Toutes les épreuves qui attendent Raphaël Liégeois à “l’école des astronautes” : “à la fin de l’année, ils seront contents que c'est terminé”
L’Agence spatiale européenne dispose d’un centre d’entraînement pour ses astronautes à Cologne (Allemagne). La nouvelle sélection l’intègre lundi. Visite en avant-première des installations et aperçu des différentes défis qui attendent notre compatriote sélectionné pour être astronaute de carrière, Raphaël Liégeois.
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Publié le 02-04-2023 à 11h02 - Mis à jour le 02-04-2023 à 11h39
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Dans le hall d’entrée lumineux du Centre d’entraînement des astronautes à Cologne, entre un sac de couchage utilisé par les habitants de la station spatiale internationale et une réplique de la navette américaine, se trouvent, accrochées au mur, les photos de chaque astronaute européen depuis le premier d’entre eux en 1982. On trouve bien sûr parmi ces 44 visages les Belges Dirk Frimout et Frank De Winne. Leur successeur Raphaël Liégeois (ni ses futurs camarades de classe) ne s’y trouve pas encore. Notre compatriote n’aura cet honneur qu’à la fin de son entraînement de base, qui débute dans ces bâtiments ce lundi 3 avril et devrait se clôturer vers mai 2024.
L’ancien chercheur en neurosciences de 35 ans, sélectionné avec quatre autres Européens parmi 23 000 candidats pour devenir “astronaute de carrière” retrouvera cependant à Cologne Frank De Winne, et pas seulement en photo. Ce dernier sera le “boss” de Raphaël Liégeois, en tant que responsable de “l’école des astronautes”, le centre d’entraînement (CEA) de l’agence spatiale européenne (Esa). ” Ce qui j’ai envie de dire à Raphaël Liégeois à l’occasion de sa rentrée ? C’est une belle carrière, apprends beaucoup et amuse-toi aussi”, dit Frank De Winne, qui énumère les grandes priorités à transmettre à ses futurs étudiants durant ce basic training. “Il y a l’aspect général : le fonctionnement du corps humain, la spécificité du travail d’astronautes…. Le deuxième aspect, ce sont les connaissances sur la station spatiale internationale et son fonctionnement et puis troisièmement ce qu’on appelle le skills basic training : un entraînement qui donne les aptitudes nécessaires pour mener des tâches complexes dans l’ISS. Il y a d’abord une partie en classe mais très vite, on met les astronautes dans des simulateurs ou devant les payloads (différents équipements présents dans l’ISS) qu’ils vont devoir opérer.”

En effet, si le bâtiment extérieur, situé sur le “campus” de la DLR (l’agence spatiale allemande), avec sa façade vitrée, aurait tout à fait sa place dans n’importe quel zoning économique en Belgique, l’intérieur n’a rien de banal : passé le hall d’entrée, si l’on pousse quelques portes sécurisées, on débouche dans le grand “hall d’entraînement”. Dans cette grande salle au haut plafond, sont dispersées des sortes des “bidons” métalliques géants, d’une dizaine de mètres de long et de 4 à 5 mètres de diamètres.

Deux de ces cylindres sont les répliques parfaites du laboratoire Columbus, une des parties “européennes” de l’ISS, où les astronautes mènent des expériences dans l’espace, à la demande de scientifiques restés au sol. Ici, dans la réplique, les “murs” sont d’ailleurs couverts de matériel, que ce soit des ordinateurs portables – des attaches sont prévues en dessous pour les pieds pour ne pas flotter et pouvoir rester debout – ou ces “boîtes à gants”, containers où sont fixés des gants montant jusqu’aux épaules et qui permettent de manipuler une expérience de manière protégée.

Lors de la première année, dans cet espace vital de 50 m2, les élèves apprendront à s’orienter dans ce module, identifier les équipements et leurs fonctions, manipuler le sous-système informatique du module, via les mêmes ordinateurs portables que ceux installés dans l’espace… Frank De Winne s’amuse à dire que pour devenir un bon astronaute, il faut apprendre à savoir lire, à se servir de ses mains et à ne pas prendre d’initiatives. “Lors d’un jour nominal (sans incident, NdlR) à la station, l’astronaute dispose d’une timeline dans un ordinateur qui décrit minute par minute quelle tâche il doit réaliser, décrit-il. On ouvre la timeline, où il est écrit : voici la tâche que tu dois mener. Une procédure y est attachée. Tu ouvres la procédure, tu la lis et tu l’exécutes. Si quelque chose ne fonctionne pas comme dans la procédure, tu stoppes et tu appelles le sol. Voilà les tâches quotidiennes des astronautes ! Cela dit, on s’entraîne aussi à prendre des initiatives en cas d’urgence – il y a là aussi beaucoup de procédures.” Ces répétitions au sein du “faux module” ne se mènent pas toutefois durant la première année mais le plus proche possible du véritable vol, afin que “tout reste frais dans le cerveau des gens”.

Dans le grand hall d’entraînement, de petites salles de formation sont aussi aménagées le long des murs. Juste à côté du module Columbus se trouve celle dédiée à la réalité virtuelle. Dans cette “boîte noire” pourvue d’écrans, les candidats astronautes chausseront des lunettes de RV qui recréent la station spatiale et permettent d’avoir un aperçu de la vie en apesanteur. Le but : apprendre à s’orienter dans la station, s’habituer à bouger d’un point A à un point B dans un monde où il n’y a ni "haut” et ni "bas”. “Pour la robotique – apprendre à faire voler un bras robotique dans l’espace, par exemple – , nous utilisons aussi la réalité virtuelle, mentionne aussi Frank De Winne. Cela offre un environnement plus réel pour s’entraîner avec les instruments. Pour la robotique, ces simulateurs spécifiques permettent d’avoir l’environnement de la station autour de soi. Lorsque j’ai réalisé ma formation d’astronautes, c’était sur un petit écran d’ordinateur ! Pour le reste, la méthodologie est plus ou moins restée la même… Par rapport à l’époque de ma formation, très peu de choses ont changé.”
Pas vraiment Aqualibi
Équipement majeur du Centre, l'"installation de flottabilité neutre” existait en effet par exemple déjà en 2001 du temps du “candidat astronaute” Frank De Winne, même si elle a été reliftée plusieurs fois depuis.
Aménagée au rez-de-chaussée du centre et pour l’instant bien protégée par sa bâche, cette piscine intérieure de 10 mètres de profondeur et de 3,7 millions de litres affiche une eau à 28°C. Mais c’est tout sauf “Center Parcs”. Ici, les astronautes souffrent. Ils doivent s’engoncer dans un costume spécialement conçu mimant une combinaison spatiale et réaliser des exercices sous l’eau dans et autour d’une réplique du module Colombus, qui pour l’instant est au sec au bord de la piscine mais qui sera immergée lors de l’entraînement.
“Le but de cette piscine est de simuler l’apesanteur. Nous n’avons pas d’autre moyen de simuler le fait de flotter dans un environnement. La seule possibilité est de le faire dans l’eau. Les astronautes s’y exercent aux sorties extra-véhiculaires, c’est-à-dire lorsqu’ils sortent de l’ISS et travaillent en zéro gravité, explique Kris Capelle, responsable de l’Unité chargée de former les astronautes de l’ISS à Cologne. Cet entraînement est très difficile parce que vous travaillez contre la pression de l’eau (ou dans l’espace, contre la pression négative de l’espace). Votre combinaison spatiale est gonflée par une pression interne, et cette différence de pression de l’intérieur vers l’extérieur de la combinaison spatiale rend la combinaison spatiale très difficile à déplacer. Donc, chaque mouvement qu’ils font est comme si nous, nous allions à la salle de fitness et soulevions des poids. Au bout de quelques heures, ils sont vraiment très fatigués, ils perdent beaucoup d’eau, ils doivent donc boire aussi (ils ont de l’eau à l’intérieur de la combinaison). C’est une tâche très difficile.”

À quoi cela sert-il ? “La première année, dans cette piscine, ils ne se préparent pas pour une mission spécifique, ils doivent apprendre des techniques de base, détaille Frank De Winne. Il y a par exemple beaucoup d’aspects liés à la sécurité. Un astronaute doit toujours être sécurisé deux fois à la station (il faut deux points de contact avec celle-ci : mains et cordon de sécurité, NdlR) parce qu’une fois que tu te détaches de celle-ci, dans l’espace, tu es parti ! Tu ne sais pas revenir. Tu ne peux pas marcher. Il n’y a pas de route !”
Gros gants et dextérité
Autre élément, plus technique : les élèves apprennent, toujours en immersion et malgré des gants épais, à connecter et déconnecter des connecteurs électriques ou de fluides. “On le fait dès la première année car tous les connecteurs sont plus ou moins les mêmes. On apprend aussi à opérer une sorte de pistolet, une sorte de foreuse pour monter et démonter les équipements à l’extérieur de la station. Tout ça doit être bloqué, c’est très spécifique, ce n’est pas comme dans un mur où on fore jusqu’à ce que cela nous semble bon !” Il faut aussi apprendre à ne pas lâcher ses outils : “on dispose de ce qu’on appelle la portable work station, une sorte de station à disposition devant soi sur la combinaison de sortie extra-véhiculaire. Tout ce que l’on fait doit être sécurisé là-dessus. Sinon, si tu prends quelque chose et si tu le lâches, cela flotte et tu l’as perdu. Et si tu n’as pas de chance, c’est un outil dont tu avais besoin. Et tu ne peux donc plus remplir la mission !”

Mais qu’on ne s’y trompe pas, le plus clair de leur temps, les candidats astronautes le passeront ici, au premier étage du Centre, dans cette pièce avec vue plongeante sur le hall d’entraînement : la salle de classe, avec ses tables, ses chaises et ses tableaux à feuilles mobiles. Les astronautes de première année apprendront, en vrac – outre le media training et à prendre de bonnes photos ou vidéos à destination du public lorsqu’ils seront dans l’ISS- le droit de l’espace, l’ingénierie aérospatiale, des compétences médicales de base, la science des matériaux, la science des fluides, l’observation de la Terre, les sciences de la Terre, de l’astronomie et l’astrophysique… Cinq jours sur sept, de 8 heures 30 à 17 heures 30 sans compter les moments d’études personnels.

C’est clair, admet Frank De Winne, il y a une masse de connaissances à faire rentrer dans les crânes : “Mais nous avons justement choisi des gens qui ont une capacité d’apprendre de nouvelles choses dans des périodes très courtes. Nous les avons d’ailleurs testés là-dessus (à côté de leurs capacités, leur CV, leur carrière). Via des tests psychomoteurs, de mémoire, d’intelligence, comme les petits tests QI qu’on trouve sur Internet… Durant cette année, la difficulté va dépendre de chaque personne. Un médecin aura peut-être plus difficile avec certaines techniques opérationnelles, un pilote, à apprendre comment le corps humain fonctionne. Pour moi, le plus difficile au début était d’apprendre le russe.”
Niveau standard pour toutes les agences spatiales
”Nous essayons que les cours soient intéressants, interactifs et de varier les journées, complète Kris Capelle. Le but de ces cours est que les astronautes soient prêts pour la formation du niveau suivant, plus spécifique. Nous essayons en fait d’amener tout le monde à un certain niveau minimum, sur des sujets dont ils n’étaient jusqu’ici pas des experts. Ils doivent en effet pouvoir comprendre les tests qu’ils mèneront dans la station pour les scientifiques, pour les universités. Le niveau demandé correspond à un standard international, pour toutes les agences spatiales. Nous ne faisons pas de vrais examens comme à l’école, mais nous testons leurs capacités lors d’exercices pour voir s’ils peuvent appliquer ce qu’ils ont appris. Ils ont été sélectionnés donc ils sont très très bons. Si à un moment, cela ne se passe pas de façon idéale, on répète la leçon et on ajoute des heures d’entraînements pour que chacun soit capable de réaliser les tâches.” Et de poursuivre : “Il n’y a rien d’extrêmement difficile à apprendre. Le plus difficile durant cette première année, c’est qu’ils ont un emploi du temps très chargé, très dense, pendant un an sans presque aucune pause. C’est une année difficile avec beaucoup d’entraînement. Et donc oui, à la fin, ils seront très contents que ce soit terminé !”

Les astronautes passeront aussi six heures par semaine dans la salle de sport, aux grandes baies vitrées. Avec ses appareils de musculation, ses poids bien alignés et ses tapis de course, le centre de fitness du CEA a tout de la salle de gym classique. Mis à part peut-être son tapis de course “anti-gravité”, conçu à la base par la Nasa et qui, en emballant le bas du corps dans une sorte de tente gonflée réduit le poids du corps, comme dans l’espace. Mais celui n’est pas forcément le plus utilisé. “Nous ne voulons pas de bodybuilders mais nous voulons des gens en forme, ajoute Kris Capelle. Mais il ne faut pas seulement des muscles, il faut aussi avoir un bon “cardio”. L’ensemble du système vasculaire doit être en très bon état. Le Centre dispose d’ailleurs de toute une équipe de conditionnement physique qui s’assure qu’au moment où nos astronautes volent, ils soient dans la meilleure forme possible pour leurs exercices. De manière générale, nous devons nous s’assurer qu’ils sont en forme physiquement et mentalement. Nous avons donc un important service médical ici, avec plusieurs médecins et un groupe d’employés qui assistent les médecins et soutiennent les astronautes au sol et lorsqu’ils sont dans l’espace.”
Survie et gestion du stress
La gestion du stress et la résistance à celui-ci font d’ailleurs partie intégrante de la formation. Durant cette année, ils suivront un cours dédié “au comportement et aux performances humaines”. Le but est de comprendre ce qu’est le stress, comment le reconnaître au premier signe chez soi et ses collègues, comment y réagir… “Ensuite, nous réalisons une sorte d’exercice de survie en mer et un exercice de survie en hiver, pendant la formation de base, détaille Kris Capelle. Par exemple, en survie hivernale, l’une des tâches principales est… de survivre. Ils recevront donc des cours de formation au début sur la théorie, comment faire du feu, comment trouver de la nourriture… Nous irons probablement quelque part très haut en Europe du Nord, où il fait très froid et où il y a beaucoup de neige. À un certain moment de l’entraînement théorique, nous les laisserons quelque part dehors en petits groupes. Ils connaîtront donc le stress de ne pas avoir à manger, de ne pas pouvoir dormir ou en tout cas de ne pas avoir beaucoup de sommeil. Ils devront trouver leur nourriture et s’entraider. C’est l’un des exercices que nous faisons pour créer aussi du team building. Mais il peut aussi s’agir d’activités sportives ou toutes activités de groupe, pour susciter une ambiance de groupe, un esprit d’équipe, mais aussi pour créer du leadership et ensuite voir comment les gens réagissent en cas de stress. Dans la phase suivante de la formation, nous organisons aussi d’ailleurs un exercice combiné où ils disparaissent dans une grotte pendant une semaine, et y travaillent sans aucun contact avec l’extérieur. Mais ils sont bien sûr déjà sélectionnés sur ce critère de résistance au stress. Ils sont donc déjà très bons. Ils ne commenceront pas à flipper au moindre problème.”

Ces liens interpersonnels peuvent aussi se créer au centre durant la formation. L’Esa explique avoir voulu le site – plutôt compact – cosy et chaleureux. Les candidats disposent ainsi sur place d’une cafétéria, où ils prendront leur premier café lundi matin. Mais ils disposent de leur propre logement en dehors du centre, choisi par eux-mêmes, mais avec l’aide du service de relocation de l’Esa. Les candidats astronautes (A2) sont payés comme un “junior engineer” ou “junior scientist”, explique Frank De Winne, soit autour de 5500 euros nets par mois, selon la grille publique.

Lorsque la formation d’un an sera terminée, “ils seront prêts à être assignés à un vol, indique Frank De Winne. Ceux qui sont à ce moment assignés à un vol vont commencer leur entraînement spécifique pour le vol et voleront ensuite. Une personne va certainement commencer presque tout de suite. Mais nous disposons d’un vol par an à peu près. Tous les astronautes ne vont donc pas voler en même temps au début. Donc certains vont continuer quasi tout de suite et d’autres vont devoir attendre. La pause peut être d’un an, deux ans, quelques années.” Les autres exerceront un autre métier à l’Esa comme le support à leurs collègues dans l’espace, au centre de Cologne, ce qui leur permettra aussi de pouvoir y maintenir leur forme physique.