"Ils ont péché par excès de confiance" : Boeing va-t-il perdre la course face à SpaceX ?
Test crucial ce 20 mai pour la capsule Starliner de Boeing.
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- Publié le 19-05-2022 à 11h56
- Mis à jour le 19-05-2022 à 15h19
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La troisième tentative sera-t-elle la bonne ? Ce vendredi 20 mai, vers une heure du matin (heure belge), l’iconique entreprise américaine Boeing tentera un test crucial : lancer sa nouvelle capsule entièrement automatisée, Starliner, jusqu’à la Station spatiale internationale. Le vol est cette fois inhabité mais le véritable but est d’envoyer des astronautes vers l’ISS. Aux côtés donc de la capsule Crew Dragon de SpaceX, qui remplit cette mission depuis mai 2020.
Jusqu’ici, Boeing n’a connu que des déboires. Un premier test avait eu lieu en 2019 se concluant par un premier échec. En raison de problèmes de logiciels, Starliner avait été incapable d’arriver à destination. Et si la Nasa n’avait pas repéré l’un d’entre eux quelques heures avant, la capsule aurait brûlé dans l’atmosphère. Une commission d’enquête de la Nasa avait identifié 80 problèmes (restés confidentiels, pour raison industrielle) et transmis ses recommandations à Boeing.
Lors du deuxième test en août 2021, la fusée n’avait même pas pu décoller, car près de la moitié des valves de propulsion étaient restées bloquées, en raison d’oxydation.
Résultat : Boeing est en retard de cinq ans sur son programme…
Contraste
Tout a en fait commencé en 2014, lorsque l’agence spatiale américaine a lancé le Commercial Crew Program, qui chargeait des compagnies privées de desservir l’orbite terrestre basse, laissant à la Nasa elle-même les destinations plus lointaines. Trois candidats étaient en lice et deux ont été retenus : le Crew Dragon de SpaceX et le Starliner de Boeing.
Le contrat spécifiait qu’un premier vol de qualification devait avoir lieu en 2017.
Alors que Boeing accumule les difficultés, SpaceX enregistre avec Crew Dragon succès sur succès : il a déjà envoyé cinq équipages officiels vers l'ISS et a réalisé deux vols privés. En février 2022, la Nasa a allongé le contrat de Space X jusqu'en 2028. Le contraste avec Boeing est donc marquant. " Qu'est-ce qui explique ce contraste ? Je crois que Boeing a péché par excès de confiance : il considérait sa collaboration et ses contrats financiers avec la Nasa comme quelque chose d'acquis : ils sont partenaires de la Nasa depuis sa création, ils ont participé à Apollo, aux navettes spatiales, ils sont du projet de la nouvelle fusée lunaire SLS… Quand on est assuré d'avoir le contrat avec la Nasa, on ne se pose plus trop de questions, on pense qu'on va y arriver de toute façon. Mais construire un tel vaisseau totalement automatisé est complexe. Complexité qui au départ a été sous-estimée par Boeing, observe Gregor Rauw, astrophysicien à l'ULiège. De l'autre côté, chez SpaceX, la philosophie est très différente, avec un CEO (Elon Musk) qui exerce une énorme pression sur son personnel, qui se dit que c'est une affaire de gros sous et que l'on n'a pas droit à l'échec. Cela a fini par payer. L'équipe a été très prudente, dans le sens où elle a travaillé étape par étape pour arriver à Crew Dragon. En outre, malgré une enveloppe budgétaire plus serrée (4,2 milliards octroyés par la Nasa à Boeing contre 2, 6 milliards pour Space X), SpaceX avait un léger avantage. Il ne partait pas d'une feuille blanche. Ils avaient déjà le vaisseau spatial Dragon utilisé depuis 2012 pour ravitailler l'ISS, automatique et inhabité. Le Crew Dragon n'est donc qu'une 'évolution' - certes pas simple - du vaisseau cargo. Et Space X n'a pas pu respecter non plus la date du premier vol de qualification (qui a eu lieu en 2019 au lieu de 2017, NdlR)."
"Énorme retard"
Boeing a-t-il déjà perdu la course face à SpaceX ? L'issue du vol répondra à cette question. "Si ce vol réussit, Boeing sera de nouveau dans la course , juge notre interlocuteur. Mais ils ont en effet un retard énorme. En outre, ils ne jouent pas non plus avec les mêmes cartes. SpaceX a cinq à six vaisseaux prévus pour être fabriqués ou être utilisés (vols Nasa et privés). Le carnet de commandes est bien rempli. En revanche, Boeing avait prévu d'en construire trois et est revenu à deux, le strict minimum pour assurer une cadence de deux vols par an, comme exigé par la Nasa. Boeing est dans une situation beaucoup moins confortable que SpaceX pour le moment, c'est clair. Mais si le vol est un succès, ils pourraient reprendre un peu de couleur et peut-être avoir la possibilité de pratiquer davantage de vols."
Et si ce vol échoue ? Cela dépendra de la cause de l'échec. Beaucoup de choses peuvent mal se passer en spatial ! "Si c'est à nouveau un problème de software, je crois que la Nasa mettra un terme définitif à son partenariat avec Boeing pour Starliner. Ce serait terminé. Car après les premiers problèmes et la mise en place de cette procédure de recommandations, cela signifierait qu'ils n'ont pas appliqué les conseils de la Nasa avec le sérieux nécessaire. Si c'est un problème qui fait partie de ceux qui avaient été identifiés lors du vol inaugural, Boeing devrait faire énormément d'effort pour revenir dans la course…" Reste encore cette question : la capsule Starliner est-elle vraiment nécessaire aux allers et retours vers l'ISS ? La question mérite d'être posée. L'idée de la Nasa était d'avoir deux capsules pour avoir une solution de rechange en cas de problèmes. Pas inutile en cette période où on ignore si la Russie va respecter l'ensemble de ses engagements pour l'ISS (notamment les voyages avec les Soyouz) dans les prochaines années. "C'est lié à la situation géopolitique mais aussi au fait que le spatial russe n'est pas dans une situation brillante", analyse Gregor Rauw. Argument inverse : l'ISS arrive en fin de vie et Boeing a déjà pris beaucoup de retard. La capsule ne pourrait servire à rallier l'ISS qu'une poignée d'années. Starliner n'est en effet construit que pour l'orbite basse et ne pourrait pas desservir la future station en orbite lunaire, par exemple.So. De.