La mégafusée Starship a explosé en vol : “Ce n’est pas un échec total, mais un sérieux revers. Je m’inquiète pour la suite et le programme lunaire”
Le spécialiste du spatial Gregor Rauw (ULiège) livre son analyse du premier vol de la mégafusée de Space X qui a explosé trois minutes après son décollage.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/f744db9d-4059-49f1-b3ae-ab829b0df5cc.png)
Publié le 20-04-2023 à 18h20 - Mis à jour le 20-04-2023 à 21h41
La plus grande et la plus puissante fusée jamais construite a explosé trois minutes après son décollage jeudi après-midi. Un parfum d’échec, donc, mais malgré tout sous les applaudissements des employés de la société spatiale américaine Space X, qui s’est réjouie d’avoir pu faire décoller pour la première fois le mastodonte Starship, avec ses deux étages intégrés.
”Après avoir réussi à quitter le pas de tir, tout le reste était la cerise sur le gâteau. Comme on l’a dit auparavant, on voulait aller jusqu’au bout du programme, mais aller si loin, honnêtement, c’est formidable”, a positivé juste après l’explosion Kate Tice, ingénieure qualité systèmes chez SpaceX. Et de rappeler qu’il s’agissait d’un vol-test, dont le but était de rassembler un maximum de données pour la suite. “Le décollage a été réussi et c’était tout ce que nous espérions, les trente-trois moteurs Raptor ont fonctionné, on espérait ensuite voir la séparation des deux étages, ce que nous n’avons pas réussi – et c’est OK.”
Explosion commandée ?
”À leur place, je ne me réjouirais pas autant, certainement pas, réagissait à chaud le spécialiste de l’exploration spatiale Gregor Rauw (ULiège). Je ne parlerais absolument pas de demi-succès non plus. Ce n’est certes pas un échec total, mais cela reste un sérieux revers.”
Le problème s’est apparemment produit lorsque le vaisseau Starship proprement dit (le deuxième étage) aurait dû se séparer du premier. À cet instant, le véhicule a commencé à effectuer des mouvements de rotation, ce qui s’explique sans doute par le fait que le premier étage aurait dû à ce moment-là, dans une trajectoire sans incident, se retourner pour revenir vers le sol – mais tout seul.
Cette séparation ne s’étant pas produite et la fusée étant alors hors de contrôle, il est possible que l’explosion du véhicule ait été commandée depuis le sol, afin de ne risquer aucun accident avec un engin non contrôlé. Les données de télémétrie de ces quelque trois minutes de vol vont en tout cas devoir à présent être analysées, notamment pour trouver la cause de ce dysfonctionnement.
En 2025 sur la Lune
”Il ne faut pas oublier que c’est avec ce vaisseau que les astronautes sont censés aller sur la Lune, souligne l’astrophysicien Gregor Rauw. Si l’on veut respecter le calendrier (premier alunissage prévu officiellement fin 2025, NdlR), il faudrait quand même que les choses commencent tout doucement à se mettre en place pour que cela fonctionne ! Personnellement, je suis embarrassé de voir le résultat d’aujourd’hui car je m’inquiète pour la suite : je me demande si Space X arrivera à contrôler le problème. Je me pose cette question car l’Union soviétique avait à l’époque essayé de construire une fusée lunaire, la N1, qui fonctionnait un peu sur le même principe que le Starship (un grand nombre de moteurs de fusée fonctionnant en parallèle). Ils n’ont jamais réussi à la lancer correctement… Ces grandes fusées, qui ont énormément de moteurs en parallèle, ont un grand problème : contrôler le fonctionnement simultané des moteurs est un énorme défi. Si l’un connaît une baisse de régime, il faut qu’un autre compense.”
Mission complexe
Autre souci : non seulement Starship est crucial pour le programme de retour à la surface de la Lune, mais en plus, son utilisation s’inscrit dans un concept de mission particulièrement complexe : le Starship devant amener les astronautes sur la Lune doit être ravitaillé en carburant dans l’espace, en orbite terrestre, par d’autres vaisseaux Starship. Ce qui n’a jamais été fait, et s’annonce également très compliqué. La date de fin 2025 pour un alunissage, “on peut donc encore y croire, mais cela s’annonce très serré ! Car aujourd’hui, ce n’était en fait que la toute première étape qui était testée : le lancement. Ensuite, il y a aura toute la question de ce transfert de carburant… Pour le programme lunaire, ce n’est certainement pas une bonne nouvelle car cela coince déjà à l’étape fondamentale.”
Ce jeudi, il s’agissait néanmoins bien d’un lancement test dont l’objectif est d’apprendre. “S’ils arrivent rapidement à comprendre pourquoi cela n’a pas fonctionné, alors ce n’est pas mal. Le point positif est qu’ils ont quand même réussi à envoyer la fusée pendant près de 4 minutes en vol, ce que les Soviétiques n’ont jamais réussi à faire !”
Le patron de la Nasa, Bill Nelson, a de son côté félicité SpaceX. “Toute grande réussite dans l’Histoire a demandé un certain niveau de risques calculés”, a-t-il tweeté, en disant avoir “hâte” du prochain essai. “Nous avons beaucoup appris pour le prochain test de décollage dans quelques mois”, a quant à lui tweeté Elon Musk, le patron de Space X.