Les futurs Elon Musk se sont retrouvés sur le pas de tir d’Elsenborn
La finale belge du concours de “satellite-canette” CanSat pour les écoles du secondaire a lieu jusqu’à ce samedi soir. Reportage lors du lancement des mini-sondes dans les Hautes Fagnes, ce vendredi.
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Publié le 21-04-2023 à 20h30
”Three, two, one…. Ignition !” Dans un grand nuage blanc, la fusée décolle de son pas de tir et décrit une large courbe dans le ciel bleu. Nous ne sommes ni à la “Starbase” de Space X au Texas ni à Cap Canaveral ou à Kourou, mais bien à l’“Aero Zone” de la base militaire d’Elsenborn, en plein dans les Hautes Fagnes. Le long de la piste sont rassemblés, non pas Elon Musk et ses ingénieurs en train de se ronger les ongles, mais peut-être leurs potentiels successeurs : des adolescents venus de toute la Belgique. Dans la fusée d’à peine trois mètres, se trouvaient six minuscules “satellites” fabriqués par ces mêmes ados et qui viennent d’être éjectés à un kilomètre d’altitude. L’un d’entre eux est même visible à l’œil nu, redescendant tranquillement au sol au bout de son parachute coloré.
Au sol, les adolescents sont rassemblés par autour d’un ordinateur portable, surveillant les lignes d’informations à l’écran, tandis que d’autres agitent des antennes. “C’est bon, ça marche, on reçoit les balises !”, crie une jeune fille.
Occupés depuis le mois d’octobre
Car c’est là tout l’enjeu. Depuis le mois d’octobre, ces élèves de secondaire âgés d’au moins 16 ans construisent leur “CanSat”, une mini-sonde contenant tous les systèmes d’un satellite (puissance, communications, capteurs), mais tenant dans le volume d’une canette de 33 centilitres. Un nano-satellite cylindrique qui doit aussi être capable, après son lancement par une petite fusée, de renvoyer vers l’ordinateur des données de pression et de température, ainsi que les informations fournies par une autre “expérience” placée dans la sonde. Recevoir la “télémétrie” lors du retour au sol est donc signe de succès. En ce 21 avril se déroule la finale belge du concours CanSat, qui oppose 24 groupes venus d’écoles secondaires des trois régions du pays.
Au check-point – une tente où l’on doit notamment peser le satellite pour vérifier s’il ne dépasse pas le poids réglementaire –, attendent déjà les six prochains groupes qui placeront leur CanSat dans la fusée du lancer suivant. Tous les signaux sont au vert pour l’équipe Duracell de l’Institut du Sacré-Cœur de Mons. Léon peut glisser leur création, protégée par un carton, dans le ventre de la fusée orange et bleue, d’à peine trois mètres de hauteur.

Il y a quelques minutes, les cinq élèves – trois garçons et deux filles car les groupes doivent être mixtes – étaient encore en train de mettre la dernière main à leur satellite-canette dans un container aménagé en bord de piste.
“Le choix de l’écologie leur tenait à cœur”
Assis devant son laptop, Léon vérifiait à l’écran quelques lignes de code, que l’équipe devait aussi produire : “C’est un peu le mode d’emploi du satellite pour les actions qu’il a à faire. Il a aussi une petite mémoire, où il va enregistrer pour nous toutes les informations qu’il a reçues”. Ylham désigne, elle, un tissu jaune – le parachute – où se trouvent placées ce qui ressemble à des bandes réfléchissantes : “on y a mis un panneau solaire”.

Le groupe a en effet décidé de “limiter au maximum son impact écologique”, pour répondre “à ce thème d’actualité” qu’est l’environnement. “Pour réduire notre empreinte carbone, on a décidé de retirer la batterie parce qu’on sait c’est quelque chose de polluant (on doit extraire les terres rares, etc). On l’a remplacée par un panneau solaire. Nous avons quand même une petite batterie de secours mais elle est d’une taille beaucoup plus petite, qui pollue donc beaucoup moins qu’une batterie traditionnelle”, explique Noah, le représentant du groupe.
“Ce choix de l’écologie leur tenait vraiment à cœur. Chez les élèves de manière générale, l’écologie est dans l’air du temps. Ils sont venus avec cette idée d’un panneau solaire, on a donc essayé de trouver une solution pour que cela fonctionne. Je ne m’attendais pas du tout à ce qu’ils viennent avec une telle suggestion. Ils nous surprennent et nous épatent, avoue leur professeur de math et de physique, François Stas, qui les a accompagnés durant ce projet comme “filet de sécurité”. Ils ont aussi trouvé des solutions auxquelles je ne m’attendais pas : à un moment, dans le codage, on avait un bug parce qu’une radio ne fonctionnait pas. Un des élèves l’a reprise chez lui, et en une soirée, il est arrivé à trouver la solution par lui-même…”
Voie royale pour l’ingénierie
Autant pour le professeur que pour les élèves, le projet CanSat demande un investissement de temps important. “Tous les mercredis et les vendredis après-midi sans faute depuis quasi le début de l’année (scolaire), on se retrouvait, parfois pour deux heures, et souvent, pour cinq”, expliquent ainsi le sourire aux lèvres Ingrid et son équipe, en quatrième secondaire au Collège Saint-Pierre à Uccle. Ces quatre jeunes filles envisagent de se lancer plus tard dans des études scientifiques : médecine ou ingénierie chimique. Dans l’équipe Duracell, les membres, – qui cumulent 8 heures de math et six heures de sciences par semaine – se dirigent aussi en “ligne directe” vers les études scientifiques : ingénierie, médecine… “À un moment, je voulais même faire ingénieure aérospatiale, confie Louise. Maintenant, je ne sais plus vraiment… Mais ce n’est pas parce que le CanSat m’a dégoûtée, j’ai adoré ce projet !”

Pour Patricia Corieri, longtemps ingénieure à l’Institut Von Karman et à présent active chez Esero Belgium, qui fait partie des organisateurs de CanSat Belgique avec les Régions wallonne et bruxelloise, le concours est “la voie royale” vers les études actuelles d’ingénieur, qui fonctionnent désormais par projets. Mais pas seulement. “Le but, c’est vraiment de sensibiliser les élèves, de les pousser vers les carrières scientifiques, en leur faisant créer quelque chose”, résume Élise Munoz-Torres, du Service public de Wallonie.
“Et ça marche, assure Michael Theunissen, enseignant à l’Institut Saint-André à Bruxelles, qui participe pour la troisième fois. “J’ai des anciens élèves qui l’ont fait, et il y en a plein que cela a convaincu de faire des études scientifiques. Ils ont vécu un truc magique et ils se sont dit : “Ah, c’est ça, la science !”
L’équipe gagnante sera connue ce samedi soir, après une présentation orale en anglais. Elle pourra participer à la finale européenne, organisée par l’Agence spatiale européenne.