"Beaucoup de gens peu qualifiés ont pu s’émanciper grâce à Uber"
Pour certains chauffeurs, Uber constitue une activité très lucrative. Jusqu’à 4 000 euros par mois.
Publié le 13-12-2021 à 07h12 - Mis à jour le 13-12-2021 à 09h35
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Dès samedi matin, les chauffeurs Uber bruxellois ont pu reprendre leur activité presque normalement. Presque, car une partie d'entre eux (ceux qui ont introduit leur licence au-delà du 15 janvier 2021) est restée sur le carreau. Le Parlement bruxellois a approuvé la proposition d'ordonnance qui mettait un terme à la saga qui a animé la vie politique bruxelloise pendant presque deux semaines, et qui a maintenu tout un secteur dans le doute pendant la même période.
Vendredi matin encore, ils étaient une bonne centaine à faire le pied de grue devant le parlement bruxellois en attendant le vote. Le regroupement surprend par son homogénéité : que des hommes, quasi tous entre 25 et 40 ans. Parfois plus jeunes, rarement plus vieux. Qui sont-ils finalement ? Et comment vivent-ils, ces travailleurs "ubérisés", pur produit d'une économie nouvelle qui sort des cadres traditionnels ? La Libre est partie à leur rencontre.
Un quart du prix va chez Uber
Sami et Aziz travaillent ensemble sous le même numéro d'entreprise, indispensable à qui veut collaborer avec l'entreprise californienne. Les deux hommes étaient livreurs jusqu'en 2015, date d'arrivée d'Uber à Bruxelles. Ils ont alors commencé à devenir chauffeurs, poussés par l'envie d'être indépendants et la promesse de gain, sans regret aujourd'hui. "Les revenus dépendent vraiment selon les mois. Pendant les vacances, c'est très calme", explique Aziz. "En août, par exemple, c'est vraiment la mort", renchérit Aziz. Alors il faut étaler les revenus, faire des provisions pour assurer les mois de disette. Mais, globalement, les deux hommes ne se plaignent pas vraiment des revenus, estimés à entre 1 500 et 1 600 euros nets, après que leurs charges sociales, les impôts, le leasing de la voiture et la commission de 25 % que prend l'entreprise sur chaque trajet ont été payés.
Les deux collaborateurs se partagent les horaires de jour et de nuit. Un moyen de couvrir l'ensemble de l'horloge et de gonfler le chiffre d'affaires (il y a beaucoup de demandes la nuit, à la sortie des boîtes de nuit par exemple). "On travaille beaucoup, plus que 38 heures par semaine, évidemment. Mais c'est comme tous les indépendants. Demandez à un boulanger, il travaille autant que nous", explique Sami, pas mécontent de son statut d'indépendant. "J'aménage mes horaires comme je veux. Je commence à 8 heures, jusqu'à 12 heures. Ensuite je reprends vers 16 heures, jusqu'à 20 heures. Après, c'est la nuit", détaille-t-il.
Sami conduit sa voiture depuis quatre ans et demi. Il a effectué 13 085 courses. Il se targue d'avoir une cote attribuée par les clients de 4,92 sur 5. Cette bonne note est indispensable pour lui. En dessous de 4,65, il serait exclu de la plateforme. "Tout n'est pas rose chez Uber, mais ça nous permet de gagner notre vie", admet le chauffeur.
Activité complémentaire au gros salaire
Jamal travaille pour Uber depuis maintenant deux ans et demi. Une activité qu'il cumule avec son emploi dans une école maternelle de la Fédération Wallonie-Bruxelles. "Après ma journée, je vais rouler de 21 heures à 1 heure du matin, parfois 2 heures", explique le chauffeur indépendant.
Le texte, dans la mouture adoptée par le Parlement bruxellois vendredi, n'entraverait pas son activité, il pourrait toujours effectuer des courses le soir en plus de son travail. Mais il lui faudrait pour cela conduire plus de 20 heures par semaine. "Normalement, je bosse 30 heures par semaine pour Uber. Mais parfois, avec la fatigue ou les enfants, ce n'est pas possible. Je tiens à mon indépendance quand même !"
Le calcul de Jamal est simple : il gagne avec Uber en une semaine ce qu'il gagne en un mois dans l'école maternelle. Une vie de forçat. Il aimerait changer de travail et devenir chauffeur à temps plein. "Mais la situation est trop incertaine actuellement. Mon travail de salarié constitue une sécurité."
Aïssame, lui, a anticipé les tergiversations et le blocage bruxellois. Après plusieurs années comme chauffeur à Bruxelles, il est allé s'installer en Flandre, où la législation est plus avancée en la matière. Un choix qu'il ne regrette en aucun cas, car pour lui Uber n'est qu'une réponse à une demande. "Si ça ne marchait pas, il n'y aurait pas autant de chauffeurs. Avec le système Uber, on ne doit pas rentrer à la station après chaque course. Du coup, on peut accepter les petits trajets à 8 ou 10 euros qui n'intéressent pas les taxis", constate Aïssame.
Les chiffres semblent lui donner raison. Entre 2015 et 2019, le nombre de voitures de LVC (comme Uber ou Heetch) est passé de 235 à 983, soit une hausse de 400 %, selon une étude Deloitte commanditée par le Parlement bruxellois.
Un nouveau "petit boulot"
"Beaucoup de gens peu qualifiés ont pu s'émanciper, créer leur propre entreprise et gagner leur vie", observe le chauffeur. "Il ne faut pas se voiler la face, la plupart des chauffeurs viennent de Schaerbeek, de Molenbeek ou d'Annensens. Quand tu n'as pas de qualification, Uber est un moyen de bien gagner sa vie", indique le chauffeur, qui dit gagner près de 4 000 euros nets par mois, en travaillant plus de 12 heures par jour.