La plus grande et la plus puissante fusée de l’histoire doit faire son premier vol dès lundi : "C'est vraiment un game changer"
La fusée Starship de Space X, destinée à envoyer les humains sur la Lune et sur Mars, doit réaliser son premier vol test ce lundi après-midi.
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Publié le 15-04-2023 à 07h37 - Mis à jour le 20-04-2023 à 14h29
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Oubliée la gigantesque Saturn V qui avait amené les premiers humains sur la Lune en 1969. Battu, le “monstre” SLS qui a fait le tour de la Lune il y a quelques mois et réalisera à nouveau des vols habités autour de notre satellite naturel à la fin de l’année 2024. La nouvelle fusée de la société spatiale américaine Space X bat, elle, tous les records.
Le lanceur Starship mesure 120 mètres de haut, est capable de transporter une charge utile de 100 à 150 tonnes, pour une poussée au décollage de 7600 tonnes, exerçant ainsi plus de puissance que n’importe quelle fusée dans l’histoire, doublant quasiment le record de la SLS. C’est aussi la plus grande. Tiendra-t-elle ses promesses ? On pourrait le savoir aux alentours de 14 heures heure belge, ce lundi. La société d’Elon Musk a reçu dans la nuit de vendredi à samedi (heure belge) l’autorisation de la FAA, l’administration fédérale américaine de l’aviation pour un premier vol test. Space X veut réaliser ce premier vol orbital ce lundi 17 avril, avec une fenêtre de tir qui s'ouvre à partir de 14 heures lundi. Elle durera 150 minutes.

”Starship est complète”, avait déjà indiqué l’entreprise spatiale la semaine dernière. Sur le pas de tir, la fusée comporte tous ses étages. L’entreprise avait conduit en février, sur sa base de Boca Chica, dans l’extrême sud du Texas, un impressionnant test des 33 moteurs Raptor du premier étage de Starship, baptisé Super Heavy et haut de 69 mètres. Seul le deuxième étage (ou plus exactement d'autres du même modèle) de la fusée a effectué des vols tests suborbitaux, dont plusieurs s’étaient terminés en d’impressionnantes explosions. Starship a été choisie par la Nasa pour faire atterrir ses astronautes sur la Lune lors de la mission Artémis 3, qui doit officiellement avoir lieu en 2025.
”Starship est un lanceur exceptionnel du point de vue de ses dimensions, du fait qu’il est entièrement réutilisable et qu’il va vers la Lune. Elon Musk applique les mêmes règles d’ingénierie que tout le monde, mais c’est rusé, extrêmement bien dessiné et conçu. Musk est un excellent ingénieur, de la classe des Wernher Von Braun ou Korolev. remarque Christophe Bonnal, expert à la direction de la stratégie au Cnes, l’agence spatiale française. Starship est un mégalanceur, c’est-à-dire un des rares lanceurs de la classe des 3000, 4000, 5000 tonnes au décollage : il pèse 5000 tonnes au décollage, contre 2700 tonnes pour la SLS (première version). Starship est entièrement réutilisable. La fusée a deux étages, ce qui n’est pas beaucoup, car souvent, elles, en ont trois, quatre ou cinq. Le premier étage décolle grâce à 33 très gros moteurs de 250 tonnes de poussée chacun – c’est une poussée phénoménale. Les moteurs brûlent leur carburant pendant quelques minutes et puis l’étage revient se poser au point de départ. Au retour, il est attrapé au vol avec des espèces de baguettes chinoises (les “chopsticks”) et posé délicatement sur son interface au sol directement et prêt à à être rerempli et à repartir. C’est assez balèze !”
Le deuxième étage, équipé de six gros moteurs Raptor, après qu’il est séparé de son premier étage, se dirige lui en orbite, où il remplit sa mission, qui peut varier (lancer de satellites, aller vers la Lune, ici il accomplira une orbite…). Lorsqu’il l’a terminée, il rallume un seul de ses moteurs, de manière à se décrocher de son orbite, revernir vers la Terre et réatterrir lui aussi sur le point de départ. Tout se fait bien sûr de manière automatisée. Suffit alors de lui passer un coup de chiffon, de remplir le réservoir, il est prêt à repartir.
Pour ce premier vol, prévu le 17 avril, les deux étages finiront toutefois leur course dans l'océan, par prudence et seront donc non récupérables cette fois.
Si le Starship est un tel mastodonte, c’est pour deux raisons : envoyer des humains vers la Lune exige un mégalanceur, comme l’était déjà la Saturn V. La Lune étant en effet loin, la fusée doit pouvoir héberger le carburant nécessaire (plus de 5 millions de litres) afin d’atteindre la vitesse suffisante pour expédier la capsule – habitée ou non – jusque-là. Mais il y a ici une raison supplémentaire : “C’est contre-intuitif, mais plus un étage est gros, plus il est léger, proportionnellement. Autrement dit, il faut qu’il soit gros si l’on veut qu’il soit réutilisable, indique Christophe Bonnal. Si au lieu de 5000 tonnes, Starship ne faisait que 2500 tonnes, il ne pourrait pas être réutilisable parce que la partie sèche des étages serait trop lourde. C’est pour cette raison qu’Elon Musk a décidé de faire d’entrée de jeu des très gros lanceurs.”
Le Starship constitue en fait une famille de plusieurs lanceurs différents. Le premier sera le Starship commercial opérant en orbite basse afin de lancer les satellites Starlink ou d’autres satellites. Ces modèles pourraient commencer à voler “dans deux trois ans” de façon opérationnelle, selon Christophe Bonnal.
”Après, il ne faut pas oublier qu’Elon Musk veut aller sur Mars - il dit qu'il veut mourir sur Mars, mais pas dans un crash ! Mais avant d’aller sur Mars, il va commencer par aller sur la Lune. Même avec un lanceur de cette taille-là, il faut qu’il refasse le plein en orbite avant de repartir vers la Lune. Quand il arrivera en orbite, il sera presque vide, avec peut-être encore 100-150 tonnes de réserve de carburant à bord. Il faudra donc le remplir. Au total, il faut mettre mille tonnes de carburant. Pour comparaison, l'étage central d’Ariane 5, c’est 174 tonnes de carburant… Il faudra faire plusieurs allers-retours avec quatre ou cinq Starship de modèle “tankers” qui vont eux servir de station-service… Cela respecte toutes les lois de la physique, par contre, c’est extrêmement compliqué. Par exemple, à ce jour, il n’y a jamais eu de transfert d’ergols en orbite avec des ergols cryotechniques, c’est-à-dire très très froids.”
De la station en orbite à la surface de la lune
Enfin, parmi les différents modèles, se trouvera aussi le Starship Human Landing System pour la Nasa. Il s’agit du véhicule qui fera le dernier trajet entre la Gateway, la future station en orbite lunaire, et la surface de la Lune. En effet, la SLS n’est pas capable d’atterrir à la surface lunaire. Il pourrait être prêt pour 2028. “Cela ressemblera pas mal à la fusée de Tintin : il y aura par exemple un ascenseur… C’est en cours de développement. C’est très ambitieux, très audacieux, même”, commente Christophe Bonnal.
Résultat ? Starship permet “l’ouverture vers l'espace infini grâce à un nouveau type de véhicule extrêmement puissant et extrêmement peu coûteux.” Mais pas seulement : "Vous avez là un très gros lanceur capable de placer 100 tonnes en orbite basse et entièrement réutilisable. C’est vraiment un game changer. Si une mission, dans quelques années coûte dix ou vingt millions de dollars, c’est quand même assez révolutionnaire. Pour le moment, c’est cinquante fois plus : cela coûte dix fois plus pour cinq fois moins de charge utile.”
Multiples risques
Avec une nuance : pour l’instant, il n’existe pas encore de marché pour des envois de satellites de cent tonnes, qui n’existent tout simplement pas. Sauf pour l’envoi de satellites de constellation… comme les Starlink d’Elon Musk. Avec sa fusée Falcon 9, il en envoie 40 à la fois. Ils pesaient jusqu’ici 310 kilos mais la seconde génération dépassera la tonne. Et quand on sait qu’il doit encore en envoyer environ 20 000…
Reste qu’une multitude de choses pourraient mal se passer lundi : “au niveau des risques pour la première mission, il y en a plein : l’aérodynamique, le fait de faire fonctionner 33 moteurs ensemble, la séparation du premier et du deuxième étage… Mais il faut y passer, indique Christophe Bonnal. Musk lui-même dit il y a moins de 50 % de chance que la mission marche. Et c'est ce qui est étonnant dans la mentalité de Musk : si cela ne rate pas, c’est qu’il n’a pas été assez innovant, il n’a pas poussé assez loin les conditions lors des essais. ll dit “failure is an option”, en parodiant le “failure is not an option” d’Apollo 13. C’est la philosophie du “test, fail ; test, fail ; test, succeed”.” De toute façon, si jamais la fusée explose, “il a déjà trois ou quatre autres Starship, qui sont prêtes !”