Bruxelles, terre de métissage de la culture marocaine
Religieuse ou traditionnelle, cette musique marocaine ouvre des horizons !
Publié le 24-08-2015 à 18h39 - Mis à jour le 25-08-2015 à 06h59
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Gare aux clichés ! La communauté marocaine est loin d’être homogène à Bruxelles. Une bonne chose sur le plan culturel et sociétal ! L’an dernier, notre pays célébrait les 50 ans de la signature de la convention belgo-marocaine du 17 février 1964, qui incita de nombreux travailleurs marocains à venir chez nous. Un demi-siècle après, quelque 200 000 Marocains, naturalisés belges, ou Belges de parents marocains vivent à Bruxelles. Parmi eux il y a la communauté minoritaire des Gnawa qui descend d’esclaves d’Afrique de l’Ouest qui ont développé une pratique culturelle spécifique à la fin du XIX e siècle. Voilà des musulmans dont les pratiques rituelles mêlent l’animisme, le culte des saints et la musique. Les musiciens gnawa sont présents dans le rituel religieux et dans des concerts profanes au répertoire éclectique.
Une présence numérique importante
Créé en 1998, le Festival Gnaoua et Musiques du Monde d’Essaouira propose les deux dimensions, drainant des centaines de milliers de visiteurs. Si on en parle dans nos pages bruxelloises, c’est parce que Bruxelles compte une communauté gnawa plus importante que d’autres grandes villes européennes (Paris, Londres, Barcelone…) et nord-américaines (Montréal…). De quoi aiguiser l’intérêt de deux musicologues qui ont étudié la spécificité de la pratique musicale gnawa à Bruxelles à partir d’une approche ethnomusicologique. Le sujet ne leur est pas inconnu : c’est le thème de la thèse de doctorat en musicologie d’Hélène Sechehaye à l’ULB et à l’Université Jean Monnet de St-Etienne qui a pu compter sur l’appui de Stéphanie Weisser, maître de conférence à l’ULB qui a fait des recherches sur des répertoires musicaux africains et indiens. De quoi déboucher sur une Brussels Study passionnante ? Oui, car les musiciens gnawa de Bruxelles ont intégré à leurs pratiques des éléments nouveaux, dont l’adoption pourrait s’expliquer par leur relocalisation à l’étranger.
Un caractère vraiment unique
Mieux : "Comparée à la situation dans d’autres diasporas, celle de Bruxelles présente un caractère unique. Avec des changements dans les modes d’apprentissage, l’apparition de la mixité de genre tant dans la pratique musicale profane que rituelle, mais aussi la diversification des contextes de jeu, qui pousse les musiciens gnawa à s’approprier d’autres styles musicaux marocains. Ils y puisent de l’inspiration pour leur répertoire gnawa, théoriquement fermé à l’intégration d’éléments extérieurs. Il n’en résulte pas une perte d’authenticité mais une redéfinition des pratiques musicales et de leurs modalités de fonctionnement." Conséquence : leur identité s’inscrit dans un héritage culturel et social très spécifique tout en investissant des territoires musicaux nouveaux. Pour les deux musicologues, il en ressort que "même en matière de musique traditionnelle, une petite ville mondiale comme Bruxelles favorise le métissage et l’émergence d’une avant-garde créatrice". Christian Laporte
"Les musiciens gnawa à Bruxelles : une reconfiguration culturelle" est sur le site www.brusselsstudies.be
Un exotisme bien intégré dans le paysage artistique
Dans le numéro 90 des "Brussels Studies", Hélène Sechehaye et Stéphanie Weisser, les deux chercheuses musicologues liées à l’Université libre de Bruxelles expliquent que "par la mise en avant de musiques, danses, costumes et vision du monde issus du Maroc, les Gnawa intègrent leur exotisme au paysage artistique bruxellois".
Ils développent à la fois des activités destinées au divertissement et des activités de découverte et d’éducation à une autre culture.
"Une attitude qui relève tant d’un désir de faire découvrir une culture que d’un désir de la vendre, de se vendre. D’où le soin extrême que portent depuis toujours les Gnawa à la mise en scène (costumes, parfums, danses). Ils ont également développé des discours dans lesquels la référence à la tradition est très prégnante."
Lorsqu’ils jouent avec des musiciens belges, ils les confrontent à d’autres modes d’apprentissage.
"Alors qu’en Belgique, la musique est souvent appréhendée comme requérant un savoir théorique et une spécialisation dans un instrument, les Gnawa prônent un apprentissage par la pratique d’un répertoire considéré comme un tout, où chacun connaît et maîtrise les instruments mais également la danse et le chant. La mise sur pied de leçons hebdomadaires n’est pas seulement dirigée vers les Belges d’origine non marocaine, elle se donne également pour but de ‘réapprendre la culture marocaine aux Marocains’, c’est-à-dire de faire connaître à une population immigrée une partie de ses racines."
Une démocratisation clairement visible à Bruxelles
Dans cette optique, l’appartenance des Gnawa à une communauté transnationale marocaine est assumée, voire revendiquée avec une démocratisation clairement visible à Bruxelles. Alors que les discours prônent une adéquation totale à des valeurs dites traditionnelles, la réalité est quelque peu différente.