L’Europe aura son "satellite sauveur de vies" capable d'anticiper les pluies extrêmes et d'identifier les zones à risques
Prévoir les événements météorologiques extrêmes est un véritable défi. L’agence européenne opérant les satellites météo met celui-ci au cœur de sa stratégie 2030. Elle mise sur de nouveaux satellites qui pourront mieux identifier les zones à risques.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/f744db9d-4059-49f1-b3ae-ab829b0df5cc.png)
Publié le 29-09-2021 à 09h12 - Mis à jour le 29-09-2021 à 09h13
/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/7ZZQFGMOGBGDTJIZY7QFO5F3WQ.jpg)
Protéger la population des phénomènes météo extrêmes présents et à venir. En particulier depuis cet été - qui a vu notamment des inondations dévaster l'Allemagne et la Belgique -, le défi est présent à l'esprit des décideurs politiques, des scientifiques et des services météo. Mais aussi de ceux qui fournissent les informations à la base des prévisions : les opérateurs des satellites météo. "L'été dernier nous a donné un aperçu sinistre et tragique de l'impact sur nos sociétés des phénomènes météorologiques extrêmes que le changement climatique rend de plus en plus probables", affirme ainsi Phil Evans, directeur général d'Eumetsat.
En Europe, c’est à cette organisation intergouvernementale, dont la Belgique est membre, que revient la tâche de fournir en temps réel des données satellitaires aux services météo nationaux. Concrètement, ces images sont utilisées par les météorologues des pays membres pour produire les modèles de prévisions météo à court ou moyen terme.
L'agence européenne de satellites météo a annoncé lundi placer le défi des événements météo extrêmes au cœur de sa nouvelle stratégie d'ici à 2030. "Nous voulons relever le défi qui consiste à fournir des volumes plus importants de données et de meilleure qualité sur le temps et le climat afin de protéger des vies, des activités économiques et des infrastructures", insiste Phil Evans.
La première étape est l'envoi de nouveaux satellites, plus perfectionnés. "Dans la décennie à venir, nous lancerons un satellite par an et le mettrons en état d'opération au service de la communauté météo 24 heures/24, 7 jours/7. C'est un énorme défi", a d'abord indiqué le directeur général. Ces satellites Meteosat de troisième génération et EPS de seconde génération veut s'ajouter à la flotte formée de Sentinelles et autres nombreux satellites déjà au travail. Elle offrira une capacité d'observation européenne et "sans rivale". "L'Europe va complètement renouveler ses infrastructures d'observations spatiales dans les prochaines années. Les nouveaux programmes vont commencer à être lancés l'année prochaine, nous détaille le Belge Paul Counet, responsable de la stratégie à Eumetsat. On change de génération. C'est une nouvelle génération de type d'observations : on va vers des observations beaucoup plus précises, qui répondent aux besoins des météorologues (car on a défini les instruments qui vont voler avec eux). Ainsi, le satellite Meteosat de troisième génération qui observera l'Europe va permettre aux météorologues d'avoir une image de l'entièreté de l'Europe toutes les deux minutes et demie. Cela, ce sera déjà une amélioration majeure par rapport à aujourd'hui. Actuellement, on est plutôt sur toutes les cinq minutes. On va diminuer par deux le temps d'observation. Et le fait d'avoir une image toutes les deux minutes et demie permet de suivre beaucoup mieux des phénomènes météorologiques qui se développent très rapidement. Par exemple, des nuages qui vont exploser en orages." Il sera aussi possible de suivre le cycle de vie complet d'une tempête, depuis l'instabilité initiale de l'atmosphère.
Première mondiale
Deuxième innovation sur ces satellites : pour la première fois au monde volera en orbite géostationnaire un sondeur infrarouge, de manière opérationnelle. "Ce sondeur infrarouge va nous permettre d'obtenir les conditions de l'atmosphère au-dessus de l'Europe de manière très régulière. Et il sera possible d'anticiper des zones où pourraient se développer des phénomènes très rapides : de fortes températures, une forte humidité… À partir de là, il va être possible de dire qu'à tel endroit il y a un vrai risque de tel phénomène. En combinant l'imageur qui regarde les nuages et le sondage infrarouge qui donne l'état de l'atmosphère, les météorologues vont pouvoir identifier la zone à risque, y faire attention, et suivre de manière plus précise le phénomène quand il va se développer rapidement. Meteosat 3e génération, c'est regarder plus souvent et regarder plus en détail l'état de l'atmosphère pour pouvoir a priori identifier les zones à risques. C'est ce que nous allons fournir comme nouvelles information, après c'est le boulot des météorologues.Du satellite Meteosat, on dit que c'est le satellite qui sauve des vies, car il regarde loin et très souvent, et donc on suit de manière très précise l'évolution des phénomènes météo. Le sondeur infrarouge en orbite géostationnaire sera une première mondiale. Le premier satellite MTG sera lancé en décembre 2022, et le deuxième (avec le sondeur) en 2024.À partir de 2024 (un lancement est prévu en 2022 et un second, avec le sondeur, en 2024), on peut donc s'attendre à un saut qualitatif dans les prévisions."
Le volume de données explose
En parallèle à cela, à partir de 2023, seront aussi déployés les satellites polaires Metop de seconde génération. Si Meteosat observe en temps réel et si ses données arrivent sur les écrans des prévisionnistes, Metop, orbitant plus bas (à 800 km d'altitude au lieu de 35 000), observera l'atmosphère et le sol de la Terre de manière plus précise, mais balaye le même point du globe uniquement, deux fois par jour. "Les données de ce satellite polaire sont assimilées dans des modèles numériques de prévision du temps. On s'attend là à ce que la prévision au-delà d'un jour - trois, cinq, sept jours - soit améliorée de manière significative. Car, de nouveau, on va faire voler sur ce satellite des instruments avec une meilleure qualité d'observation ou de nouveaux instruments, pour mieux caractériser l'atmosphère et mieux alimenter ces modèles." L'Europe a investi plus de 7 milliards d'euros dans ces deux nouveaux systèmes d'observations en orbite géostationnaire et polaire.
En termes de volume de données délivrées aux services météo, la croissance sera exponentielle. Eumetsat a donc dû réfléchir à comment mettre à disposition de l'utilisateur des volumes de data bien plus importants et de manière beaucoup plus rapide. Les informations ont donc été déménagées de serveurs vers le cloud, pour permettre aux services météo de les récupérer de manière plus rapide. La vitesse est en effet cruciale. "Un accès plus facile et plus rapide à des données plus précises et en temps réel provenant de ces systèmes contribuera directement aux prévisions réalisées (par les services météo nationaux), leur permettant ainsi de mieux informer et protéger leurs populations. Des vies pourront être sauvées si des alertes précises sur les phénomènes météo extrêmes peuvent être transmises plus rapidement au public et aux autorités", assure Phil Evans.
Le casse-tête des événements localisés
Ces événements météo extrêmes, "dont beaucoup sont très intenses et très localisés", sont pour l'instant le défi principal pour les observations satellitaires. "Les événements météo extrêmes, particulièrement d'intenses convections à petite échelle, c'est un incroyable défi, souligne Phil Evans. Cela défie la science de la prévision à un niveau fondamental. En comparaison, prévoir des larges fronts de dépression à travers l'Europe, c'est relativement simple ! (les vagues de chaleur, par exemple, peuvent aussi être prévues environ deux semaines à l'avance, selon le Centre européen de prévision météo à moyen terme ou ECMWF, NdlR). Plus l'événement extrême est localisé, plus ce sera difficile de le prévoir. Aux États-Unis, par exemple, on est encore limité sur le délai avant l'arrivée de tornades. […] (Même en 2030), je pense qu'on va toujours avoir du mal à prévoir bien à l'avance les événements extrêmes à petite échelle. Une amélioration future est la capacité d'organiser les avertissements et de les retourner aux personnes qui doivent les voir. C'est là que le lien entre les observations satellites disponibles et les services météo locaux se fait, pour mettre les informations pour les prévisions à court terme dans le tuyau très rapidement. Vous ne pourrez jamais prédire fortement à l'avance certains de ces événements extrêmes, donc vous allez devoir atteindre les personnes aussi vite que possible."
Améliorations en vue
De leur côté, les centres de prévisions météo cherchent à augmenter la puissance de calcul de leurs ordinateurs, la complexité des modèles numériques de prévisions, ou encore leur maillage (résolution) afin de capturer les événements à petite échelle. Il faut aussi miser sur les observations au sol. "Tout cela peut améliorer les avertissements en cas d'événements météo sévères", insiste Phil Evans."L e satellite va permettre de préidentifier les zones à risques, rappelle Paul Counet. Dans la décennie, le satellite nous permettra d'avoir une idée de plus en plus précise de la situation initiale qui permet à des événements extrêmes de se développer et cela permettra aux prévisionnistes d'identifier la zone (et suivre l'évolution) de manière de plus en plus précise. Mais, même en 2030, pour bien suivre ces événements extrêmes et ces événements qui se développent très rapidement, il faudra combiner les observations satellitaires avec d'autres moyens d'observation au sol, d'où l'importance des réseaux radars par exemple. Le satellite va donner l'image de la situation d'un point de vue macro et identifier les zones à risques. Dans la zone à risque, il faudra combiner les informations satellitaires avec les informations au sol. Cela, c'est vraiment le boulot des météorologues. Ce qu'on fait ne va pas remplacer, c'est un des éléments du système d'observations. Par rapport aux politiques, c'est vraiment important.On ne les remplace pas. En Belgique, on a un système de radars assez développé et dense. Il faut maintenir ce système d'opérations au sol. C'est la combinaison des informations qui permettra de caractériser le plus possible en temps réel une situation météo." Eumetsat étudiera aussi la possibilité d'utiliser des constellations de petits satellites, afin d'intégrer plus rapidement les besoins et les avancées technologiques. Car la conception d'un "gros" satellite comme Meteosat prend une quinzaine d'années.
Inondations de la mi-juillet :"Les services météo disposaient de l’information satellitaire"
Alerte. Après qu'une situation météo a été caractérisée grâce à la combinaison des différentes sources d'information, " il y a toute la chaîne de transmission de l'information du service météo vers, par exemple, les services hydrologiques. Une fois que le météorologue a prévu la pluie, il faut que l'hydrologue prévoie la crue, évidemment", souligne Paul Counet, responsable de la stratégie à Eumetsat, l'organisation européenne pour l'exploitation des satellites météorologiques. Les satellites pouvaient-ils prévoir la catastrophe de la mi-juillet qui a touché la Belgique et l'Allemagne ? " Les satellites ne prévoient pas, ils observent.Ils ne peuvent pas anticiper ce qu'il va arriver mais observent ce qui est en train de se passer. Et les observations ont été faites par les satellites et délivrées en temps réel. Les services météorologiques en Europe disposaient de l'information satellitaire. Avec les modèles numériques de prévision du temps, les météorologues étaient informés plusieurs jours à l'avance qu'une zone de pluie intense arrivait, sur la Belgique et plutôt au sud. Au moment de la crise même, ils avaient les images qui arrivaient toutes les cinq minutes et qui montraient comment la situation évoluait. Mais on n'est pas encore au kilomètre près. Pour avoir ce niveau de résolution, il faut combiner différentes sources. […] Que cela arrive plutôt à Jalhay qu'à Spa, on ne le voit pas du satellite." En outre, "il faut identifier les zones à risques ou les zones où les phénomènes sont en train de se développer très rapidement… Et après, il y avait toute la chaîne de transfert de l'information. Là-dessus, je n'ai aucune lisibilité, car on est beaucoup plus en amont".