On connaît l’épilogue de la vraie “opération Armageddon” : l’astéroïde dévié par la Nasa a perdu un million de kilos après la collision
Une moisson d’études parues ces derniers jours analyse sous toutes les coutures l’impact de la première mission de déviation d’un astéroïde. Notamment grâce à l’Observatoire européen austral.
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Publié le 21-03-2023 à 14h00 - Mis à jour le 21-03-2023 à 17h28
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Grâce à la science, on connaît désormais en détail l’épilogue de la véritable opération "Armageddon", du nom de ce film où Bruce Willis tentait de protéger la Terre d’un astéroïde menaçant. Le 26 septembre 2022, l'engin spatial Dart est entré en collision avec l’astéroïde Dimorphos durant un test contrôlé pour connaître nos capacités de déviation d’un astéroïde susceptible de heurter la Terre. Depuis, de nombreux scientifiques ont travaillé avec acharnement pour analyser une masse de données. L’impact provoqué sur le rocher spatial s’est en effet passé à 11 millions de kilomètres de la planète Terre, assez proche pour être observé en détail depuis de nombreux télescopes.
Par exemple, les quatre télescopes de 8.2 mètres du VLT de l’ESO (Observatoire européen austral) au Chili ont observé les suites de l'impact sur le corps céleste, et les premiers résultats de ces observations ont été publiés dans deux articles ce mardi. Ils permettent d’en savoir davantage sur la composition de cet astéroïde. On sait aussi désormais que le nuage éjecté juste après l’impact était constitué de particules très fines. Ensuite, dans les jours suivants, les matières éjectées, en forme d'amas ou de spirales, contenaient probablement des particules plus grosses.
Par ailleurs, des chercheurs ont aussi pu observer que lorsque le vaisseau spatial Dart a percuté l’astéroïde Dimorphos, le corps du vaisseau spatial s'est encastré entre deux gros rochers tandis que ses deux panneaux solaires ont percuté ces mêmes rochers. L’astéroïde a perdu 1 million de kilogrammes après sa collision avec le vaisseau spatial. Des poussières qui ont formé une queue, observée par le télescope Hubble, de 10 000 km !

En effet, il y a quelques jours, c’est l’efficacité de la technique d’impact qui a été détaillée dans plusieurs études, parues dans la revue Nature. À partir des données, l’équipe de recherche Dart, dirigée par le laboratoire de physique appliquée Johns Hopkins à Laurel, Maryland, a pu établir qu’une mission comme Dart "d’impacteur cinétique" - ce qui signifie simplement écraser une chose sur une autre chose - peut être efficace pour modifier la trajectoire d’un astéroïde. “Un grand pas vers l’objectif d’empêcher de futures frappes d’astéroïdes sur Terre”, selon la Nasa, qui l’affirme : “les données Dart valident l’impact cinétique comme méthode de défense planétaire” (défense contre les astéroïdes).
Entre autres, l’algorithme d’approche a fonctionné tout à fait adéquatement : l'engin spatial a pu établir sa position par rapport à l’astéroïde, corriger sa trajectoire et frapper le plus possible au centre de la cible. Les scientifiques ont même reconstitué l’angle d’impact précis. Les auteurs notent que le ciblage autonome réussi par Dart d’un petit astéroïde, avec des observations antérieures limitées, est une première étape essentielle sur la voie du développement de la technologie de l’impacteur cinétique en tant que technique viable pour la défense planétaire.
Sans mission de reconnaissance avancée
Leurs découvertes montrent aussi que l’interception d’un astéroïde d’un diamètre d’environ 150 mètres, tel que Dimorphos, peut être réalisée sans mission de reconnaissance avancée, bien qu’une telle possibilité donnerait des informations précieuses pour planifier et prédire le résultat. Ce qui est nécessaire en tout cas, c’est un délai d’avertissement suffisant avant que l'astéroïde n'approche la Terre – plusieurs années au minimum, mais de préférence des décennies. “Néanmoins”, déclarent les auteurs dans l’article, le succès de Dart “renforce l’optimisme quant à la capacité de l’humanité à protéger la Terre d’une menace d’astéroïde”.
D’autres scientifiques ont pu établir le changement de période après l’impact cinétique, c'est-à-dire le temps en moins mis par Dimorphos pour réaliser une orbite autour de son astéroïde jumeau Didymos : 33 minutes, plus ou moins une minute. Ce changement important indique que le recul du matériau excavé de l’astéroïde et éjecté dans l’espace par l’impact (connu sous le nom d’éjecta) a contribué à un changement d’impulsion significatif de l’astéroïde, au-delà de celui du vaisseau spatial lui-même. La clé de la technique de l’impact cinétique est en effet que la poussée sur l’astéroïde provient non seulement de la collision d’engins spatiaux, mais également de ce recul d’éjecta. Les auteurs concluent : “Pour servir de preuve de concept pour la technique de l’impacteur cinétique de défense planétaire, Dart devait démontrer qu’un astéroïde pouvait être ciblé lors d’une rencontre à grande vitesse et que l’orbite de la cible pouvait être modifiée. Dart a réussi les deux.”
En étudiant le changement de la période orbitale de Dimorphos, une troisième équipe a découvert que l’impact avait provoqué un ralentissement instantané de la vitesse de Dimorphos d’environ 2,7 millimètres par seconde – indiquant à nouveau que le recul de l’éjecta a joué un rôle majeur dans l’amplification du changement d’impulsion directement transmis à l’astéroïde par le vaisseau spatial. Ce changement d’impulsion a été amplifié par un facteur de 2,2 à 4,9 (selon la masse de Dimorphos). Cette découverte “[valide] l’efficacité de l’impact cinétique pour prévenir de futures frappes d’astéroïdes sur la Terre”, concluent les auteurs.
Aussi une connaissance des astéroïdes
"La valeur scientifique de Dart va au-delà de la validation de l’impacteur cinétique comme moyen de défense planétaire. En percutant Dimorphos, la mission a innové dans l’étude des astéroïdes", souligne la Nasa. Un autre étude détaille en effet comment l’impact a fait de Dimorphos un “astéroïde actif”, c'est-à-dire une roche spatiale qui orbite comme un astéroïde mais a une queue de matériau comme une comète. La mission Dart a en fait permis pour la première fois l’étude détaillée de la formation d’un astéroïde actif.
”Les astéroïdes sont quelques-uns des vestiges les plus basiques des éléments qui composent toutes les planètes et les lunes de notre système solaire,” explique de son côté Brian Murphy, doctorant à l’université d’Edimbourg au Royaume-Uni et co-auteur de l’une des études parue ce mardi. Etudier le nuage de matières éjectées suite à l’impact de Dart peut donc nous dire comment notre système solaire s’est formé. “Les impacts entre astéroïdes arrivent naturellement, mais on ne peut jamais les prévoir,” continue Cyrielle Opitom, astronome elle aussi à l’université d’Edimbourg et auteure principale de l’un des articles publiés ce 21 mars. “Dart est une très grande occasion d’étudier un impact contrôlé, presque comme dans un laboratoire.”
Cyrielle Opitom et son équipe ont suivi l’évolution du nuage de débris pendant un mois, avec l’instrument du VLT de l’ESO, MUSE (Multi Unit Spectroscopic Explorer). Ils ont constaté que le nuage éjecté était plus bleu que l’astéroïde lui-même avant l’impact, ce qui indique que le nuage pourrait être constitué de particules très fines. Dans les heures et les jours qui ont suivi l’impact, d’autres structures se sont développées : des amas, des spirales et une longue queue repoussée par le rayonnement du Soleil. Les spirales et la queue étaient plus rouges que le nuage initial, et pouvaient donc être constituées de particules plus grosses.

Une autre équipe, menée par Stefano Bagnulo, astronome à l’Armagh Observatory and Planetarium au Royaume-Uni, a étudié comment l’impact de Dart a altéré la surface de l’astéroïde. “La structure et la composition de l'astéroïde peuvent être révélée grâce à l'observation des changements de polarisation (lorsque les ondes lumineuses oscillent dans une direction privilégiée plutôt que de manière aléatoire) selon l’orientation de l’astéroïde par rapport à nous et au Soleil." Stefano Bagnulo et ses collègues ont utilisé l’instrument FORS2 sur le VLT pour surveiller l’astéroïde, et ils ont découvert que le niveau de polarisation a soudainement chuté après l’impact. Au même moment, la luminosité globale du système a augmenté. Une explication possible est que l’impact a exposé plus de matière vierge de l’intérieur de l’astéroïde. “Peut-être que la matière expulsée par l’impact était intrinsèquement plus lumineuse et moins polarisante que la matière à la surface, car elle n’a jamais été exposée au vent solaire et à la radiation du soleil,” dit Stefano Bagnulo. Une autre possibilité est que l’impact a détruit des particules à la surface, éjectant ainsi beaucoup de plus petites particules dans le nuage de débris.
En complément de MUSE et FORS2, les suites de l'impact ont été observé par deux autres instruments du VLT, et l'analyse de ces données est en cours.
