"Nous ne voulons pas être dépendants des autres": voici la réplique européenne au Starlink d'Elon Musk
Le Parlement européen vote ce mardi pour approuver la mise sur pied d’Iris2, une constellation de satellite de télécommunication 100 % européenne.
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Publié le 13-02-2023 à 17h42
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Avec la future constellation de satellites Iris2, les Européens auront accès à l’Internet rapide partout dans l’Union, y compris “dans les zones les plus reculées”. Finies les zones blanches ou mortes, donc. Mais ce n’est pas tout, cette constellation de satellites 100 % européenne offrira aussi des communications totalement sécurisées, en particulier aux services gouvernementaux. Les premiers services devraient être implémentés en 2024 – même si certains mettent en doute cette date très rapide que e la Commission assure qu’elle fera tout pour respecter – et le déploiement complet de la constellation est prévu pour 2027.
Le parcours législatif de cette initiative de la Commission et de l’Union européenne se clôture cette semaine. Le Parlement européen doit en effet voter ce mardi 14 février à Strasbourg la construction d’Iris2, acronyme de “Infrastructure de résilience, d’interconnectivité et de sécurité par satellite”. Le coût du projet est évalué à 6 milliards d’euros et un accord avait été trouvé fin 2022 après neuf mois de négociations entre le Parlement européen et les États membres sur les détails et la dotation. Celle-ci est composée de 2,4 milliards d’euros provenant du budget de l’UE, auxquels doivent s’ajouter 750 millions d’euros de l’Agence spatiale européenne (Esa). Le secteur privé doit boucler le financement. La première phase de la publication de l'appel d'offres est prévue dans le courant du mois de mars.
Après les constellations Galileo (GPS européen) et Copernicus (observation de la Terre), l’Europe disposera donc d’un “troisième vaisseau amiral” satellitaire, comme le secteur spatial européen le décrit, consacré cette fois aux télécommunications, qui seront en outre sécurisées.
La réponse aux cyberattaques
”À présent, avec la guerre à notre porte, ou en fait sur le territoire européen, il est clair pour tout le monde que la sécurité adopte une définition et une dimension complètement nouvelles, aussi dans l’espace, indiquait le patron de l’agence spatiale européenne (Esa), Josef Aschbacher, lors de la Space Conference à Bruxelles, qui a consacré une conférence à Iris2. Dans le passé, nous étions très timides en parlant de sécurité dans l’espace. Maintenant, je pense qu’il est clair pour les décideurs et pour tout le monde que l’espace et la sécurité doivent être beaucoup plus étroitement liés, mais nous avons pris des décisions et des budgets dans ce cadre. L’une de ces décisions est Iris2, visant à une communication sécurisée.”
Pour l’Esa, Iris est à la “réponse” aux “cyberattaques et à la géopolitique qui menacent notre monde actuel de plus en plus numérique et peuvent perturber des approvisionnements essentiels” tels que l’électricité et l’eau.
L’idée d’Iris est aussi de permettre de “maintenir les communications en cas de crash des infrastructures terrestres”, selon la Commission. “Les événements récents en Ukraine ont montré combien il était essentiel de disposer en tout temps d’une connectivité efficace”, souligne ainsi le commissaire européen Thierry Breton. La guerre en Ukraine a en effet mis en évidence la valeur stratégique des systèmes de communication par satellite, lorsque Moscou avait délibérément bombardé l’infrastructure de télécommunications de Kyiv. L’armée ukrainienne a en revanche pu bénéficier de la constellation Starlink pour ses communications, mais le patron Elon Musk menace régulièrement de réduire cette intervention. Dans le même genre, dans les scénarios d'urgence, on peut imaginer que les premiers intervenants pourraient utiliser ainsi leur smartphone de manière aisée malgré toute perturbation des réseaux terrestres.
Pratiquement, dans le cadre d’Iris 2, les communications gouvernementales satellitaires devant résister aux cyberattaques concerneront plusieurs grands domaines clés : la surveillance (terrestre et maritime, des frontières, la lutte contre les activités illégales, la surveillance des catastrophes environnementales potentielles…), la gestion des crises (la protection civile et les opérations humanitaires des catastrophes causées par l’homme…) et les infrastructures stratégiques. Celles-ci comprennent les centrales nucléaires (par exemple, la commande et le contrôle des réseaux intelligents), les digues, les barrages, les systèmes de transport essentiels (les aéroports, les grands tunnels ou les ponts), ainsi que les infrastructures de l’UE telles que Galileo et Copernicus. Des applications de défense sont aussi prévues ; notamment permettre la connectivité ultra-sécurisée des troupes au sol.
Sur les îles et dans les vallées
Dans le cadre de ce projet qui est un partenariat public privé, les entreprises pourront aussi fournir des services commerciaux, afin de développer l’internet haut débit, entre autres. Au niveau des citoyens européens, le but d’Iris2 est donc de pouvoir atteindre et couvrir en internet rapide les zones éloignées, les îles ou les vallées profondes, et donc d'avoir accès à Internet sans discontinuité. “Nous voulions entre autres avec cette constellation résoudre des problèmes que les citoyens expérimentent réellement, expose le parlementaire européen Niklas Nienass. L’un d’entre eux était les “liens manquants” dans les zones rurales. Dans beaucoup d’endroits en Europe, il n’y a pas de connectivité internet et les citoyens pourraient donc utiliser cela.” Cet internet rapide pourrait être mobile ou fixe.
Les entreprises réfléchissent d’ailleurs déjà à la facilité d’usage pour l’utilisateur. “Comment interagir avec ce système pour qu’il y ait un seul service, peu importe où je suis et la façon dont je suis connecté : par réseau de téléphone mobile, par satellite, peut-être que je suis sur un service sécurisé… Mais l’expérience de service serait la même pour l’usager. Cela, ce sera super important”, détaille Jurry de la Mar, directeur de la recherche de T Systems, filiale de Deutsche Telecoms.
Cet internet rapide pourrait aussi être utilisé par les constructeurs automobiles pour les voitures connectées ou encore pour les bateaux, avions et drones. Il permettra enfin la connectivité “dans des zones géographiques d’intérêt stratégique” pour l’Europe (Afrique, Arctique).
Autonomie
De manière générale, l’UE veut ne pas être prise de court par les projets similaires développés par les États-Unis et la Chine. “Nous croyons à une autonomie stratégique de l’Europe, avec un accès autonome à l’espace, cadre Christophe Grudler, parlementaire européen et rapporteur d’Iris2. On ne doit pas dépendre des autres. C’est une erreur que l’on a faite avec les Gafam (Google, Amazon etc.). On les a laissés faire, et maintenant, nous sommes complètement dépendants d’eux. C’est pour cette raison que l’on fait en sorte d’avoir notre propre constellation de satellites de télécommunications. Après la constellation Galileo, pour la géolocalisation – à l’époque on nous disait, “mais pourquoi vous faites ça, puisqu’il y a le GPS américain ?” Hé bien, c’était pour notre autonomie – et la constellation de satellites Copernicus, pour l’observation de la Terre, à présent, nous avons clairement besoin d’une constellation de satellites de télécommunications, pour être autonomes.”
Des orbites sont déjà prises ainsi que des fréquences. Iris devrait compter quelques centaines de satellites placés sur plusieurs orbites, contrairement à Starlink. Pour Josef Aschbacher, Iris est entre autres la “réponse européenne” au Starlink d’Elon Musk. “Mais si au final, cette constellation est un couper-coller de Starlink, on rate totalement notre but, prévient déjà Marc-Henri Serre, vice-président chargé des Télécommunications à Thales Alenia Space, qui fait partie des entreprises candidates. Il faut développer des technologies européennes, pour permettre aux pays européens d’avoir des biens souverains. En termes de technologies, nous parlons de traitement du signal, d’antennes actives, de cybersécurité pour l’entièreté du système, de lien intersatellites… Cela doit être développé en Europe, par des entreprises européennes avec l’aide de l’Esa et des institutions européennes. L’objectif n’est pas de faire un copier-coller de ce qui existe, mais d’aller plus loin : par exemple, on sait que miser sur les standards 5G pour la nouvelle constellation, ce serait une grande amélioration par rapport à ce qui existe Outre-Atlantique. Les technologies quantiques seront une grande marche à prendre, et il y a aussi la cybersécurité, qui est un must. Nous devons aller vite, nous sommes prêts.”
Pas de pollution lumineuse
Différents consortiums d’entreprises devront répondre à des appels à projet pour l’internet haut débit ou encore les technologies quantiques. En effet, ces technologies (cryptage de données sensibles…) utilisant les propriétés de la physique quantique pour fonctionner seront une botte secrète utilisée pour éviter les cyberattaques. “L’Europe a investi des centaines de millions d’euros sur la dernière décennie pour les technologies quantiques, une technologie émergente, précise Gustav Kalbe, directeur des infrastructures scientifiques à la Commission. Il y a dix ans, on avait déjà accès à des démonstrations qui prouvent que l’on peut utiliser les principes quantiques pour sécuriser des communications et en utilisant des satellites. Mais maintenant on arrive à un niveau de maturité de ces technologies. On peut vraiment exploiter le fait que l’on a Iris2 pour implémenter ces systèmes d’une façon plus réaliste.”
Autre particularité, le texte contient plusieurs critères de durabilité. “C’est original, insiste le député Christophe Grudler. Nous allons combattre la pollution lumineuse. Si on a des milliers des satellites qui reflètent la lumière du soleil, on ne sera plus capables d’observer les étoiles la nuit. Pour Iris2, ce sera interdit, vous serez obligés d’avoir une protection contre la pollution lumineuse.” Un autre critère concernera la limitation des débris spatiaux, afin de “ne pas laisser de traces derrière soi”, précise son collègue Niklas Nienass : “En fait, ou bien on fait un espace sans débris, ou bien on ne fait pas d’espace du tout. C’est l’un ou l’autre. L’Europe sera le premier acteur international à exiger des critères de durabilité, pour les entreprises qui intègrent ce projet d’Iris2 et faisant cela, nous installons des nouveaux standards au niveau mondial. En fait, on offre l’opportunité à toutes les entreprises qui seront en compétition pour Iris2 de résoudre des problèmes auxquelles elles devront de toute façon répondre dans le futur.”