Comment le piétonnier bruxellois est devenu la "Malbouffe Valley"
Destiné à être la vitrine de Bruxelles, le piétonnier échoue à installer un Horeca qualitatif.
- Publié le 27-09-2021 à 09h28
- Mis à jour le 27-09-2021 à 11h10
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C’est une première nationale ! D’ici quelques semaines, un nouveau fast-food ouvrira ses portes boulevard Lemonnier, à un jet de pierre de la place Fontainas. G La Dalle, une chaîne française, propose exactement les mêmes burgers qu’un Quick ou un McDonald’s, version halal. Une fois installée, la franchise vise même une seconde officine rue Neuve. L’arrivée de ce petit dernier du fast-food limite encore un peu plus l’offre Horeca du piétonnier bruxellois vers le "vite et gras mangé".
Ce piétonnier est pourtant l’axe touristique de l’hyper-centre de la capitale. De jour comme de nuit, il est toujours bondé. Tantôt par des touristes venus admirer la Bourse ou la Grand-Place toute proche, tantôt par des familles en route pour des achats, tantôt par des jeunes filant boire un verre. Né dans la douleur, le piétonnier incarne désormais le centre-ville mieux qu’aucun autre bâtiment ou espace public (après la Grand-Place tout de même).
Pourtant, l’offre alimentaire laisse un très maigre choix aux consommateurs. Sur un trajet de 1 700 mètres rejoignant les stations Anneessens à Rogier, c’est le temple de la malbouffe. Burger King, Quick, McDonald’s, Manhattn’s, et si l’on pousse la balade jusqu’à Rogier, on retrouve O’Tacos, Hector Chicken ou le Cheese Cake Café. Et bientôt un KFC. Et bientôt un G La Dalle. Au total, une quinzaine de fast-foods et six snacks proposent un menu s’éloignant chaque jour un peu plus d’une alimentation équilibrée, à l’heure où plus d’un Bruxellois sur deux est en surpoids, dixit Sciensano. Dans la concurrence, les institutions garantissant une qualité dans la cuisine tout en conservant des prix corrects se comptent sur les doigts de la main.

Du fast-food, même dans les bâtiments de la Ville
Concrètement, 38 % du tissu commercial dans l'hyper-centre est composé de restaurants et cafés. Ce chiffre (qui ne fait pas de différence entre un fast-food ou un simple bar) demeure considérable, certes, mais peut grimper jusqu'à 80 % dans d'autres zones bruxelloises. L'échevin bruxellois en charge des Commerces Fabian Maingain (Défi) comprend ce déséquilibre mais avoue n'avoir pas énormément de leviers pour rétablir une offre plus variée. "Ce qui compte, c'est de trouver toutes les offres en fonction de la demande. On essaye de travailler sur les leviers qui sont les nôtres. Le premier, ce sont nos propriétés communales. Au sein de celles-ci, cinq sur 31 (soit 16 %) sont dédiées à l'Horeca. C'est à ce moment-là que l'on peut amener un type d'Horeca qui n'est pas présent." Pourtant, parmi ces cinq cellules de la Régie foncière, on retrouve le BFC (Brussels Fried Chicken) et le Wagamama (chaîne de restaurants japonais), alors que le boulevard compte déjà tous leurs cousins, ou presque.
"On évite, pour l'instant, d'accorder trop de changements d'affectation vers de l'Horeca, promet pourtant l'échevin. Sauf pour le pourtour Bourse où la volonté est de créer un pôle Horeca plus intense. Là, on a réussi à amener un Horeca d'un autre type, avec des enseignes de friteries bios comme Patatak ou Casco, un bar pour les jeunes bruxellois."
Des bars et des friteries bios, donc, mais toujours pas (ou peu) de petits restaurants un peu gastronomiques ou de brasseries de qualité où le touriste affamé peut s'asseoir pour manger un waterzooï avec une Jambe de bois. Devant ce constat, Fabian Maingain pointe également du doigt un milieu en évolution. "On est moins sur la brasserie traditionnelle avec beaucoup de personnel, on voit toutes les difficultés du secteur à recruter. Ces nouveaux projets sont considérés comme des snacks parce qu'on adopte une cuisine plus rapide, avec moins de service et moins de places à table."

La liberté de commerce plus forte que tout ?
Le milieu serait donc en train de muter. L'échevin bruxellois parle "d'Horeca accessoire" et prend l'exemple d'un magasin de textiles qui installerait un coffee corner. "Comment est-ce qu'on catégorise, en termes urbanistiques, la dynamique commerciale pour s'adapter à la réalité tout en gardant les instruments de contrôle nécessaires ?"
Dans les faits, qu'un magasin de jeans vende du café amène évidemment à reconsidérer son statut, mais le touriste qui souhaite profiter de nos spécialités rentrera toujours chez lui bredouille, et la guerre aux fast-foods n'a pas l'air d'être envisageable. "Je ne peux refuser un fast-food que s'il vient dans un commerce de la Régie foncière ou qu'il n'a pas d'affectation urbanistique."
Le piétonnier constitue l'un des plus gros flux de clients pour les commerces de la ville, y compris pour l'Horeca. "Ce sont les jeunes et les familles qui ont pris possession de cet espace commercial. Et dans les habitudes d'alimentation, ce côté fast-food prend de plus en plus de place. Donc, on a chaque mois des demandes de fast-foods voulant s'installer dans le centre que l'on refuse. On pourrait penser à un nouveau plan particulier d'affectation du sol qui pourrait nous donner des outils mais on contrevient très vite à un grand principe constitutionnel belge qui est la liberté de commerce."
Un plan de lutte contre l'ouverture de fast-foods n'est donc pas encore sur la table du côté de l'hôtel de ville. L'échevin préfère s'orienter vers des mesures incitatives envers les petits commerces. Dernière en date : la prime Opensoon pour les petits commerces durables, multipliée par deux si ceux-ci s'ouvrent dans la commune.

Mais où est donc passé le projet de Belgian Avenue vendu en 2015 ?
Bruxelles En 2015, la Ville et la Région annonçaient lancer l'ambitieux projet de "Belgian Avenue". L'objectif : promouvoir le commerce et les produits belges en y installant des enseignes qualitatives. La Ville de Bruxelles avait promis de ne plus permettre de nouveaux snacks sur le piétonnier. Pour la conseillère communale Bianca Debaets (CD&V), le projet n'est "nulle part" . En 2018, Burger King s'installait en face de la sortie de Brouckère. En 2020, c'était Wagamama qui ouvrait ses portes à quelques pas de là dans un bâtiment de la Régie foncière ! Il y a quelques mois, c'était Black&White Burger qui se lançait de l'autre côté de la rue. Et ils ne sont pas les seuls… La faute à qui ? À une mauvaise coordination entre la Ville et la Région bruxelloise. Si la Ville est responsable de l'urbanisme, la Région a fait appel à Atrium (aujourd'hui hub.brussels), l'agence régionale du commerce, y compris pour le projet de Crystal City où se sont installés… Burger King et Wagamama ! Selon la conseillère, le manque de vision de la majorité n'incite pas les commerces privés à venir s'installer dans l'hyper-centre.