Comment fonctionnent ces nouvelles injections contre l'excès de poids ? "Le médicament agit directement sur le cerveau"
Le fonctionnement des nouveaux médicaments comme le Wegovy illustre bien que tout ce qui a trait à la prise de poids ou l’obésité se passe au niveau du cerveau, remarque Jean-Paul Thissen, endocrinologue et nutritionniste à Saint-Luc. “En fait, on ne devrait pas opérer les gens dans leur estomac mais plutôt dans leur cerveau !”
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Publié le 12-02-2023 à 08h31 - Mis à jour le 12-02-2023 à 22h16
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Comment fonctionne la nouvelle classe de médicaments contre l’obésité, qui attire actuellement tant d'attention ? “C’est un médicament satiétogène. Il agit directement sur le cerveau dans une zone qu’on appelle l’hypothalamus. On la connaît assez bien maintenant : elle régule entre autres notre comportement alimentaire. Le médicament coupe la faim ; c’est-à-dire qu’on a moins faim que d’habitude pour entamer le repas. Et lorsqu’on commence le repas, on s’arrête plus vite”, décrit le Professeur Jean-Paul Thissen (UCLouvain).
Concrètement, le sémaglutide (Wegovy) et le liraglutide (Saxenda) miment l’action d’une hormone de la satiété appelée GLP 1. Cette hormone intestinale est sécrétée par des cellules situées notamment dans le colon et le duodénum en réponse à un repas. Entre autres, elle augmente la sécrétion de l’insuline et inhibe la vidange gastrique. En agissant sur le cerveau, elle réduit donc la prise alimentaire. Le tirzépatide mime quant à lui l’action du GLP1 et d’une deuxième hormone, le GIP. Cette dernière hormone comme le GLP-1 stimule la sécrétion d’insuline et agit sur l’hypothalamus, qui régule donc l’appétit.
Ceci illustre donc bien que tout ce qui a trait à la prise de poids ou l’obésité se passe au niveau du cerveau, observe le médecin de Saint-Luc. “En fait, on ne devrait pas opérer les gens dans leur estomac mais plutôt dans leur cerveau !”
Il est rejoint par de nombreux confrères comme Fatima Cody Stanford (Harvard Medical School) ou Sean Wharton, à l’origine des guidelines obésité au Canada, qui décrivent l’obésité comme “une maladie du cerveau”, déclenchée “par la chimie du cerveau, pas par le manque de volonté”.
Inconscient
”Comme notre comportement alimentaire est régulé dans des zones du cerveau (hypothalamus, tronc cérébral, système limbique) qui échappent à notre conscience, nous pouvons difficilement reconnaître les facteurs qui peuvent y altérer le mécanisme de régulation : stress, manque de sommeil…”, reprend Jean-Paul Thissen. En fait, il y a deux faims : d’une part, la faim homéostatique qui aide à garder un poids constant et qui est régulé dans le cerveau par l’hypothalamus qui reçoit des signaux de nos réserves de tissus adipeux (leptine) et, d’autre part, la faim hédonique, qui est aussi régulée dans le cerveau par des neurones très particuliers du système limbique. Elle me pousse à manger non parce que j’ai besoin de calories ou que j’ai maigri, mais parce que je recherche du plaisir. Comme nous sommes désormais entourés d’une nourriture appétissante et riche en calories, cette faim hédonique peut supplanter la première. Un médicament, l’Accomplia, ciblait d’ailleurs il y a quelques années la faim hédonique : les gens avaient moins de plaisir pour manger, donc maigrissaient, mais avaient moins de plaisir pour tout. Ils déprimaient et étaient suicidaires. Le médicament a été retiré du marché.”
Pourquoi certains et pas d’autres ?
Pour le médecin, l’obésité résulte en fait d’une interaction entre cet environnement obésogène et des facteurs génétiques. “La cause de l’obésité est un environnement obésogène qui n’est pas adapté à notre génétique. Notre environnement a changé et fait que nous bougeons moins et mangeons plus (transports motorisés, développement des fast-foods, ou même que nous chauffons davantage la chambre la nuit donc nous brûlons moins d’énergie…). Donc l’environnement fait en sorte que nous prenons du poids car nous sommes à la base construits pour lutter contre les famines et pas pour une civilisation d’opulence alimentaire, où une nourriture très appétissante et calorique est omniprésente. Ceci explique l’épidémie d’obésité actuelle. Mais pourquoi certains prennent du poids et pas d’autres ? Là, on pense que la génétique peut l’expliquer.”
Poids corporel hérité à 70 %
Le rôle de la génétique dans le développement de l’obésité a été initialement démontré par des études réalisées chez des jumeaux et chez des enfants adoptés. Le poids corporel est hérité, estime-t-on, à entre 40 et 70 %. Et un millier de zones dans des gènes sont associées à une susceptibilité à l’obésité, dont la majorité est exprimée dans le cerveau. Cette obésité “polygénique” commune est en général associée à une résistance à l’action de la leptine, une hormone qui contrôle la satiété et régule les réserves de graisses. “Un individu peut tirer toutes les mauvaises cartes génétiques ou toutes les bonnes… Deux personnes qui mangent la même chose pourront ainsi avoir une différence de 10 kg. Mais cela n’explique pas tout non plus, pourquoi quelqu’un va peser 150 kg. Outre ces mauvaises cartes, une autre raison potentielle, c’est que quand vous êtes malheureux et pauvre, manger est alors le seul plaisir… On en revient à la faim hédonique, liée au circuit cérébral de la récompense.”
Autre découverte dans le domaine de l’hérédité : une obésité de la mère en prégrossesse ou avec un gain de poids important durant la grossesse confèrent aussi un risque accru d’excès de poids à l’âge adulte, ce qui pourrait contribuer à une transmission transgénérationnelle de l’obésité. Un fœtus sous-nourri a aussi des risques d’être obèse une fois adulte. Les perturbateurs endocriniens sont aussi soupçonnés de jouer un rôle.
L’échec des “Biggest Losers”
Immense problème : une fois l’obésité constituée, elle tend à se maintenir. “La correction des erreurs alimentaires ne permet pas de restaurer le poids au point de départ, ce qui est très frustrant”, se désespère Jean-Paul Thissen. L’organisme défend le poids atteint, suivant ce qu’on appelle la théorie du “set point” Et les personnes en obésité défendent leur poids avec la même intensité que celles de poids normal. Exemple marquant : le service de santé britannique (NHS) a étudié les participants à l’émission The Biggest Loser. Au cours du show, ces personnes au départ obèses avaient perdu en moyenne 57 kilos. Six ans après leur apparition à la télévision, 13 des 14 participants ont repris une partie, la totalité ou davantage du poids qu’ils avaient perdu pendant l’émission. Et 6 ans plus tard, ils brûlaient environ 700 kcal de moins par jour qu’au début de l’émission. Juste pour maintenir leur poids, ils doivent dès lors dépenser 700 kcal supplémentaires ou réduire leur consommation de 700 kcal par rapport à ce qu’ils faisaient auparavant…
Cette défense du poids corporel est attribuée en partie à certaines réponses hormonales, notamment une diminution de la leptine et une augmentation de la ghréline, responsables d’une stimulation de l’appétit et d’une réduction de la dépense énergétique, favorisant ainsi la reprise de poids. Notons que des particularités génétiques peuvent influencer des particularités hormonales.
”On le voit, la volonté n’est pas suffisante, malheureusement, pour perdre du poids. L’obésité est encore trop souvent considérée comme un problème personnel lié à un manque de motivation à adopter une hygiène de vie saine, alerte Jean-Paul Thissen. C’est un problème, notamment chez mes confrères dont certains sont quand même des as de la stigmatisation, de la grossophobie. Ils disent aux patients : 'mangez moins bouger plus et tout va s’arranger'. Ce n’est pas vrai, malheureusement, ce n’est pas aussi facile que cela. Dans ce cadre, les médicaments anti-obésité peuvent donc être une aide.”