Regards sur les usines Henricot

Reconstituer le parcours des Usines Emile Henricot de Court-Saint-Etienne, à travers le regard particulier, le ressenti, et les anecdotes de ses anciens ouvriers, patrons, ou cadres, c’était l’objectif du Centre culturel du Brabant wallon, à l’occasion de la manifestation Temps des nénuphars, au printemps dernier.

Sophie Devillers

Reconstituer le parcours des Usines Emile Henricot de Court-Saint-Etienne, à travers le regard particulier, le ressenti, et les anecdotes de ses anciens ouvriers, patrons, ou cadres, c’était l’objectif du Centre culturel du Brabant wallon, à l’occasion de la manifestation Temps des nénuphars, au printemps dernier. L’équipe du CCBW en collaboration avec l’ASBL Bigoudaire a réalisé le film documentaire "Regards sur les usines Henricot, du prestige d’hier à la reconstruction d’aujourd’hui".Il vient de sortir en DVD.

Une façon de passer en revue, via des images d’archives et actuelles et une dizaine d’interviews, un siècle et demi d’histoire des usines métallurgiques qui ont façonné Court. C’est en 1847 qu’un moulin à grain situé au bord de la Dyle est transformé en forge et en fonderie. Quelques années plus tard, Louis Goblet d’Alviella, le trisaïeul de l’actuel bourgmestre, rachète l’usine. On apprend donc ainsi que la famille fut "impliquée au début de l’histoire industrielle de Court", comme l’explique Michaël Goblet. Et Louis "a probablement posé un geste fondamental, puisqu’il engage en 1866, un certain Emile Henricot, qui fera la gloire de notre village" Engagé comme ingénieur, il devient associé. Au début, l’usine fabrique des casseroles en fonte, et devient aussi une des premières entreprises à faire de l’acier moulé, pour les chemins de fer ou l’industrie navale.

Satellites américains

Paul Henricot, administrateur-délégué des UEH le reconnaît dans le documentaire: "l’aciérie de moulage, avec le recul, on se dit que cela n’avait pas d’avenir. Il n’existe plus d’aciérie de moulage. C’est une évolution technique. On est passé au plastique, au mécano-soudé" Mais il regrette en revanche que le département de poudre magnétique ait dû fermer. Séparé du reste, il était pour lui parfaitement viable et prêt à progresser. Jacques Cosse, ingénieur au laboratoire, s’en souvient: "Nous avons fourni de la poudre magnétique aux Etats-Unis pour les satellites". Son collègue René Franck souligne une autre application américaine: les antennes présentes sur les camions et permettant de communiquer par radio étaient fabriquées avec de l’acier d’Henricot.

Mais la pièce qui entraîna la notoriété pour les Usines, c’est sans conteste la sphère du célèbre bathyscaphe d’Auguste Piccard, réalisé avec l’aide du professeur Cosyns. André Pierre, dessinateur industriel, se rappelle ainsi de la présence du bathyscaphe dans les ateliers: "Le Pr Cosyns venait faire la radiographie des pièces, c’était en 1947 , raconte-t-il ainsi. Cette pièce a été intégralement radiographiée" Au niveau social, la famille Henricot prit en effet une part active dans le secteur de l’enseignement en créant l’école technique à Court (devenue ensuite provinciale) et en soutenant financièrement des écoles primaires de la commune. L’objectif: former du personnel qualifié pour l’usine. "Du paternalisme, mais peut-être dans le bon sens", selon un ancien directeur d’école, car de cette façon les élèves avaient accès à un terrain de foot, de la gymnastique. Cette politique n’empêcha pas le besoin de faire appel à une main-d’œuvre étrangère. Ainsi, Sandro Cassagrande, qui fut brigadier modeleur, n’arriva pas seul d’Italie en 1955. "On est venus tous ensemble du même village. Pour finir, les filles rouspétaient: il n’y avait presque plus de garçons! Ici, on a été bien reçus, bien installés." Mais vers 1947, pour la première vague d’immigrants, ce fut plus difficile: ils furent ainsi logés dans des "tubes", récupérés de l’armée, rappelle l’assistante sociale engagée dans les années 60 par les UEH pour accompagner les malades, les pensionnés "Des pensionnés avaient 600 ou 700francs de pension. C’est pour cela qu’il fallait donner du charbon. C’était du paternalisme, mais obligatoire." Les UEH connurent des grèves, dont une dans les années 70, initiée par les ouvriers du Maroc. Ils s’opposaient à la hausse du loyer dans le foyer où ils étaient installés. "Ils nous demandaient au départ 500 Fr par lit. Des chambres avec 4 lits, raconte Jelloul El Mahi, délégué syndical. Quand ils ont essayé d’augmenter ça, on a réagi . On a obtenu des choses, on a réussi à ne pas augmenter les loyers." L’usine connut d’autres mouvements sociaux, avant sa fermeture en 1984. A présent, le site déjà largement réhabilité, a fait place à des logements, des commerces et des lieux culturels.

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