"Une action déstabilisatrice", "un scandale": le tir de la Russie contre l’un de ses satellites suscite une double crainte
Un nuage de déchets a poussé les astronautes de l’ISS à se réfugier dans leur navette.
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Publié le 17-11-2021 à 10h51 - Mis à jour le 19-11-2021 à 12h22
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"Irresponsable" (l'Otan), "dangereux" (le Pentagone), "une action déstabilisatrice" et un "scandale" (la Nasa); l'acte de "saccageurs de l'espace" (la Défense française)… Les réactions se sont multipliées mardi après le tir de missile antisatellite effectué la veille par la Russie. Après 24 heures de mutisme, Moscou a admis avoir pulvérisé, au cours d'un tir d'essai depuis la Terre, un de ses satellites en orbite. Le ministère russe de la Défense a reconnu avoir procédé "avec succès" à ce tir contre un engin spatial de type Tselina-D, inactif et en orbite depuis 1982, sans préciser quelle arme avait été employée. Le ministre Sergueï Choïgou a même jugé que ce test avait été "un bijou". Cette action suscite néanmoins dans la communauté internationale une double crainte : celle de la course à l'armement (voir ci-contre) et celle des débris spatiaux.
En effet, selon les États-Unis, le tir de missile antisatellite a généré un "nuage" de débris potentiellement dangereux pour la Station spatiale internationale (ISS) et une foule de satellites. "Ce test a généré plus de 1 500 débris orbitaux traçables, et va probablement générer des centaines de milliers de morceaux plus petits de débris orbitaux", a averti le secrétaire d'ÉtatAntony Blinken. Le Pentagone tente à présent d'identifier la trajectoire des objets, afin de déterminer les menaces de collision potentielles et de réorienter la station si nécessaire. La Défense russe a cependant nié le danger que représenteraient ces débris :"Les États-Unis savent pertinemment que ces fragments ne présenteront aucune menace."
Refuge dans la navette
Selon les calculs de l'Agence spatiale européenne (Esa), pour l'ISS, le risque de collision avec un débris sera pourtant cinq fois plus élevé dans les semaines, voire les mois qui viennent. Et les sept astronautes - dont des Russes - à bord de l'ISS ont dû provisoirement se réfugier dans leurs vaisseaux amarrés (Soyouz et Crew Dragon) à la station pour permettre si nécessaire leur évacuation. "La semaine passée, il y a eu un débris provenant du tir de missile antisatellite chinois de 2007, et la station a dû bouger, remarque l'astrophysicienne Yaël Nazé (ULiège). C'est une chose qui arrive régulièrement. Environ une fois par mois, on bouge la station pour éviter un débris. Mais ici, il s'agissait d'un nuage de débris. Ils n'ont pas vraiment eu cette possibilité. L'idée a été de se réfugier dans les navettes, qui permettent de partir rapidement. C'est la première fois qu'ils doivent faire cela pour des débris, et qu'ils sont en mode 'panique'."
"Ils ont eu peur, évidemment"
Lundi, la seule chose à faire, "c'était de croiser les doigts et de les mettre à l'abri dans leurs capsules respectives, confirme Didier Schmitt, de l'Esa. Certains objets sont passés à moins d'un kilomètre ! Une fois que la station avait fait un tour de la Terre et que le nuage était passé, ils ont pu la regagner. Pour des raisons de différences d'inclinaison par rapport à la Terre, l'ISS ne devrait pas repasser par la même zone que les débris dans l'immédiat. Les astronautes ont eu peur, évidemment ! Ils sont dans une boîte où le moindre trou est potentiellement explosif. Et ils ne contrôlent pas: c'est comme si on vous disait que chez vous il y a un risque potentiel d'effraction ou d'incendie, que pouvez-vous faire." Un débris met en effet en danger la vie des astronautes. Car même un petit objet - encore intraçable aujourd'hui vu sa taille - percutant à l'ISS (à 30 000 km/h) peut percer un trou d'où l'air pourrait s'échapper…
Avec cet événement, "on réalise qu'il y a de plus en plus de problèmes de débris, souligne Yaël Nazé. Bien sûr, on a déjà eu des satellites détruits à cause de débris spatiaux. Cela ne suscite pas beaucoup l'attention générale ; quand ça commence à concerner des êtres humains, on s'énerve plus. Cela va peut-être permettre aux politiques de prendre conscience qu'il est temps de faire des traités contraignants. Actuellement, on suit 30 000 morceaux (typiquement de 10 cm) dans l'orbite basse, dont 4 700 sont des satellites actifs. Avec la mégaconstellation de Starlink, Elon Musk (Space X) déjà l'autorisation pour 12 000 satellites et il en voudrait 42 000. Sans compter les autres mégaconstellations… En août 2021, la moitié des frôlements potentiellement dangereux entre un satellite et un débris et susceptibles de manœuvres d'évitement concernait un satellite Starlink. Le risque de débris peut donc augmenter très fort. Avec un risque d'avalanche comme dans le film Gravity : une collision créant un nuage de débris, qui vont alors impacter des objets qui eux-mêmes créeront des débris. Et l'orbite basse devient invivable : il n'y a plus moyen de mettre une station spatiale ou un satellite en l'air sans qu'il soit détruit."Et cette présence des débris est pérenne : les déchets résultant du tir de missile chinois à 800 km d'altitude mettront un siècle à redescendre complètement. Les agences spatiales s'attaquent au problème. Récemment, le patron de l'Esa expliquait à La Libre comment il voulait une sorte de "neutralité" du déchet spatial : "D'ici 2030, si on amène un satellite en orbite, nous promettons de faire redescendre le même satellite ou un autre."
Mais certains États - au premier rang desquels les États-Unis, d'où l'accusation "d'hypocrisie" par la Russie - renâclent à signer des règlements contraignants, relève Yaël Nazé. En effet, des patrons du new space américain comme Jeff Bezos (Blue Origin) et Elon Musk (Space X) y sont opposés.