La Belgique pourrait-elle avoir sa propre base pour lancer des fusées dans l’espace ?
De nombreux pays européens tentent de créer leur propre base de lancement en ce moment. Quels sont les critères pour choisir le lieu d’implantation d’un port spatial ?
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Publié le 28-01-2023 à 16h10 - Mis à jour le 28-01-2023 à 21h50
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La Guyane française, la steppe du Kazakhstan, la neige du nord de la Suède, la côte floridienne… Comment sont choisis les sites d’installation des bases spatiales ? Alors que plusieurs pays européens développent leur propre projet de base spatiale sur leur territoire, la Belgique pourrait-elle accueillir la sienne ?
Le tout nouveau port spatial Esrange est ainsi situé dans l’extrême nord de la Suède, dans un désert de forêts et ce n’est pas un hasard…” Ici, nous avons 5 200 kilomètres carrés où personne ne vit, donc on peut facilement tirer une fusée qui retombe sans faire de mal à quiconque”, explique Mattias Abrahamsson, directeur commercial de la Swedish Space Corporation (SSC), qui gère le site. La position géographique d’une base de lancement est primordiale. Il faut qu’elle soit dans des zones où la densité de population est très faible en cas de problème au lancement. Difficile de le faire donc dans notre pays, connu pour sa haute densité d’habitants. Mais ce n’est pas tout.

”Vous avez besoin avant tout d’avoir accès aux orbites que vous recherchez, complète Chris Larmour, CEO d’Orbex, actuellement en train de construire une base de lancement en Écosse, à Sutherland, pour y lancer ses microfusées. Et la plupart de nos clients souhaitent une orbite de type polaire. Ce sont donc des orbites qui vont du pôle Nord au pôle Sud de la Terre. Et comme la Terre tourne, les satellites peuvent voir la planète entière sur une période de trois ou quatre jours. Pour ces orbites, vous pouvez lancer le satellite directement vers le Nord, soit directement vers le Sud. Impossible de faire cela depuis l’Italie parce que vous risquez de heurter quelqu’un, si les choses tournent mal. Même chose depuis l’Allemagne, ou depuis la France métropolitaine. Ou de la Belgique, parce que vous pourriez frapper une plate-forme pétrolière en mer du Nord, par exemple. Mais de la côte nord de l’Écosse, nous avons 3 000 kilomètres d’océan avant de toucher des terres, ce qui offre une longue trajectoire sûre. C’est la raison pour laquelle il y a plusieurs spatioports le long de la côte nord de l’Europe : la Norvège, les Shetlands, l’Écosse...” Outre le “Spaceport Cornwall” (qui veut lancer des fusées et des satellites à partir d’un avion modifié) et la base de Sutherland, dans le nord de l’Écosse, le Royaume-Uni développe aussi SaxaVord, sur une des îles Shetland, d’où le Français Latitude et l’Américain Astra Space envisagent de lancer leurs petites fusées.
Champ de tir à nonante degrés
Si les ports spatiaux commerciaux se concentrent majoritairement sur les orbites basses pour l’observation de la Terre et mènent des tirs soit vers le nord soit vers le sud, l’avantage de la base européenne de Kourou en Guyane est qu’elle peut, pour sa part, lancer vers tous types d’orbite et qu’elle est positionnée tout près de l’Équateur.

“Si vous lancez des missions de télécommunication, elles se placent sur des orbites géostationnaires (les satellites tournent autour de la Terre d’est en ouest). Pour celles-ci, vous lancez vers l’est car vous profitez de la rotation terrestre et vous gagnez alors 467 mètres à la seconde, un gain en performance exceptionnel, explique Daniel Neuenschwander, directeur du transport spatial à l'Agence spatiale européenne, qui cogère la base de Kourou. La Guyane se trouve en outre à 5 degrés de latitude Nord. Si vous lancez la même charge utile, avec un même système de lancement depuis la Floride (25 degrés de latitude) vous devez ajouter 25 % de performance. Si vous allez à Baïkonour, c’est même un tiers. En outre, en Guyane, vous êtes en dessous des cyclones (contrairement à la Floride, NdlR) et vous avez une activité sismique limitée. Par ailleurs, lorsque vous injectez des missions d’observation de la Terre, vous avez des orbites vers le nord ou vers le sud ; là ce qui est important, c’est de pouvoir tirer sur une zone dégagée pour protéger les populations. En Guyane, on a un champ de tir d’un angle supérieur à 90 degrés (la base s’étire le long de l’océan, NdlR). Vous avez un tir dégagé vers l’est ou vers le nord. Je dois malheureusement vous annoncer que si vous voulez faire une base de lancement à Bruxelles, ça va être compliqué parce que vous êtes entouré de zones habitées de manière assez dense. Ce n’est pas non plus un hasard que les nouveaux ports sont situés tout au nord de l’Europe, cela permet de ne pas survoler l’Europe continentale. “

En clair, lancer vers l’est depuis la Belgique nous ferait survoler l’Allemagne ; et une base située sur le bord de la mer du Nord lançant vers l’ouest (donc dans le “mauvais sens”, où on perd de l’efficacité) ou le nord serait trop proche du Royaume-Uni ou de bases pétrolières offshore, tandis que des tirs au sud survoleraient la France. “Nos pays voisins ne seraient pas heureux de voir installer une telle base en Belgique. À la densité de population en cas d’accident, il faut aussi ajouter les problèmes de pollution émise par certains carburants utilisés pour les lanceurs pour l’éventuelle population proche de la base”, relève Gregor Rauw, expert du spatial à l’ULiège.
Depuis un bateau ?
Il reste cependant une solution, que l’Allemagne examine d’ailleurs à travers sa propre industrie : envoyer des satellites depuis un navire en haute mer. L’idée est de lancer des petits satellites en orbite polaire ou héliosynchrone à l’aide de petites fusées, depuis le nord de l’Allemagne, dans la partie allemande de la mer du Nord. Aux dernières nouvelles, l’ambition pour un premier tir était 2023. Les satellites et fusées seraient montés au port de Brême et lancés depuis un cargo transporteur de charge lourde, sans que celui-ci ne doive subir de transformations trop importantes.
L’avantage ? “Un pays qui comme la Belgique n’a pas la possibilité de le faire depuis son territoire peut amener le navire en question dans les eaux internationales et si l’endroit se prête lancement vous pouvez lancer votre satellite sans que ça pose problème a priori”, remarque Gregor Rauw. Des satellites avaient d’ailleurs déjà été lancés depuis des plateformes pétrolières offshore désaffectées dans les années 1970.
