La pauvreté à Bruxelles, visibilisée par la crise : "Ce retour à la charité est terrible"
Coût du logement, emplois précaires : un tiers de la population bruxelloise vit sous le seuil de pauvreté.
Publié le 02-06-2020 à 09h27
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Coût du logement, emplois précaires : un tiers de la population bruxelloise vit sous le seuil de pauvreté.
Des files à n’en plus finir. Parfois étalées sur plusieurs rues devant des restaurants, des mosquées, des églises ou des locaux associatifs. À Molenbeek, Saint-Josse, Schaerbeek ou Anderlecht, chaque jour des centaines de Bruxellois(es) attendent patiemment qu’arrive leur tour pour recevoir un colis alimentaire. Les initiatives solidaires se sont multipliées dans toutes les communes de la capitale pour venir en aide aux plus démunis.
Et ils sont nombreux : une personne sur trois vit sous le seuil de pauvreté à Bruxelles. Un taux qui n’a pas évolué ces dix dernières années. “La Fédération des services sociaux estime que 55 000 personnes avaient recours à l’aide alimentaire avant la crise. Et le numéro d’urgence sociale mis en place par la Région indique qu’une des causes les plus fréquentes des appels concerne l’aide alimentaire”, précise Marion Englert, collaboratrice scientifique à l’Observatoire de la Santé et du Social.
“On s’y attendait : la crise a rendu visible un phénomène qui était déjà présent mais que certains ne voulaient pas voir, ajoute Marc De Koker, directeur d’une AMO (service d’aide aux jeunes en milieu ouvert) à Anderlecht. On constate ces dernières années une dégradation massive des conditions de vie des familles les plus précaires. Dans le croissant pauvre, ça représente 90 % de la population.”
Et pour cause, les inégalités en termes de scolarité et de revenus se creusent à Bruxelles, où le phénomène des travailleurs pauvres est une réalité. “L’économie bruxelloise est caractérisée par une forte polarisation des métiers : d’un côté, des emplois très bien rémunérés et de l’autre, des emplois peu rémunérés au statut précaire”, explique Marion Englert. Une réalité encore exacerbée par la crise sanitaire. Selon une estimation de view.brussels et de l’Ibsa, environ 98 000 salariés auraient fait une demande de chômage temporaire. “Même si c’est temporaire, c’est énorme car ça porte le nombre total de chômeurs à plus du double du chiffre habituel. D’autant que nombre d’entre eux n’ont accès à aucune aide de l’État.”
Au-delà de l’aspect financier, le renforcement de la précarité impacte également la santé des Bruxellois(es). Un quart des habitant(e)s de la capitale reporte ses soins de santé pour raisons financières. “Certaines personnes ont déjà plus de problèmes de santé en raison de leur statut précaire. Cette situation est aggravée par la fermeture de certains services de soins pendant le confinement et par la peur de retourner à l’hôpital.”
Une peur également constatée par les AMO. “On observait déjà un phénomène de désaffiliation sociale dans nos publics précarisés. Il s’est encore renforcé par la peur de sortir et d’être contaminé. Une partie de nos jeunes et de leur famille n’osent donc plus venir nous voir”, déplore Marc De Koker qui voit dans les multiples initiatives citoyennes un manquement de l’État. “Ce retour à la charité est terrible. Si des élans de solidarité doivent jaillir de la population, c’est que l’État est en faillite, il ne remplit pas son rôle.”
De son côté, Marion Englert souligne l’importance des interventions politiques pour minimiser l’impact de la crise. “Les politiques sociales comme le chômage temporaire ou le droit passerelle permettent de protéger en partie la population, mais de nombreuses personnes passent en dehors des mailles du filet.” Elle constate aussi la pression appliquée ces dernières années sur la sécurité sociale. En 2008, les transferts sociaux permettaient de réduire de 46 % le risque de pauvreté. Dix ans plus tard, cette réduction n’est plus que de 35 %.e réduction n’est plus que de 35 %.