La science pousse sur le champignon : “On est à l’aube de nouvelles découvertes"
Et si les champignons sauvaient le monde ? Si pour le grand public, les champignons se résument à des moisissures ou à une garniture de pizzas, pour les mycologues, ils pourraient contribuer à résoudre de nombreux problèmes "humains". Les recherches se multiplient en ce sens, en particulier dans le cadre de la crise écologique - mais aussi sanitaire.
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Publié le 17-09-2021 à 13h12
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"Les champignons sont des organismes qui intéressent tous les secteurs de notre activité humaine", résume Stéphan Declerck, professeur à la faculté des bioingénieurs de l'UCLouvain. "On les côtoie tous les jours." Dans l'alimentation (fermentation du pain, du vin, de la bière…), le médical… Par exemple, le pain est fermenté par des levures, des champignons microscopiques qui ont cette propriété de faire lever le pain et lui apporter une texture aérée. Ces mêmes levures se retrouvent dans la bière, le vin pour transformer les sucres en alcool. Pour le vin, ce sont le plus souvent des levures qu'on retrouve sur les grappes à l'état naturel et qui jouent un rôle très important sur la typicité des vins. En effet, le terroir d'un vin est souvent associé au climat, au sol, mais aussi à ces micro-organismes qui se développent sur les grappes. On retrouve aussi de nombreux champignons dans l'industrie fromagère. À la surface du camembert, par exemple, il y a un champignon : le Penicillium camenbertii. "De manière générale, les champignons sont très riches en protéines et très pauvres en lipides. Ce sont donc des aliments 'santé'." Enfin, actuellement, beaucoup pensent qu'ils peuvent être une solution dans le cadre de la crise climatique et écologiqueque nous vivons.
Croissance, rendement...
Dans le domaine de l'agronomie, "les plantes que l'on mange tous les jours sont menacées par beaucoup de champignons pathogènes, mais ces mêmes plantes sont également aidées par d'autres champignons, tels les champignons mycorhiziens du genre rhizophagus", précise Stéphan Declerck, qui étudie ce domaine. "Ce sont des champignons qui se développent en partenariat (en symbiose) avec les racines des plantes. Ils leur apportent des éléments nutritifs, ce qui va permettre à celles-ci d'avoir une meilleure croissance et des rendements plus élevés. Cela suscite un intérêt grandissant pour nos cultures : blé, maïs, pommes de terre, plantes potagères… Il y a énormément de programmes européens qui soutiennent cette recherche, car cela permet de réguler les pesticides et fertilisants. En effet, l'agriculture d'aujourd'hui est fortement basée sur les intrants chimiques. Or produire des fertilisants et des pesticides, cela a un coût économique et environnemental très important. Les champignons mycorhiziens ne peuvent pas remplacer les fertilisants et les pesticides, mais leur utilisation devrait permettre de diminuer les quantités et les fréquences d'application de ces molécules. Cela jouera donc un rôle au niveau environnement et production d'aliments moins marqués par les molécules chimiques." Le Canada ou l'Inde le pratiquent déjà à grande échelle. Mais en Europe, et particulièrement en Belgique, ce n'est pas encore une pratique courante car il faut encore peaufiner la technique afin que les micro-organismes fonctionnent dans tous milieux et à tout moment. Des essais sont menés, soutenus par la Wallonie, dans le Brabant wallon et à Libramont.
Par ailleurs, dans le cadre du changement climatique, nous connaissons des périodes de sécheresse plus longues et plus intenses. "Ces champignons mycorhiziens ont la particularité étonnante d'être capables de prélever l'eau dans les sols à des endroits inaccessibles aux racines et à des teneurs particulièrement faibles, en dessous desquels les racines ne peuvent plus prélever. Ces champignons vont donc permettre aux plantes de résister plus longtemps et à des intensités plus importantes de sécheresse dans les sols." Ces champignons peuvent donc jouer un rôle important pour diminuer les stress liés au changement climatique. Ces recherches sont réalisées avec la Commission européenne, et une trentaine de partenaires européens. Les tests ont lieu notamment dans le Sud de l'Europe, en Italie, où les périodes de sécheresse peuvent être particulièrement marquées.
Outils inédits
En outre, dans le cadre de "la mycoremédiation", les champignons sont déjà utilisés pour dépolluer. "Cela concerne notamment la pollution par les métaux lourds et par les composés organiques. Il existe des champignons qui sont capables de dégrader ces molécules lourdes (hydrocarbures…), de les décomposer en plus petites molécules, qui peuvent alors être plus rapidement dégradées par d'autres organismes comme les bactéries." Certains champignons produisent aussi des enzymes qui peuvent détoxifier les colorants textiles. "On a déjà à disposition ce type d'enzymes, notamment les lacasses, isolés de champignons des forêts tropicales. On fait de la production d'enzymes par les champignons et on les utilise ensuite pour dégrader les polluants."
Et de souligner : "Les outils dont on dispose aujourd'hui nous permettent d'explorer la diversité des micro-organismes en général, et des champignons en particulier, avec une précision jamais atteinte jusqu'ici. Aujourd'hui, en termes de micro-organismes, on connaît 1 à 3 % de la biodiversité. Or, avec cela, on a découvert bon nombre d'antibiotiques comme la pénicilline,ou encore la cyclosporine… Tous ces micro-organismes qui donnent tant de services à l'humanité ! Si on met de l'énergie pour découvrir les 97 % restants, imaginez ce qui se cache dans ce qu'on ne connaît pas encore, en termes de pharmacopée, de propriétés pour l'alimentation humaine de demain, de changement climatique, de protection des plantes. On est aujourd'hui à l'aube de découvrir tout cela, car on a des outils tels que la métagénomique qui nous permettent de traquer et d'identifier ces organismes dans tous les environnements. Et c'est une situation qui va s'accélérer dans les quelques années à venir. On va découvrir de nouvelles choses qui apporteront des solutions à pas mal de problèmes de nos sociétés d'aujourd'hui."
Bémol : la grande majorité des champignons sont non cultivables. Ainsi, les mycorhiziens ne peuvent fructifier sans plantes. "Dans nos régions, il existe un grand nombre de champignons intéressants, mais l’isolation et la production en masse est technologiquement assez compliquée pour nombre d’entre eux"
Notons que, même si on peut trouver des champignons en toutes saisons, la meilleure période pour en trouver en forêt en très grande diversité est la période plus humide et chaude que l’on peut rencontrer fin de l’été et en automne. "Le temps qu’on voit pour le moment, avec des températures de 15-20 degrés, et les quatre semaines à suivre, si le temps se maintient, constituent la bonne période pour aller aux champignons, précise Stéphan Declerck. Dans la forêt, les champignons qui apparaissent autour des arbres sont généralement des "ectomycorhiziens" : bolet, amanite, truffes… Ils s’associent aux arbres et aident ceux-ci à se développer. Ce que vous voyez du champignon- le champignon à chapeau- n’est que la fructification, la partie émergée qui ne représente qu’une toute petite partie du champignon. Le plus grand organisme vivant en effet est un champignon, qui se développe par de fins filaments sous le sol. Il a été découvert en Oregon (États-Unis) et occupe une surface de 900 hectares (1200 terrains de football), et son poids est estimé à 600 tonnes."