Manel Barkallah, prof d’informatique à l’UNamur : “En Tunisie, ce cliché que l’informatique, c’est pour les garçons n'existe pas”
Cette jeune trentenaire qui a grandi à Tunis essaie de faire mentir les clichés en promotionnant les études d’informatiques auprès des jeunes filles belges. Assistante de recherche et d'enseignement à l'UNamur, elle coorganise ce jeudi une journée de conférences.
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Publié le 08-02-2023 à 17h20 - Mis à jour le 08-02-2023 à 18h04
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Déjà toute petite, Manel Barkallah poussait sur tous les boutons de l’ordinateur de son père “pour voir ce qui se passait”. A présent, à 31 ans, elle enseigne en tant qu’assistante à la faculté d’informatique de l’Université de Namur et rédige sa thèse également dans ce domaine. “J’ai toujours aimé les mathématiques, la logique. Mon père travaillait dans la comptabilité et donc était beaucoup devant son ordinateur. J’étais tout le temps à côté de lui pour voir : et ce bouton-là, ça fait quoi ? Et celui-ci ? J’ai commencé à créer des petits fichiers Word, des petites images, des fichiers, Excel… Mon père était content, mais finalement, comme il voyait que je touchais à tous ses dossiers, il m’a crée un second “bureau”, où je pouvais faire ce que je voulais ! J’étais passionnée… Quand je suis derrière un ordinateur ou un écran, je veux toujours en savoir plus !”
Complètement normal
Autour d’elle, personne n’était étonné de cette passion pour l’informatique, même chez une petite fille. Et pour cause, Manel a grandi et étudié en Tunisie et là-bas, l’informatique n’est absolument pas considéré comme “un truc de garçon”, mais tout à fait "neutre". “En Tunisie, ce cliché "l'informatique, c'est pour les garçons" n'existe pas. Ce n'est en fait pas une question ! La seule explication que j'aie ? La formation des enfants. A Tunis, dès la sixième primaire, j'ai eu des cours d’informatique à l'école. Et le langage de programmation informatique qui était enseigné à l’Université ici en Belgique, moi, je l’ai étudié dès le secondaire en Tunisie ! On trouve aussi pas mal de filles qui étudient le génie mécanique, mais aussi l’informatique. Elles sont bien présentes en intelligence artificielle, dans les méthodes formelles, dans les tous les domaines de l’informatique, en fait. Dans ma spécialité de master d'informatique en "cloud computing”, il n’y avait même que 3 à 4 garçons sur la quinzaine d’étudiants.”
Le choc a donc été complet lorsqu’elle a ouvert la porte de sa toute première classe à l’Université de Namur, à son arrivée en Belgique pour enseigner (après deux ans en école d'ingénieur et cinq ans d'étude de l'informatique en Tunisie), il y a cinq ans. “En général, les étudiants tunisiens se rendent plutôt en France, donc j’avais assez peu d’échos de la Belgique. Mais sur mes 40 étudiants dans la salle de travaux pratiques, il y avait… deux filles. J’ai été surprise, et j’ai commencé à poser des questions : Où sont les filles ? Pourquoi il y en a si peu?”

Ses collègues lui ont alors expliqué qu’en Belgique, les filles se dirigeaient plus volontiers vers les matières littéraires, et lorsqu’elles faisaient les sciences, plutôt vers la biologie ou la médecine. “Mais pas l’informatique… J’ai aussi compris qu’il n’y avait pas de cours d’informatique en secondaire et que certains étudiants arrivaient dans notre faculté d’informatique sans savoir ce que cela veut dire “programmer” !” Elle a aussi découvert les recherches menées par une autre de ses collègues sur les filles en sciences à partir du secondaire en Belgique. “Sa conclusion est que pas mal d’enseignants du secondaire passent le message que “l’informatique, c’est pour les garçons, pas pour les filles”. Si les enseignants passent ce message aux jeunes élèves, après, au niveau de l’université, elles ne vont pas choisir l’informatique mais autre chose…”
Méfiance des étudiant
À la faculté namuroise, si ses collègues essentiellement masculins ont été très accueillants, elle a tout de même dû compter avec les mines dubitatives des étudiants masculins lorsqu’ils ont vu arriver cette jeune femme en tant qu'assistante d'enseignement et de recherche. “Les étudiants étaient clairement étonnés. Au tout début, ils pensaient que je donnais ce cours un peu par hasard, que je ne maîtrisais pas mon cours ! Mais quand j’ai commencé à répondre à leurs questions, ils ont vu que je maîtrisais… Ils m’ont fait davantage confiance en tant que femme.” Dans le même genre, elle a aussi observé les rares filles laissées de côté par la masse de garçons lorsque les étudiants en informatique se divisent pour réaliser les travaux de groupes…
Néanmoins, juge-t-elle, en cinq ans les choses se sont améliorées, en particulier en termes du nombre d’étudiantes. “À présent, je compte une vingtaine d’étudiantes – et des très bons éléments – sur une septantaine au total.” Manel, avec ses collègues de l’Université de Namur, s'est mobilisée. Lors des journées portes ouvertes d’orientation, lorsque les futur (e) s étudiant(s) viennent visiter l’université avec leurs parents, Manel est là pour faire exploser les idées reçues : “on leur dit : “non, il y a bien des filles, en informatique ! Il y a des professeures, des assistantes, des étudiantes… Non, l’informatique n’est pas que pour les garçons… Vous pouvez y aller ! Suivez vos rêves.” Et là, petit à petit, cela change. Dans mes classes, leur nombre s’est multiplié par dix en cinq ans.”
Journée de conférences
Autre activité : ce jeudi 9 février, en prévision de la journée internationales des femmes et filles dans la sciences qui a lieu le 11 février, Manel Barkallah co-organise aussi à l’UNamur différentes conférences destinées à un public interdisciplinaire “avec des femmes inspirantes” actives notamment dans l’informatique. Histoire de montrer qu’il n’y a pas que Bill Gates ou Steve Jobs comme modèles dans le domaine. “Cela encourage aussi les parents à encourager leurs filles. Si des filles ont des doutes, elles peuvent se dire pourquoi pas moi ? Il y a des filles en informatique.”
L’informaticienne insiste encore : non seulement, il est nécessaire et enrichissant que tous les genres se retrouvent en informatique, pour diversifier les points de vue et les approches – “en informatique, comme dans tous les domaines, si tous les genres ne sont pas représentés, il y a des problèmes qui vont toujours rester dans l’ombre” – , mais en outre, c’est une excellente filière universitaire pour trouver un job ensuite. Là, autant pour les garçons que pour les filles…
La journée de conférence est ouverte à toutes et tous, et l’inscription est gratuite.
Découvrez le programme de cet événement : https://wgis.unamur.be/
Les femmes sont toujours très minoritaires en sciences “dures”
De manière globale, de nombreux rapports soulignent au niveau international, une sous-représentation des femmes et des filles dans les sciences, les technologies et les STEM (sciences, techniques, ingénierie et mathématiques) et cela malgré des évolutions récentes. À l’UNamur, les rapports annuels sur l’état de l’égalité de genre, révèlent des statistiques qui s’inscrivent dans cette tendance.
Les femmes sont de plus en plus nombreuses à s’inscrire l’UNamur, et sont désormais majoritaires (59 %). Elles sont de plus en plus nombreuses dans les filières scientifiques, mais elles restent minoritaires. Entre 2019 et 2020, le ratio féminin-masculin dans le domaine des sciences est ainsi passé de 32-68 % à 36-64 %, avec toutefois de fortes disparités selon les matières. Plus de 70 % des inscrits dans les sciences de la santé ou dans les sciences humaines et sociales, sont des femmes. En revanche, elles ne représentent plus que 35 % des facultés et départements dits “durs” : chimie, physique, informatique, mathématique.