Une grande Liégeoise s’en est allée

Rita Lejeune avait 102 ans. Elle fut l’une des premières femmes universitaires. Elle était spécialiste des littératures française et occitane du Moyen Âge.

Lily Portugaels
Une grande Liégeoise s’en est allée
©D.R.

Di v’vèy div’ni grande on s’rafèye Ca vos n’sarîz crehe qu’ê bêté. Mins’l’spassèt si vite, lès annêyes !" .(1)

Ces quelques vers ont été écrits, à Herstal, en 1906, par Jean Lejeune, poète wallon connu sous le nom de Jean Lamoureux. Il avait écrit un poème intitulé "A m’Fèye" (A ma fille) qu’il admirait dans un petit berceau rose, peu après sa naissance. Lui, allait la quitter bien trop tôt, emporté par la grippe espagnole à 38 ans; la petite Rita avait 12 ans et son jeune frère Jean en avait 4.

Aujourd’hui, c’est Rita qui s’en est allée. Elle avait fêté ses 102 ans en novembre dernier. Femme accomplie, elle était la veuve de l’ancien ministre, le grand européen, Fernand Dehousse, décédé en 1976, la mère de Jean-Maurice et Françoise Dehousse, la sœur de l’ancien échevin liégeois Jean Lejeune.

Elle était plusieurs fois grand-mère et arrière-grand-mère. "I ls m’appellent tous Mamine" , m’avait-elle dit un jour, en me racontant une anecdote à propos du petit Jean-Maurice. Il n’arrivait pas à prononcer son prénom et disait toujours "Menmau". On avait continué à lui donner ce surnom.

En 1928, Rita Lejeune avait obtenu son doctorat en philosophie et lettres de l’Université de Liège. Elle était une des premières femmes universitaires.

À ce moment aucune femme n’était encore professeur d’université. La première sera Marie Delcourt, chargée de cours en 1929. En 1935, Rita Lejeune est diplômée de l’École pratique des Hautes Études à la Sorbonne de Paris.

La même année, revenue à Liège, elle défend une thèse d’agrégation consacrée au romancier Jean Renart. En 1939, elle est nommée chargée de cours et, en 1954, elle devient professeur ordinaire à l’Université de Liège.

Vaste bibliographie

Ses travaux qui l’ont rendue célèbre, non seulement en Belgique mais dans l’Europe entière, ont toujours concerné ses grands amours : Liège, la Wallonie, la littérature wallonne, l’histoire du Moyen Âge.

Sa bibliographie est impressionnante avec plusieurs ouvrages écrits en collaboration avec le professeur Jacques Stiennon, son collègue et ami de toujours.

Ces trois dernières années, Rita Lejeune ne pouvait plus se déplacer, elle ne voyait pratiquement plus et ne pouvait plus écrire. Quand on la voyait, recluse dans sa chambre, on ne pouvait s’empêcher d’avoir le cœur serré en pensant au passé de cette femme exceptionnelle. Mais elle-même ne se plaignait pas. Elle accueillait avec plaisir la moindre visite et l’occasion de boire un doigt de vin.

Peu de temps auparavant, alors que je lui disais mon admiration pour l’immense culture qui était la sienne, elle m’avait dit : "J’ai toujours fait le mieux possible avec toujours un grand amour pour la langue wallonne". Et cette fois, elle m’avait chanté, mezza voce, "Li Tchant des Wallons".

Ce sont ces souvenirs si simples qui accompagnent le départ de cette grande dame. Cette grande liégeoise qui, voici quelques années, appuyée sur sa canne, était venue dans les "trous" de la place Saint-Lambert, se mêler aux manifestants qui défendaient la mémoire de Liège. Adieu Mamine, votre longue vie n’a vraiment pas été inutile.

Son corps repose au funérarium Besem, place Licour, à Herstal. Les funérailles auront lieu ce samedi 21 mars (rendez-vous à 9h au funérarium et ensuite à l’église Notre-Dame de la Licour).

(1) "De vous voir grandir on se réjouit; Car vous ne pouvez croître qu’en beauté; Mais elles passent si vite, les années".

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