Raphaël Liégeois entame sa formation d’astronaute: “Je ne suis pas imperméable au stress. Pendant la sélection, j’ai passé des nuits blanches”
Ce lundi 3 avril, “le rêve devient réalité” pour le Belge Raphaël Liégeois. Le chercheur en neurosciences de 35 ans rejoint le Centre d’entraînement des astronautes à Cologne (Allemagne) pour commencer l’entraînement de base d’un an. Nous l’avons rencontré cette semaine, à Charleroi à l’occasion de la Journée du Big Bang où il donnait une conférence.
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Publié le 01-04-2023 à 21h00 - Mis à jour le 02-04-2023 à 19h54
À partir du 3 avril, le Belge Raphaël Liégeois entamera sa formation d’astronautes au Centre d’entraînement de l’Agence spatiale européenne (Esa), à Cologne (Allemagne). Ce désormais ancien chercheur en neurosciences fait partie des cinq Européens et Européennes sélectionnés le 23 novembre 2022 pour devenir astronautes de carrière. Entretien.
Qu’est-ce qui vous enthousiasme à l’idée de commencer cette formation à Cologne le 3 avril ?
C’est vraiment le rêve qui devient réalité, je dirais. Petit à petit, il y a une transition qui se fait depuis l’annonce (de la sélection). Mais ici lundi, nous allons vraiment commencer les cours, rencontrer les autres astronautes, les instructeurs etc. Donc cela va encore plus prendre corps. Et puis sur un autre niveau, j’étais ce matin avec des enfants de secondaire et c’était génial de voir leur enthousiasme. J’espère que cela va continuer comme cela. Et qu’on pourra se nourrir mutuellement de ce que je vis et de leur enthousiasme de devenir astronaute. Je me suis revu parmi eux à leur âge rêver devant les décollages de Dirk Frimout. J’étais un petit peu jeune pour m’en souvenir vraiment, mais cela a construit mon imaginaire.
Pour cette formation, vous savez déjà à quoi vous attendre ?
J’ai reçu le planning pour les deux premières semaines. Les premiers jours, ce sont des choses assez classiques : installer son ordinateur, son bureau, rencontrer le personnel du Centre des astronautes… C’est la machine qui démarre. Ensuite, nous aurons quelques cours à propos de différents sites de l’Agence spatiale européenne. Pour la suite, je sais que nous allons visiter les différents sites et les différentes agences spatiales européennes, avoir des cours un peu plus théoriques sur le vol spatial, des cours de langue également, des cours de survie – on va aller en Suède pour ces exercices – et de team building.
Avez-vous des craintes, des appréhensions, pour cette formation ?
J’espère que tout se passera comme prévu. Mais sinon non, je pense qu’on est très bien accompagnés. S’il y a quelque chose de très compliqué ou avec lequel on a du mal, il y a les ressources nécessaires, des gens à qui parler, pour que cela ne soit plus un problème. […]
Ce n’est pas que je n’ai pas peur. Je me dis que je vais travailler et faire tout ce qu’il faut pour y arriver. Et je sais, pour l’avoir vu lors de la sélection déjà, qu’on est assez bien accompagné. On est quand même dans un cadre très privilégié au centre des astronautes qui, en gros, est conçu pour nous former au mieux. Évidemment, il y aura des moments où je me dirai “Mais c’est quoi, ce truc ? Je ne comprends rien, c’est difficile”. Mais je suis déjà passé par des étapes comme cela : on travaille, on va demander de l’aide si besoin et je sais que l’aide est disponible. Ils ne sont pas là pour nous casser ! Ce n’est pas leur intérêt !
Y a-t-il cependant un défi particulier ?
Le russe. J’ai l’impression (que c’est une langue compliquée, NdlR). Je vous dirai quoi dans les prochains mois !
Vous devrez aussi vous entraîner aux sorties extravéhiculaires (hors du vaisseau spatial, directement dans l’espace). Entraînements qui se font engoncés dans une combinaison en immersion dans la piscine du centre d’entraînement à Cologne. L’instructeur Hervé Stévenin nous disait qu'” au niveau physique, l’entraînement à la sortie extra-véhiculaire est une des choses les plus dures qu’un astronaute peut faire”. Vous le redoutez ?
Je n’ai pas encore vu la piscine. Je suis déjà allé au centre des astronautes, mais juste pour faire les tests (lors de la sélection, NdlR). Et j’ai en effet entendu Thomas Pesquet dire que c’était physiquement très très dur. Mais pendant les premières semaines, il y a une évaluation de la condition physique avec un programme personnalisé pour se préparer notamment, je pense, aux sorties extra-véhiculaires. Même si celles-ci ne sont pas pour tout de suite, l’entraînement viendra sans doute plus rapidement !
Vous avez en tout cas déjà dû passer des tests physiques lors de la sélection. En quoi consistaient-ils ?
Ce n’était rien de très compliqué, mais cela a duré une semaine complète où nous avons passé tous les tests médicaux possibles et imaginables. Le test de la vue a par exemple duré presque toute une journée : vision normale, vision de nuit, vision en 3D, vision couleur, photo du nerf… En gros, l’idée était de voir si on était en bonne santé, mais il faut ne pas courir un marathon en trois heures ! Il ne faut pas avoir une condition physique de dingue, mais ils (l’Esa) misent tout de même sur nous dans les 20 prochaines années. Donc l’idée est d’avoir des personnes qui ont de faibles risques de développer des maladies embêtantes. Mais nous n’avons pas été placés en centrifugeuse par exemple, c’était assez basique !
Depuis que vous avez appris votre sélection, et en prévision de cette arrivée à Cologne et de ces efforts physiques, avez-vous adopté ces derniers mois un régime de vie particulier (alimentation, sommeil etc.) ?
C’est plutôt dans l’autre sens ! Pendant la sélection et surtout pour les tests médicaux, j’ai fait vraiment attention à essayer de vivre le plus sainement possible, justement pour ne pas avoir une prise de sang un peu… Depuis, je fais comme d’habitude, mais il y a Noël qui est passé entre-temps ! J’essaie en tout cas de courir une heure tous les jours.
On vous voit très détendu ! Vous êtes aussi sélectionné pour votre résistance au stress et cela sera aussi une part importante de la formation d’astronaute. Comment fait-on pour résister au stress ?
Je ne dirais pas que j’ai une recette miracle. Par exemple, pour tout vous dire, je n’ai jamais eu de problèmes pour dormir avant un examen. Mais pendant les étapes des interviews (lors de la sélection), là, j’ai passé des nuits blanches ! Donc je ne suis pas complètement imperméable au stress. Durant ces interviews, c’était assez stressant. Il y avait quatre ou cinq personnes devant nous dont Frank De Winne (astronaute belge et responsable du Centre d’entraînement, NdlR), par exemple, qui est pour moi est une source d’inspiration et quelqu’un d’assez impressionnant. Donc pendant l’heure à parler avec ces personnes, il faut gérer et contenir son stress. En plus de la nuit blanche ! Ce panel voulait aussi savoir si dans notre parcours nous avions vécu des situations de stress. Et là, je pense que des expériences de vol (Raphaël Liégeois est pilote de montgolfière, de ballon à gaz et de planeur, NdlR) avec des conditions qui ne sont pas très bonnes et où l’on doit réaliser des atterrissages d’urgence, sont des éléments qui ont pu jouer.
Frank De Winne, justement, a cette formule un peu humoristique : “Pour être un bon astronaute, il faut savoir faire trois choses : lire, travailler avec ses mains et ne pas prendre d’initiative. Les astronautes au fond, ce sont des fourmis ouvrières et des exécutants.” Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Que Frank De Winne a le sens de la formule et beaucoup d’humour, ce que j’ai pu voir dans les quelques échanges que nous avons eus depuis l’annonce (de la sélection). Et sinon oui, je pense qu’être astronaute, c’est être un technicien très qualifié. Une grande partie du travail consiste à savoir suivre les instructions. Et puis évidemment, il y a le commandant de bord qui prend les décisions et qui doit emmener tout un équipage, mais il s’agit d’une seule personne sur les sept à bord. Sinon, il faut être capable de suivre en se taisant et en faisant ce qu’on nous dit de faire. L’Esa cherchait aussi des personnes qui se sont déjà trouvées dans des situations où il est important de se comporter ainsi. J’ai réalisé des vols en montgolfière et je sais que le pire cas est celui où il y a trois pilotes à bord et que personne ne décide vraiment ce qu’on fait. C’est dans ces cas-là que l’on fait des bêtises. Le vol n’est pas le seul contexte : les projets scientifiques nécessitent quelqu’un qui est un peu plus leader et puis d’autres qui sont davantage exécutants. Personnellement, je suis confortable dans les deux situations.
On voit aussi un peu les astronautes comme des surhommes…
J’ai vu par exemple sur Wikipédia que je parlais cinq langues, mais ce n’est pas vrai : je parle trois langues à peu près correctement : anglais, français et néerlandais (un petit peu). Et à part cela, je comprends un petit peu d’allemand et d’italien mais vraiment la base. Il ne faut pas savoir parler six langues pour être astronaute ! J’ai l’impression que c’est un peu un fantasme qu’on projette sur les astronautes… Du coup, il n’y a rien de surhumain. En Belgique, il y a beaucoup de gens qui parlent trois langues. Et pour les tests, il n’y avait rien de très compliqué en soi ni de “surhumain”, mais il y en avait beaucoup et il fallait être dans la bonne moitié pour tous. L’Esa cherchait en fait un profil complet : quelqu’un avec des compétences techniques, une capacité à travailler en équipe, une capacité de communication, une certaine dose de curiosité pour différents domaines.
Vous étiez en tournée toute cette semaine, l’idée était aussi d’inspirer les jeunes pour qu’ils suivent le trajet de la science…
Si je les inspire, c’est très bien, mais je ne suis pas là à leur dire 'il faut faire des sciences'. Disons que pour moi, cela a été quelque chose que j’ai adoré, qui a été central dans ma vie. Les sciences en général, les maths – j’aime beaucoup les mathématiques. Les sciences, c’est quelque chose de très beau, de très amusant à faire et qui a beaucoup de sens aujourd’hui. Je pense que ma génération – mais peut-être encore plus la génération actuelle – se dit : “bon qu’est-ce qu’on va faire de notre vie, dans quoi va-t-on investir notre énergie et notre temps ?” Je suis devenu chercheur en neurosciences car il y avait des maths mais aussi parce que cela permettait de répondre à des problèmes de société très concrets comme les maladies neurodégénératives. Donc si je peux faire passer ce message-là, que les sciences, c’est un espace de créativité génial mais aussi quelque chose qui est porteur de beaucoup de sens, je suis très heureux.
Que vous soyez devenu astronaute est aussi important pour la Belgique, c’est une publicité pour le pays. Et une fierté pour vous ?
Je suis très fier de représenter la Belgique dans l’espace, je me sens plus belge que wallon ou autre chose. On dit parfois “l’astronaute wallon”, cela m’embête toujours un petit peu ! Et c’est peut-être parce que cela fait huit ans que j’habite à l’étranger. Peut-être que lorsqu’on vit en Belgique, on a plus le nez sur les différences entre Wallons et Flamands. À l’étranger, des réunions de Belges – de Flamands, de Wallons – étaient souvent organisées et on était toujours très contents de se retrouver ensemble, pour discuter de la Belgique, la belgitude… Il y a quand même quelque chose de spécial. […] Je suis un astronaute belge, il faut s’adresser à tout le public belge. C’est pour cela que j’ai travaillé mon néerlandais à fond pendant la sélection – pour n’avoir aucune question en néerlandais au final, mais ce n’était pas pour rien, car je l’utilise maintenant !
Vous êtes aussi marié et papa de deux petites filles. Pendant ces années à venir, comment pensez-vous concilier vie familiale et formation d’astronautes ? On imagine que la question va se poser…
La question se pose tout à fait. On nous a dit qu’une des parties les plus difficiles du métier d’astronaute était d’avoir une vie de famille équilibrée. La première chose, en tout cas pour moi, cela a été d’en faire un projet de famille depuis le début. Au début (lors de l’appel à candidature), j’en avais évidemment parlé à ma femme et elle m’avait dit : “Oui, si tu veux, amuse-toi” – sachant qu’il y avait 23 000 candidats au départ (sourire). Et puis au fur et à mesure que cela avançait, elle était très contente pour moi. Elle voit que c’est quelque chose qui me tient et m’a tenu à cœur car je me suis donné à 150 % dans la préparation. Je pense que l’idée est vraiment de faire de cela un projet de famille, une opportunité aussi pour la famille. Et que cela va nous permettre de surmonter les longues heures de travail pour moi. Mais c’est clair que c’est un challenge ; on va apprendre, un peu comme pour le reste ! Mais nous sommes aussi accompagnés par des personnes qui sont passées à travers cela. Frank De Winne a vécu la même chose, il a aussi des enfants.
Avez-vous justement essayé d’expliquer à vos filles “Papa va devenir astronaute” ?
Non, elles sont vraiment jeunes (rire). Pour rire, l’autre jour, on se baladait en rue avec ma fille et je lui montrais la lune en disant qu’un jour peut-être j’allais peut-être aller là-bas. Elle a regardé mais on mangeait une glace et elle était plus intéressée par la glace ! On essaye comme ça de glisser des messages.
En parlant des missions, les premières, même dans l’ISS, risquent d’arriver dans plusieurs années. Vous n’avez pas peur de cette attente ?
On nous a dit que c’était quelque chose de difficile à vivre. Dirk Frimout avec qui j’étais ce mardi matin disait qu’il a attendu 20 ans. Thomas Pesquet a attendu 8 ans. Mais je pense que beaucoup de personnes n’auraient pas de problèmes d’attendre 8 ans pour avoir la carrière de Thomas Pesquet. C’est un peu la même chose ici, je sais que ça fait partie du “deal” entre guillemets…
Avec votre sélection, vous êtes devenu célèbre du jour au lendemain. C’est bouleversant ? Est-ce difficile à vivre ?
Pour l’instant, ce n’est pas encore trop fort. On nous a dit que ce qu’on vit là, c’est une vaguelette par rapport à ce qu’on vivra une fois qu’on aura volé. Donc non, si ce n’est que parfois c’est un peu frustrant de pas pouvoir répondre à tous les messages. Je reçois beaucoup de messages très touchants d’enfants qui veulent me rencontrer, par exemple. Et évidemment, je m’identifie à eux. Je me dis si j’avais été eux, j’aurais adoré passer une demi-heure avec moi. Mais je ne peux physiquement juste pas dire oui à tout le monde. J’espère que les gens comprennent que je fais de mon mieux pour que ça reste un plaisir pour moi et un plaisir pour tout le monde. Et pour satisfaire un maximum de monde.
Pour vous, le voyage dans l’espace, c’est aussi quelque chose de “spirituel” ?
C’est une très bonne question. En ce qui concerne, la question du voyage dans l’espace et le lien à la spiritualité, je suis un peu flou sur tout ça à la fois. C’est un peu difficile de d’être complètement rationnel quand on lève les yeux au ciel et qu’on voit toute cette beauté. Et en même temps, je ne suis pas spécialement dogmatique sur quoi que ce soit. Disons que lorsque je regarde tout ça, j’ai plus de questions que de réponses…