Des manipulations sur les virus pathogènes remises en question: "Mieux vaut interdire ces approches"
Il est établi que le laboratoire de virologie de Wuhan s’est livré à des recherches dangereuses sur les virus. Que le Covid soit une conséquence ou non de ces travaux, des voix s’élèvent pour réclamer l’encadrement éthique de certaines pratiques.
Publié le 07-12-2021 à 13h47
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Il est possible que le Sars-Cov-2 soit issu d’une manipulation en laboratoire qui a mal tourné. Que cette hypothèse s’avère ou non, la crise du Covid-19 a mis en lumière les dangers de la virologie moderne. D’un côté, des scientifiques n’hésitent pas à rendre plus dangereux des virus potentiellement pandémiques en leur faisant acquérir de nouvelles caractéristiques dans des recherches dites "de gain de fonction". De l’autre, des chercheurs sont capables de synthétiser en laboratoire n’importe quel virus connu. Aussi, de plus en plus de voix s’élèvent pour encadrer ce champ de recherche à l’international.
Après notamment le virologue Simon Wain-Hobson, l’épidémiologiste Antoine Flahault ou encore Peter Hale, fondateur de la Foundation for Vaccine Research, c’est au tour de Patrick Berche, microbiologiste et ancien directeur de l’Institut Pasteur de Lille, d’appeler à un sursaut des institutions.
"Certains scientifiques croient qu'il est bon d'essayer d'anticiper ce qui peut se passer. Et donc, ils veulent manipuler des pathogènes potentiels pour les rendre encore plus dangereux afin de comprendre les mécanismes de l'émergence des virus naturels. […] Mieux vaut interdire ces approches car la nature a plus d'imagination que nous", explique-t-il.
En quoi consistent les études en gain de fonction ?
Il s’agit d’études tendant à modifier les fonctions d’un micro-organisme, par exemple en le rendant plus résistant à l’acidité ou à la température, ou en lui conférant une propriété nouvelle. Ces études peuvent améliorer notre connaissance des agents pathogènes mais doivent être très encadrées et contrôlées, car elles peuvent déboucher sur des gains de fonction dangereux, par exemple en conférant à une bactérie ou un virus une plus grande contagiosité ou une plus grande virulence. L’exemple récent est celui du virus de la grippe aviaire H5N1. Il s’agit d’une grippe qui tue 60 % des personnes infectées, mais qui, heureusement, ne se transmet pas au sein de l’espèce humaine. Les malades la contractent au contact des volailles infectées mais ils ne sont pas contagieux pour les sujets contacts. En 2011, des chercheurs néerlandais et américains ont rendu ce virus transmissible entre furets, un mammifère donc. Il y a eu une forte réaction d’une grande partie de la communauté scientifique internationale et les États-Unis ont émis un moratoire contre le financement de ce type de recherche en 2014. Moratoire levé par l’administration Trump, sur l’instigation d’Anthony Fauci (le directeur de l’Institut national des allergies et des maladies infectieuses, NdlR), en 2017.
Le Sars-CoV-2 responsable du Covid-19 pourrait-il provenir de ce type de recherches ?
Plus le temps passe sans que l’on trouve un hôte intermédiaire naturel et plus cette hypothèse gagne en crédibilité. Par ailleurs, on sait que l’équipe du Wuhan Institute of Virology a réalisé des études en gain de fonction sur des coronavirus pour les rendre plus contagieux chez l’animal, et donc potentiellement chez l’être humain…
Comment est-il possible d’améliorer la transmissibilité ou l’infectiosité d’un coronavirus ?
Le virus se fixe sur les cellules humaines grâce à sa protéine de spicule. Mais il doit encore pénétrer la cellule. Cette opération se réalise plus facilement si la spicule est coupée à ce moment-là par une molécule appelée furine. La furine est capable de couper des protéines à des endroits très spécifiques appelés sites de clivage de la furine. Donc, les coronavirus présentant un site de clivage de la furine pénètrent plus facilement dans les cellules et sont par conséquent plus infectieux que les autres. Or, on peut dire deux choses avec certitude : l’ajout de sites de clivage de la furine est une technique possible de gain de fonction et le Sars-CoV-2 est issu d’une famille de coronavirus où ce site est rare.
Pourquoi mener de telles expériences ? Cela ressemble à une expérience de savant fou, non ?
Certains scientifiques croient qu’il est bon d’essayer d’anticiper ce qui peut se passer. Et, donc, ils veulent manipuler des pathogènes potentiels pour les rendre encore plus dangereux afin de comprendre les mécanismes de l’émergence des virus naturels. Cette approche se heurte à deux écueils. Ils ne pourront jamais prévoir tout le potentiel naturel d’évolution d’une famille de virus. Et, par ailleurs, les accidents de laboratoire sont moins rares que ce qu’on pourrait croire. Dans le passé, on a vu des scientifiques mourir accidentellement de fièvre virale hémorragique à la suite de mauvaises manipulations en laboratoire de haute sécurité… Mieux vaut interdire ces approches car la nature a plus d’imagination que nous.
Une autre évolution technique a été mise en lumière pendant cette crise : la synthèse de virus. Une équipe de recherche a réussi à fabriquer un Sars-CoV-2 de synthèse en quelques mois…
Oui, il s’agit de l’équipe de Volker Thiel, à Berne (Suisse), qui a publié sa découverte en mai 2020. Mais il y a eu pire en 2018. Une équipe avait synthétisé le virus de la variole équine, un virus proche de celui de la variole. On entre dans une nouvelle époque. Les virus très dangereux sont désanctuarisés. La variole est une maladie officiellement éradiquée depuis les années 1980. Les seules souches restantes sont conservées par des laboratoires militaires à Atlanta aux États-Unis et Novossibirsk en Sibérie. Mais le fait que l’on soit aujourd’hui capables de synthétiser le génome entier d’un pathogène représente un danger potentiel énorme.
Pendant longtemps, un frein au développement d’armes biologiques était la difficulté à fabriquer le médicament contre sa propre arme. Est-ce que l’apparition des vaccins à ARN messager, rapides à mettre en place, n’accentue pas le risque d’armes biologiques ? On peut rapidement synthétiser un pathogène et son vaccin…
Il faut quand même un vrai savoir-faire, cela ne peut pas être de la science de garage. On a vu des projets de vaccins à ARN messager se casser les dents. Je ne crois pas que des amateurs éclairés puissent faire cela facilement. Mais un État voyou, peut-être.
Est-ce qu’une réglementation internationale serait suffisante ? Dans le domaine du génie génétique, l’apparition de l’outil Crispr a poussé un scientifique à donner naissance à des bébés humains génétiquement modifiés malgré les interdictions…
Oui, bien sûr, la recherche peut avoir ses brebis galeuses. Mais cela ne rend que plus pressant le besoin d’éthique dans le domaine.