Faut-il courir ou marcher sous la pluie ?
Intuitivement, on se dit qu’en passant moins de temps sous une averse, on devrait être moins mouillé. Fatale erreur… Les déplacements à vélo ou à moto démontrent l’inverse. Un paradoxe qui s’explique.
Publié le 06-02-2023 à 06h43
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Les recherches scientifiques brassent des domaines très larges et touchent à des questions parfois surprenantes…Même s’ils peuvent sembler farfelus, ces travaux créent des connaissances dont l’utilité sera un jour très concrète. Fabrizio Bucella est physicien, docteur en sciences et professeur à l’ULB. Ses livres, qui allient sciences et pédagogie, sont publiés aux éditions Dunod (Paris). Une fois par mois, il nous propose une chronique de vulgarisation scientifique où seront mises en avant des découvertes récentes et qui sortent de l’ordinaire.
Qu’on l’appelle ondée, averse ou encore crachin, la pluie fait partie du paysage en Belgique. Il est même de tradition que le défilé qui se déroule sur la place des Palais le 21 juillet ait droit à sa fameuse drache nationale.
La pluie mérite donc que l’on s’attarde sur une question essentielle : sera-t-on plus mouillé en courant sous les gouttes ou en marchant lentement ? Intuitivement, on se dit qu’en passant moins de temps sous l’averse, on devrait recevoir moins d’eau sur le caillou.
Cette intuition est-elle bonne conseillère ? Pas forcément… Nous sommes nombreux à avoir expérimenté le déplacement à bicyclette ou sur un vélomoteur : dans ce cas, on arrive trempé jusqu’aux os, alors même que l’on s’est déplacé plus vite qu’un simple piéton. Comment expliquer ce paradoxe ?
Il y a pluie et pluie
Le problème a été étudié par des physiciens italiens des universités d’Udine et de Brescia. L’astuce est qu’il y a pluie et pluie. Imaginons que les gouttes tombent verticalement. Une hypothèse qui est correcte en l’absence de vent, le cas venteux sera discuté plus tard. Le paradoxe se dessine de la manière suivante : on estime la quantité d’eau que l’on risque de recevoir sur le paletot, puis on s’imagine courir. Le temps passé sous l’averse étant moins grand, on devrait donc être moins mouillé.
Erreur, grossière erreur, car le mouvement modifie la trajectoire des gouttes à notre encontre. Certes, elles tombent toujours verticalement par rapport aux immeubles ou aux arbres, qui eux sont immobiles. Cependant, par rapport à la personne qui tente de fuir la pluie, l’ondée aura une composante de vitesse horizontale et de sens inverse : elle tombe en oblique.
En gros, c’est le même phénomène que lorsqu’on fonce en voiture contre un mur. L’occupant de la voiture voit le mur se rapprocher. De son point de vue, le mur fonce vers lui. Un témoin extérieur, par contre, voit l’automobile fondre vers l’obstacle.
Pour un quidam immobile, l’eau tombe verticalement, soit sur la tête, les épaules, le chapeau ou le parapluie. En mouvement, c’est comme si elle tombait de biais. Dans le référentiel de la personne mouvante, les gouttent tombent en diagonale par rapport à elle. Pour une personne qui regarde la scène d’un air extérieur et avisé, la pluie tombe à la verticale et le quidam se déplace à son encontre.
Il faut donc séparer deux sortes de pluies : la pluie verticale et la pluie de face ou frontale. Fixe, la pluie verticale est à son maximum et celle de face inexistante. Lorsqu’on bouge, le curseur bouge : on reçoit moins d’eau sur la tête et plus sur le devant. La surface du corps exposée est plus importante.
L’intuition est sauve
Ayant résolu cet apparent paradoxe, il reste à évaluer la quantité totale de gouttes. Est-elle inférieure quand on court ou quand on marche ? Cette question a été résolue assez précisément, en modélisant une personne comme s’il s’agissait d’une grosse boîte à chaussures. La réponse est sans appel. Globalement, on reçoit moins de pluie tant frontale que verticale lorsque la course est rapide. L’intuition générale est donc sauve.
Mais l’histoire ne s’arrête cependant pas là...
Quand on se meut sous l'ondée, autant la quantité globale de pluie est moindre, autant on reçoit plus de pluie frontale. Voilà notre paradoxe. On reçoit moins de pluie, mais on est plus mouillé. Sauf à être habillé d'une combinaison, on est souvent moins protégé sur le devant : on sera plus mouillé, malgré le parapluie. La subtilité est que la quantité de pluie frontale augmente avec la vitesse de déplacement. En résumé du résumé, si vous avez un pépin ou un chapeau, il vaut mieux marcher lentement. Festina lente, le mot d'Auguste : hâte-toi lentement.
La situation du cycliste ou vélomotoriste se résout facilement : la locomotion de cette personne étant plus rapide qu’une simple marche, voire une course à pied, elle sera très fortement mouillée sur le devant. D’ailleurs, les motards sont équipés de combinaisons sérieuses leur permettant de ne pas trop souffrir de ce désagrément. Ces équipements sont classés selon un chiffre barbare, le "schmerber". Cette unité donne le niveau d’imperméabilité, soit la surpression nécessaire pour que l’eau traverse le vêtement. Le schmerber est calculé en tenant compte de la vitesse de la goutte de pluie. La boucle est bouclée.
Et sous le vent ?
Pour terminer, étudions la situation venteuse. Dans ce cas, l’ondée aura naturellement une composante de vitesse horizontale, celle relative au vent. Elle ne tombe plus verticalement par rapport aux arbres et immeubles fixes. On peut utiliser cette composante de vitesse à notre avantage. Si vous pouviez vous mouvoir le vent dans le dos et exactement à la vitesse du vent, votre déplacement compensera précisément la vitesse horizontale des gouttes. Vous ne les recevez plus que sur la tête. Si vous étiez immobile, vous recevriez la pluie sur l’arrière.
Dans ce cas, tout en courant, vous auriez recréé la situation d’une pluie uniquement verticale. Cette astuce dans l’astuce peut se réaliser pour des vents faibles, jusqu’à la petite brise, qui souffle de 12 à 19 kilomètres par heure. À partir de ladite jolie brise, vous devrez tenir la vitesse de 20 kilomètres par heure, ce qui est plutôt conséquent. Ceci étant, quand bien même vous ne seriez pas exactement à la vitesse du vent de dos, votre marche annule de toute façon une partie de la composante horizontale de vitesse des gouttes. Il vaut de toute façon mieux se mouvoir rapidement et avec le vent dans l’épine dorsale. Non seulement, vous aurez globalement moins de pluie (car moins de temps passé dehors), mais en plus vous aurez moins de pluie dans le dos (toute celle que vous réussirez à annuler par votre locomotion).
En résumé : ne jamais oublier son parapluie ou son chapeau et se mouvoir promptement le vent dans le dos. Il n’y a plus qu’à espérer que votre destination soit dans la bonne direction. Sinon, attendez que l’averse s’arrête, car après la pluie, vient le beau temps.