Étoiles, galaxies, systèmes solaires… Les mystères que James Webb, le plus puissant des télescopes spatiaux, doit percer
Le plus puissant des télescopes spatiaux boucle son voyage de 1,5 million de kilomètres ce 24 janvier.
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- Publié le 22-01-2022 à 16h25
- Mis à jour le 23-01-2022 à 19h51
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Après un voyage de 29 jours et de 1,5 million de kilomètres, le télescope James Webb atteindra sa destination ce 24 janvier. L’observatoire spatial le plus puissant de l’Histoire (6 fois plus sensible que Hubble) devrait rester au point dit "de Lagrange" durant au moins une décennie.
"Même s'il est très éloigné, ce lieu est très intéressant pour les missions d'astronomie, indique Pierre Ferruit, program manager James Webb à l'Agence spatiale européenne (Esa). Ce n'est pas le premier satellite que l'on envoie là-bas. On y a envoyé Herschel, Planck... La mission Gaia est toujours là-bas. Webb sera en orbite autour de ce point, et non autour de la Terre. Il va accompagner la Terre autour du Soleil. Grâce à son pare-soleil, et à ce positionnement, on est capables de maintenir la Terre, le Soleil, la Lune tout le temps du même côté et de garder le télescope dans l'obscurité et le froid pour que les instruments fonctionnent. C'est aussi un endroit où l'on n'a pas besoin de trop de carburant pour maintenir l'orbite, on peut donc l'utiliser pour allonger la durée de vie et faire de la science. Enfin, c'est un lieu où l'on peut faire des observations du même objet pendant longtemps, ce dont on a besoin quand on observe, comme le James Webb, des objets peu lumineux. C'est donc un point très éloigné mais qui nous permet d'avoir les performances dont on a besoin."
Les premières images ne sont cependant pas attendues avant l'été. D'ici là, il faut aligner les 18 miroirs hexagonaux du télescope pour qu'ils forment une surface optique parfaite et offrent une image très précise. "Comme avec un appareil photo où l'image est d'abord floue, ici aussi il faut 'focaliser', explique l'astronome Yaël Nazé. Afin de récolter tous les photons et que la lumière arrive (se focalise) au même endroit sur le détecteur, sinon l'image est floue." Ensuite, il faudra "calibrer" les instruments, les régler pour pouvoir mesurer très précisément la lumière. "C'est comme graduer une latte qui ne l'était pas. Si vous enregistrez un flux lumineux, s'il est deux fois plus brillant à un endroit qu'à un autre, il faut que cela apparaisse sur votre image finale." Avec le récent déploiement du JWST (vu sa taille, il a dû être plié comme un origami au lancement), techniquement, le plus dur est fait. Les astronomes sont donc confiants sur le bon fonctionnement futur du télescope.
Des mystères à éclaircir
Répondre à "de grandes questions qui, à l'échelle d'une civilisation, changent non seulement ce qu'on connaît, mais aussi la façon dont on pense en tant qu'humains…" C'est ainsi que le responsable scientifique de la Nasa, Thomas Zurbuchen, décrit la mission dévolue au James Webb Space Telescope (JWST).
Voici les cinq grands mystères que cet instrument devrait éclaircir sur le cosmos.
1. Comment les premières étoiles se sont-elles allumées ?
James Webb a été construit pour étudier "la fin des âges sombres", c'est-à-dire l'Univers très jeune, les premières étapes du "bébé Univers". On sait qu'après le Big Bang le cosmos est constitué d'une soupe de particules. Puis, les atomes se forment et le rayonnement fossile (photons libérés des particules formant les atomes) est émis autour de 380 000 ans après la naissance de l'Univers. Ensuite, il y a de la matière, faite d'hydrogène et d'un peu d'hélium. Rien d'autre. Ni étoiles ni galaxies… Puis, soudainement, les premières étoiles vont s'allumer. "Ce début, on ne l'a jamais vu, souligne l'astrophysicienne Yaël Nazé (ULiège). Ce qu'on observe à ce stade, ce sont les générations suivantes. James Webb a été conçu pour pouvoir voir ces premières étoiles s'allumer dans l'Univers (et les premières galaxies se former). On ne sait pas du tout comment cela s'est produit. Or, c'est crucial : comme pour l'étude de la vie sur Terre, la première étape est importante, elle influence ce qui se passe ensuite."
Aujourd’hui, lorsque des étoiles se forment, on en compte beaucoup de petites et très peu de grosses, qui sont de l’ordre d’une centaine de masses solaires (masse de notre Soleil). Certains modèles mathématiques suggèrent que les premières étoiles devaient, elles, être extrêmement massives : plusieurs centaines, voire plusieurs milliers, de masses solaires. Était-ce bien le cas ? Le destin d’une grosse ou d’une petite étoile n’est pas identique et celles-ci ne vont pas enrichir l’Univers en métaux de la même façon… Et comment ces étoiles se sont-elles formées ? Dans quelles conditions ? Pourquoi ces premières étoiles sont-elles nées à ce moment, et pas avant, ni après ? Jusqu’à Webb, on n’avait pas de télescope assez sensible (voyant donc assez loin dans le temps) pour y répondre réellement.
2. Comment les galaxies se sont-elles formées ?
Ce deuxième mystère est lié au premier : les premières étoiles vont en effet former des amas de structures plus grands, donnant lieu aux jeunes galaxies. Dans ce cadre, quid des trous noirs qui sont au cœur de bon nombre d’entre elles (dont la nôtre) ? On ignore toujours comment ceux-ci se sont formés. Pourraient-ils être dus à l’agrégation de trous noirs plus petits, résultant de ces (éventuelles) fameuses étoiles bleues supermassives de première génération ? Ou alors est-ce dû à l’effondrement d’un gros bloc de matière, sur place ? Ensuite, comment ces galaxies vont-elles évoluer pour donner l’Univers actuel ? En sachant qu’il y a sûrement eu des interactions entre ce trou noir central et le reste de la galaxie, stimulant éventuellement la formation d’étoiles... Et l’univers était plus dense qu’aujourd’hui, ce qui entraîne aussi des risques de collision entre galaxies…Enfin, comment arrive-t-on aux différentes formes de galaxies (spirale, elliptique…) observées aujourd’hui ?
Sur cela se greffe également la question de l'invisible matière sombre, qui constituerait 85 % de la matière de l'Univers, et jouerait un rôle clé dans la formation des galaxies mais dont on ignore totalement la composition. En Belgique, Dominique Sluse (ULiège) essayera de voir, avec le JWST, comment cette matière sombre est distribuée, grâce à la déformation de la lumière. Fait-elle beaucoup de grumeaux ou pas ? "Si les particules sont massives et se déplacent lentement, elles ont plus de chances de s'agglomérer en grumeaux, alors que, si elles sont légères et rapides, il y en aura moins. On peut ainsi identifier le type de particules qui est le meilleur candidat pour composer la matière sombre", dit-il. La sensibilité du télescope James va permettre d'observer bien plus de galaxies que jusqu'ici, ce qui permettra d'établir des théories plus solides.
3. Notre système solaire est-il bizarre ou pas ?
Comment se crée un "système solaire" ? À nouveau, la sensibilité de James Webb permettra d’observer un échantillon plus important, offrant plus de détails, et donc plus représentatif, pour décrire la formation d’un système planétaire en lien avec son étoile. Quelles sont les conditions conduisant à davantage de planètes autour d’une étoile ? Ou moins ? Ou à aucune ? À partir de quel moment de grosses planètes se forment-elles ? Comment les planètes peuvent-elles bouger ?
Au final, l'idée est de déterminer si notre propre système solaire est ou pas une exception dans l'Univers. Le Liégois Olivier Absil va par exemple essayer de trouver (et d'imager) des planètes géantes jeunes situées assez loin de leur étoile, comme Jupiter et Saturne, afin d'examiner si cette configuration est habituelle ailleurs que dans notre système solaire. "La sensibilité incomparable et la couverture infrarouge complète de Webb nous donneront accès à l'observation de planètes de masse plus faible et plus froides que celles détectables au sol, ce qui devrait nous permettre de voir des planètes en train de naître, ajoute-t-il. Ce qui reste totalement exceptionnel depuis la Terre."
4. Y a-t-il des traces de vie sur des planètes hors de notre système solaire ?
Le JWST permettra aussi l'exploration à distance des divers types d'exoplanètes (dont les fameuses Trappist) et de la composition de leur atmosphère, grâce à l'infrarouge. "Cela offrira une base de connaissances indispensable, qui permettra de mieux cerner la diversité des mondes inhabitables, possiblement habitables, et d'y rechercher des anomalies peut-être explicables par la biologie", résume l'astrobiologiste Emmanuelle Javaux (ULiège), qui s'intéressera aux organismes vivants tirant leur énergie de la lumière, en particulier infrarouge. Webb devrait aussi établir quelle est l'atmosphère typique d'une planète et si celle de notre Terre constitue une étrangeté. "James Webb va regarder l'Univers lointain, mais nous en apprendra aussi beaucoup sur l'Univers proche", souligne Yaël Nazé.
5. La réponse inattendue à la question que l’on n’avait pas posée…
Tout télescope est construit pour répondre à des questions précises. Mais ce sont aussi des outils versatiles, à l'œuvre durant de longues années. "Il y a plein de choses que l'on va découvrir dans les années qui viennent. Donc, avec James Webb, on va pouvoir résoudre des problèmes auxquels on n'avait pas pensé du tout. Le cinquième mystère serait en quelque sorte le résultat inattendu, note Yaël Nazé. On espère en fait que James Webb fera bien plus que ce pour quoi on l'a construit ! Ainsi, le télescope spatial Hubble a étudié des choses non prévues au départ, comme les exoplanètes." En effet, lorsque Hubble a été imaginé dans les années 70-80, la première exoplanète n'avait même pas encore été découverte.
