine Vandaele.
Mieux étudier ce type de caractéristiques sur Vénus permet d’aider à comprendre les exoplanètes – qui sont elles aussi très diverses – et à préciser leur potentielle capacité à accueillir la vie. “En outre, on se rend compte, à présent qu’on peut observer les plus petites planètes, qu’énormément d’exoplanètes ressemblent à Vénus, indique Mme Vandaele. D’où l’intérêt renouvelé pour celle-ci.”
Pour la Nasa, ces missions permettent littéralement de “redécouvrir la planète”. “Les résultats combinés nous fourniront des informations des nuages dans son ciel, jusqu’aux volcans à sa surface en passant par son intérieur”, assure Tom Wagner. Les missions se succéderont entre environ 2028-2030 (Da Vinci + et Veritas) et 2035 (EnVision).