Une éruption de ce discret volcan à la frontière belgo-allemande n’est pas "exclue": "Il y aurait de la cendre de Liège à Bruxelles"
Le volcan Laacher See, à moins de cent kilomètres de la Belgique, considéré jusqu’à il y a peu comme dormant, montre en fait des signes d’activité. Une éruption n’est pas à exclure. Des scientifiques de l’ULB sont en train de mettre en place un système de surveillance, qui s’ajoute aux dispositifs allemands. Pour la série “Dans le secret des lieux”, La Libre s'est rendue dans un lieu qui cache bien son jeu.
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- Publié le 06-08-2023 à 12h00
En cette matinée de juillet, les petites barques métalliques arrimées au bord du Laacher See (lac Laacher, en allemand) attendent encore que les touristes d’un jour prennent les rames. Au loin, une silhouette debout sur un paddle, s’active déjà à traverser cette pièce d’eau de deux kilomètres de diamètre embrassée par la verdure. Plus près, un homme en maillot déplie sa chaise longue au bout d’un ponton privé, pour une petite séance de bronzage, tandis que sur la rive, un pêcheur s’apprête à déployer son matériel.
Vingt degrés et soleil à peine voilé par quelques nuages, c’est la journée idéale pour profiter de ce lieu touristique bien connu des Allemands, et situé dans l’Eifel, à moins de cent kilomètres de la frontière avec notre pays. Ayant fait la route depuis Bruxelles, les Belges Corentin Caudron, Alain Bernard et Amir Jguirim posent le pied sur les barques vacillantes. Une fois tout le monde bien assis, chapeau de soleil sur la tête, c’est parti pour une demi-heure de navigation, direction l’autre rive, sur une eau sereine et dans un silence à peine troublé par le rythme du pagayage.

Il y a 13 000 ans, l’ambiance de cet endroit était pourtant… apocalyptique. Ce paysage tranquille et bucolique cache en effet un volcan, entré en éruption il y a treize millénaires. Il envoya des cendres jusqu’à 30 kilomètres dans l’atmosphère, certaines atteignant même Bruxelles. Le lac est en réalité une “caldera”, une de ces immenses cuvettes à fond plat qui peuvent se créer en cas d’éruption, lorsque le magma est évacué du volcan et entraîne l’effondrement du toit de celui-ci.
“Cette cuvette de 2 km de diamètre témoigne d’une activité éruptive qui a été très violente. Des événements de ce genre, on a une ou deux fois par siècle sur la planète. On retrouve les traces des cendres de cette éruption dans des dépôts de roche à Bruxelles. Ici, dans les environs, on a des dizaines de mètres de dépôts. Il n’y a pas cependant pas de traces archéologiques de morts”, détaille Corentin Caudron. Ce dernier n’est pas un touriste mais un volcanologue de l’Université libre de Bruxelles, arrivé avec toute son équipe pour étudier ce volcan connu des scientifiques belges, mais pas forcément du grand public.
”Le volcan est beaucoup plus actif qu’on ne le pensait”
Si le scientifique se dirige en ramant vers la rive opposée, c’est parce que c’est le seul moyen d’atteindre la zone la plus profonde du lac (50 m), jugée idéale pour installer de futurs instruments de surveillance du volcan. La vigilance a en effet redoublé ces toutes dernières années. “Il y a 30 ans, on pensait que le volcan était dormant, qu’il n’y avait rien qui se passait, reprend le volcanologue. Mais en fait, surprise : le volcan, qui servait surtout jusque-là de laboratoire d’expérimentation, est bien en activité, comme de récentes études l’ont montré. “Le volcan est beaucoup plus actif qu’on ne le pensait. On ne savait pas que le magma était en mouvement. Le magma est une sorte de mousse – du liquide et beaucoup de solide. Quand un volcan est au repos, le magma redevient complètement solide. Mais si le magma est en mouvement, cela implique la possibilité qu’il pourrait remonter à la surface – les causes de ce déclenchement sont encore mal connues – et mener à une éruption. Ces mouvements sont visibles via les séismes qu’ils causent. En 2019, une étude, qui a d’ailleurs remis le Laacher See en lumière au niveau scientifique et médiatique, a montré des petits groupes de séismes : 40, 30, 20, dont certains même superficiels, moins profonds. On a encore eu des séismes -légers – en juin. Comme c’est un volcan qu’on considérait comme étant très calme, il n’y avait qu’une ou deux stations sismiques. Lorsque d’autres stations ont été rajoutées, on a compris qu’il y avait des séismes profonds et superficiels, et qu’il y avait en fait une activité permanente.”

Une deuxième étude, publiée en 2020, a enfoncé le clou, montrant que le sol se soulevait sur l’ensemble de la région. “Donc pas uniquement sur la zone du volcan, mais cela signifie qu’il y a quelque chose qui se passe et qu’il faut au moins être capable de lever l’ambiguïté : savoir si c’est purement tectonique (des failles qui bougent) ou si c’est causé par le volcan. C’est la seule zone d’Europe de l’Ouest qui est en train de se soulever…” Conclusion : “on peut craindre une éruption”. Mais, précise Corentin Caudron, “si on ne peut pas exclure qu’il y ait une éruption dans un an ou dans dix, elle ne va pas se produire demain. Et on la verra venir, longtemps à l’avance. On a des instruments suffisamment fins et nombreux pour surveiller le volcan de manière très efficace. Mais en cas d’éruption comme il y a 13 000 ans, on aurait de la cendre partout et on devrait évacuer un périmètre d’une dizaine de kilomètres, voire trente, autour du Laacher See car les autorités seront certainement plutôt préventives. En Belgique, rien de tout cela, mais il y aurait de la cendre sur les voitures, de Liège à Bruxelles.”
Pas d’anomalies de chaleur
S’il existe bien une activité sismique et des déformations clairement liées au volcanisme, impossible d’avoir une éruption le mois prochain : il n’y a pas de chaleur détectée. Or, lorsque le magma se rapproche de la surface, même s’il s’arrête, il réchauffe les nappes aquifères en surface, ce qui va provoquer des anomalies de température. Celles-ci sont absentes au Laacher See, qui est étudié sur toutes les coutures.

Outre les 300 sismomètres temporaires qui doivent aider à déterminer s’il existe des réservoirs magmatiques moins profonds que ceux qu’on connaît à 30 km sous nos pieds, une vingtaine de sismomètres surveillent le volcan de manière continue tandis que des GPS placés au sol examinent si celui-ci monte ou descend – si le magma “respire” ou pas. À ce dispositif, l’ULB voudrait ajouter de nouveaux instruments qu’elle est en train de développer, et dont les informations seront intégrées au réseau de surveillance allemand.

Entourés par l’eau et assis dans leur canot, Alain Bernard et Amir Jguirim y travaillent déjà. Le premier, professeur émérite ancien collaborateur d’Haroun Tazieff et qui a crapahuté sur de nombreux volcans à travers la planète, a sorti son ordinateur portable. Le second, étudiant qui boucle son mémoire, s’affaire avec une longue corde, à remonte de l’eau les sondes de température placées le mois précédent. “L’objectif est d’évaluer s’il y a eu des variations de températures en surface et en profondeur dans la colonne d’eau. On l’a fait aussi en novembre. On essaie déterminer quand les couches d’eau de températures différentes – et donc de densité différente – se mélangent”, explique Amir Jguirim, alors que ses collègues prennent soigneusement note des chiffres.

Les scientifiques de l’ULB cherchent en effet à suivre l’évolution du lac au cours du temps. En mesurant les températures, qui informent sur la stabilité du lac, mais aussi en surveillant le CO2, en le pompant à intervalle régulier et bientôt de manière continue. Car s’il y a plus de ce gaz émis dans le magma, c’est que le volcan “travaille” davantage. Les deux sont aussi liés : le mélange des couches d’eau de différentes températures dû aux saisons mixe aussi les concentrations de CO2. En effet, à l’automne, les eaux refroidies en surface, plus denses, s’enfoncent, et font remonter les eaux profondes riches en CO2. “Je ne dirai jamais, avec les données que j’ai pour l’instant, que le dioxyde de carbone a augmenté dans le Laacher See. Je ne comprends pas encore bien le mélange. Pour en être capable, il faudrait au moins un cycle de données annuelles complètes et, pour autant que ce soit constant, certainement une deuxième année avec un hiver différent…”, avertit Alain Bernard, qui a déjà réussi, avec un système de mesure continue du CO2, à prévoir une éruption aux Philippines.
Au Cameroun, 1700 morts
Selon lui, ce mélange saisonnier des eaux et du CO2 permet aussi d’échapper ici au risque d’éruption limnique, qui peut arriver lorsque le CO2 s’accumule dans le lac au fil des années et sort brutalement. Au lac Nyos, au Cameroun, où il n’y a pas d’alternance de saison chaude et froide, une nappe de 1 km³ de cet invisible gaz carbonique avait tué 1700 personnes en 1986.

Tandis que, dans leur canot, Alain Bernard et Amir Jguirim poursuivent leurs mesures (”l’eau à 20 degrés en surface, 5°C au fond”), sur la berge, Olivier Fontaine et Arnaud Boulanger, assis sur le coffre ouvert de leur voiture, sont en train d’enfiler leur combinaison de plongée. La veille, Olivier Fontaine a fabriqué un drôle d’instrument, à partir d’un pot de mesure de farine et d’un entonnoir. L’objectif : partir à la chasse aux bulles. “Vous voyez cette carte ? Les panaches de bulles de gaz qui remontent à la surface du lac, c’est notre cible. On va plonger à environ 20 mètres de profondeur et on va essayer d’aller sur les zones où on a du dégazage dans le fond du lac. L’idée est, avec ce petit appareil bricolé maison, de collecter le gaz et de mesurer son débit. Pour cela, on a aussi un hydrophone (micro qui enregistre les sons sous-marins et “entend” les bulles, NldR)”, explique le doctorant. Ceci est une première étape. Après, il faudra un meilleur équipement.”
Les bulles de gaz (ici essentiellement du CO2), émises par le magma à 30 km de profondeur, peuvent en fait elles aussi servir de signes informant sur l’activité du volcan, et fourniront une donnée complémentaire aux efforts de la première équipe. Pour les mesurer, l’ULB testera aussi de la fibre optique à placer au fond du lac. On sait déjà que c’est un moyen bon marché pour repérer les séismes et les vibrations du sol. “Un kilomètre de fibre optique est équivalent à 1000 sismomètres ou 1000 hydrophones”, précise Corentin Caudron.

”Toutes ces données peuvent servir dans un futur plus ou moins lointain s’il se passe quelque chose. Pour pouvoir détecter (une anomalie) dans ce cas-là, il faut avoir une ligne de base, de référence”, cadre de son côté Alain Bernard. Il peut y avoir une éruption dans le futur avec une très faible probabilité, donc si on veut développer de l’instrumentation, autant le faire ici. Les dernières éruptions sont trop récentes et l’activité qui persiste montre qu’on ne peut pas exclure qu’il y ait au Laacher See dans 5 ans, 10 ans, 100 ans ou 1000 ans une nouvelle éruption. Mais on est certainement dans une zone moins active au niveau de la production de magma que les Philippines, l’Indonésie ou l’Amérique centrale où là il y a des éruptions permanentes, et les niveaux d’activité sont beaucoup plus hauts. Ici, on est à la limite au dernier niveau d’activité avant que ça ne s’éteigne complètement.”
Son collègue Corentin Caudron ne partage pas ce point de vue. “Je n’oserais certainement pas dire que le volcan est en train de mourir. Il y a une cyclicité dans un volcan. Et le problème avec les volcans, c’est toujours qu’on travaille sur des cycles tellement longs – des milliers, voire millions d’années – sur lesquels on a en fait peu d’observations, qu’on ne peut pas avoir assez de données pour comprendre vraiment ce qui se passe.”

Les riverains, eux, sont plutôt relax. “Je sais que le volcan est vivant mais je n’ai pas peur, affirme ainsi Manfred Fuchs, un pêcheur qui fréquente les lieux “depuis 18 ans”. La probabilité d’éruption est faible. La plupart des gens des environs n’ont pas de crainte non plus. Et les autres, ils devraient en apprendre davantage sur le volcan, et réaliser que ce n’était pas très dangereux. Moi, normalement, s’il y a une éruption sur le lac, j’aurai le temps de sortir de mon bateau et de m’enfuir !”, s’amuse-t-il encore.
