Dépression, cancer, Covid, pollution, sécheresse.... Et si les champignons sauvaient le monde?
Beaucoup de chercheurs pensent que ces organismes ont des solutions à apporter dans les crises actuelles. Les études se multiplient.
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Publié le 17-09-2021 à 13h06 - Mis à jour le 17-09-2021 à 14h56
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À la quête aux champignons magiques. C'est la mission que s'est donnée le mycologue australien Alastair McTaggart, pour ces prochains mois. Dans un tout nouveau projet de recherche de l'Université du Queensland, il étudiera la première collection légale de champignons hallucinogènes vivant en Australie. Le gouvernement a autorisé l'université à utiliser la psilocybine dans des buts de recherche, d'analyse et d'enseignement. Le but de l'étude ? Identifier des caractéristiques utiles dans la recherche médicale pour les traitements psychédéliques. "En Australie, on estime qu'il y a jusqu'à 20 espèces de champignons hallucinogènes, natifs ou introduits. Ils poussent sur les déjections animales ou dans la couche de feuilles sur les sols forestiers humides, nous ne savons pas combien d'espèces produisent la psilocybine, un composé psychoactif avec des effets similaires au LSD. L'évolution des champignons magiques d'Australie pourrait les avoir menés à différents systèmes de production de la psilocybine, avec des adaptations qui seraient préférables pour un usage en traitement clinique." Car, même si consommer des champignons hallucinogènes de façon non accompagnée est dangereux - "et ils peuvent être confondus avec des champignons toxiques" -, il y a un nouvel intérêt au niveau mondial quant aux propriétés psychoactives des champignons hallucinogènes pour traiter la dépression et le stress post-traumatiques.
Bien que la recherche ait débuté sur ces composés psychédéliques dans les années 50 ou 60, elle avait été stoppée dans les années 70, par "mauvaise presse". "Cet arrêt abrupt s'est fait en réponse à une couverture médiatiques défavorable qui a résulté en une mauvaise perception des risques et à une régulation extrêmement restrictives" assurent les responsables du célèbre hôpital John Hopkins (États-Unis). Le très réputé hôpital américain John Hopkins fut le premier, en 2000, à réinitier la recherche. "Notre publication en 2006 sur la sûreté et les effets positifs à long terme d'une seule dose de psilocybine est largement considérée comme l'étude de référence qui a relancé la recherche dans ce domaine mondialement", expliquent les responsables du centre spécialisé, qui travaille désormais sur les effets de la prise de psilocybine sur l'Alzheimer, la dépression, l'anorexie, l'arrêt du tabac… Dans un tout autre genre, à travers le monde, plusieurs équipes explorent les composés de champignons comme éventuel traitement contre le Sars-Cov-2. De précédentes études ont en effet montré que plusieurs espèces de champignons (dont le classique cèpe) ont des effets antiviraux.
Deux mille études en dix ans sur le cancer
Autre domaine : le cancer. Ces dix dernières années, plus de 2 000 études scientifiques se concentrant sur le cancer et les champignons ont été publiées. Elles s'intéressent surtout aux polypore versicolore, shiitake, reishi et mitake, utilisés en complément de traitements classiques contre le cancer. "Ces champignons sont utilisés depuis des milliers d'années, indique la Dr Santhosshi Narayanan, du Centre de médecine du cancer Anderson de l'Université du Texas. Ils sont souvent utilisés dans les pays asiatiques, pas seulement pour le cancer, mais aussi pour traiter des infections ou d'autres maladies." Certaines études montrent que les champignons stimulent les parties du système immunitaire lié au cancer. "Certains champignons stimulent les composés responsables des suppressions de tumeurs", résume le docteur Santhosshi Narayanan, de l'Université du Texas, qui a analysé ces études publiées, pour son institution. "Et d'autres réduisent les composés inflammatoires, ce qui peut aider les patients cancéreux."
La plupart des recherches montrent un effet positif sur le système immunitaire, mais davantage d'études sont encore nécessaires, souligne-t-elle. Ainsi, une étude, à une certaine dose, montrait… la suppression de la réponse immunitaire. Autre souci : Et les études se limitent principalement au cancer du sein, de la prostate et colorectalles études sont presque toutes réalisées en Asie, car le traitement par champignons y est habituel. On ignore donc si les systèmes immunitaires occidentaux réagiraient de la même façon. C'est d'ailleurs ce que souligne également la Fondation belge contre le cancer, qui ajoute qu'il n'y a pas d'études sur les formes vendues en Europe pour ces compléments alimentaires, qu'elle classe dans la catégorie à "effet positif, à utiliser avec précaution". Plus précisément, il n'existe pas d'études basées sur la forme de bêta-glucanes (longue molécule de sucres présentes en grande concentration dans les champignons asiatiques) qu'on pourrait trouver dans le commerce en Europe. Les produits utilisés dans les études asiatiques le sont en effet sous une forme spécifique : intraveineuse, par exemple."Avant la prise, il faut discuter avec son équipe soignante des pour et des contre et aussi des limitations de la recherche. Les champignons contiennent des composés biologiques puissants, et vont se comporter comme des médicaments, donc il faut les traiter comme tels", avertit le Dr Narayanan.
En effet, le premier champignon utilisé comme médicament dans la médecine classique occidentale remonte… à 1928, avec la découverte, par hasard, de la pénicilline à la suite d'une contamination involontaire d'une culture de bactéries dans une boîte de Pétri. Cette substance active, le premier antibiotique, est issue d'un champignon, le penicilium. Soit la moisissure bleu-vert que l'on retrouve par exemple sur le pain moisi ! "Pour les champignons médicinaux, le grand public pense souvent aux champignons des bois, aux champignons à chapeau, ce qu'on appelle, nous, les macrochampignons. Mais, en fait, ceux qu'on étudie le plus dans un but pharmaceutique, ce sont les moisissures, voire certaines levures, donc des champignons microscopiques", explique Pierre Becker, mycologue à Sciensano, institution qui héberge une collection de 16 000 champignons d'intérêt médical et vétérinaire. "On les trouve dans la nature, généralement dans le sol ou sur la matière végétale en décomposition. Par des échantillons - de sol par exemple -, on va essayer d'isoler la plus grande diversité possible de ces micro-organismes, de différentes espèces. Puis on va faire des cultures de ces champignons, et les tester de manière systématique en laboratoire - des screenings - afin de voir si certains extraits peuvent avoir un potentiel intérêt pharmacologique. Si c'est le cas, on va ensuite vérifier qu'ils ne soient pas toxiques, s'ils démontrent leur efficacité lors d'études cliniques, etc. Même s'il y a un intérêt au départ, très peu aboutiront à un médicament." Parmi les grandes réussites récentes, les statines - issues de diverses "moisissures" comme le penicilium ou l'aspergillus -, qui réduisent le cholestérol, ou encore la cyclosporine issue originellement d'un champignon microscopique extrait du sol norvégien, qui a révolutionné les greffes d'organes, en réduisant le rejet, grâce à ses propriétés immunosuppressives.
Continuer la recherche, vu le potentiel
"Beaucoup d'espèces de champignons produisent des composés divers : des acides aminés, peptides, lactames… Il y a une grande diversité de structures chimiques. Ces composés permettent au champignon, dans la nature, de mieux résister à son environnement (conditions climatiques, attaques d'organismes comme des virus ou des bactéries, NdlR…) ou de mieux l'exploiter : mieux décomposer la matière dont ils se nourrissent, par exemple. Une seule espèce peut produire plusieurs dizaines de composés différents, note Pierre Becker. C'est grâce à cette richesse en composés qu'ils ont un intérêt pour la pharmacie." Mais les macrochampignons produisent également des composés, et les potentialités pharmacologiques sont aussi étudiées. […]
Vu cette grande diversité d'espèces et de substances "et vu qu'on a déjà prouvé par le passé que ces substances peuvent avoir des effets bénéfiques sur différentes maladies et que cela donne accès à des molécules et des médicaments très intéressants, on a intérêt à continuer dans cette optique-là et à rechercher de nouvelles espèces, de nouveaux composés et les tester". Attention cependant aux dérives, qui existent : "Les gens sur Internet qui prétendent guérir tout et n'importe quoi avec quelques champignons ne sont pas à prendre au sérieux. Il faut bien sûr que les études soient rigoureuses et qu'elles soient prouvées par des études cliniques, mais il y a un réel potentiel."
Sans oublier qu’il y existe une dualité dans les champignons : certains macrochampignons peuvent être toxiques et certaines moisissures peuvent causer des infections. "La communauté médicale et le grand public a tendance à sous-estimer les infections d’origine fongique, mais elles sont en augmentation. Ce sont des infections opportunistes, elles vont uniquement affecter des gens affaiblis, par l’âge ou par des maladies ou des traitements qui affaiblissent leur immunité. On le voit par exemple avec l’aspergillose ou le champignon noir chez les malades du Covid. Il y a deux-trois centaines de moisissures et levures sur les milliers qu’on connaît qui sont capables de causer des infections. Un même champignon peut d’ailleurs avoir les deux effets : lors d’un traitement antibiotique ou en cas de gastro-entérite, donner des levures vivantes peut soutenir la flore intestinale (probiotique). Mais un tel traitement est à éviter absolument chez un patient immunosupprimé : ces mêmes levures pourraient causer une infection potentiellement mortelle".