"Il faut renifler le public"

Mardi soir, La Libre Belgique/Gazette de Liége offrait à une centaine de ses abonnés l’occasion d’assister gratuitement, au Palais Opéra, à une représentation de "La Vera Costanza", cette "délicieuse production", a écrit notre critique musical Nicolas Blanmont, où s’exprime "tout le charme de Haydn".

Paul Vaute

Entretien Mardi soir, La Libre Belgique/Gazette de Liége offrait à une centaine de ses abonnés l’occasion d’assister gratuitement, au Palais Opéra, à une représentation de "La Vera Costanza", cette "délicieuse production", a écrit notre critique musical Nicolas Blanmont, où s’exprime "tout le charme de Haydn".

Une bonne occasion pour rencontrer le directeur général et artistique de l’Opéra royal de Wallonie (ORW), Stefano Mazzonis di Pralafera, en ce début d’année qui verra le centre lyrique de la Communauté française retrouver les murs du Théâtre royal rénové.

Il y aura cinq ans cet été que vous êtes à la tête de l’ORW et c’est à ce moment aussi que les travaux de rénovation du Theâtre royal seront achevés. Vous avez dû gérer un déménagement provisoire quelque peu perturbant pour le public et les artistes. Heureux d’arriver au bout ?

J’ai toujours été un positif qui voit les choses dans le bon sens. Les travaux sont d’abord un atout et en cherchant une solution alternative, nous avons découvert ce lieu magique exceptionnel qu’est le Palais Opéra. Il y a eu des contraintes techniques et le public a été un peu effrayé au début, mais maintenant, il est ravi d’y être. C’est un lieu convivial et démocratique, sans la différence entre rez-de-chaussée et étages qu’on a dans une salle traditionnelle. Il y a même des gens qui me disent qu’ils aimeraient qu’on reste là !

En voulant adapter le Théâtre royal aux normes modernes de l’opéra, n’a-t-on pas pris le risque de dénaturer un des derniers témoins du style Empire ?

Au contraire. Le bâtiment, sauf le toit, est ramené dans sa conception originale. Les travaux vont beaucoup améliorer l’acoustique, notamment par l’enlèvement de la moquette, mais on change le moins possible.

Les travaux seront terminés dans les délais ? Premier spectacle en septembre prochain dans le Théâtre rénové ?

Mes gris-gris me suivent partout ! (rire)

La question bateau : en matière de programmation, a-t-on raison d’opposer votre préférence pour les valeurs sûres du répertoire classique aux choix de votre prédécesseur Jean-Louis Grinda, considéré comme plus ouvert à la nouveauté ?

Un théâtre doit trouver un caractère, avoir une ligne, une âme, indépendamment du directeur. Si le directeur ne suit pas la ligne, on le sent. L’ORW est né très récemment, en 1967. Mes prédécesseurs, Rossius, Danblon et Grinda lui ont donné une ligne. Mon rôle est de lui donner une âme. Les plus grands noms, ceux qui font la différence entre les petits et les grands théâtres, acceptent de venir ici, le demandent même parfois, parce qu’ils savent qu’on est très bien accueilli chez nous. C’est une qualité liégeoise. Ensuite, comme Liège est très proche de beaucoup de théâtres ou d’opéras - Bruxelles, Aachen, Gand -, il faut avoir une caractéristique différente des autres. J’aime le contemporain, mais on doit avoir ici une orientation. C’est notamment la redécouverte d’œuvres oubliées comme "La Vera Costanza" en ce moment ou "L’Inimico delle donne" de Galuppi l’an dernier, avec un colloque qui a eu une résonance internationale.

Avec le risque de rebuter le grand public…

Oui, mais on ne peut pas faire que des "Traviata" et des "Carmen"... On risque d’avoir un peu moins de monde, mais il y a tant de choses à redécouvrir !

Les choix du directeur sont-ils décisifs ?

Nos opéras sont d’abord mes choix, c’est sûr, mais en tenant compte des choix du public. Je fais des choses ici que je ne ferais pas ailleurs en Europe. Au-delà des incontournables, il faut renifler le public.

Le public liégeois est-il très différent de celui que vous avez connu au Teatro communale de Bologne ?

Le public liégeois est très participatif et il aime découvrir. S’il n’est pas d’accord, il le dit. Je reçois beaucoup de lettres d’appréciations. Le public de Bologne est complètement différent, plus prétentieux et plus difficile. Ici, on est plus intéressé à retrouver la patte de l’ORW dans ce que nous faisons.

Attirer les jeunes est un de vos dadas…

C’est ma grande bataille. Nous sommes arrivés à 30 % de moins de 32 ans pour l’ensemble de l’année, grâce à une politique qui n’arrête pas les avantages à 26 ans. De 26 à 32 ans, le prix augmente mais sans atteindre celui qu’on paye après 32 ans. Si on ne se préoccupe pas des jeunes, dans dix ans on ferme.

Etre directeur d’opéra tout en restant metteur en scène, n’est-ce pas difficile à combiner ?

Je cherche à bien m’organiser, à balancer ce que je fais à l’extérieur ou ici. J’ai beaucoup refusé de demandes de l’extérieur parce que je ne fais que des choses que j’ai envie de faire. Il y a des opéras que j’aime trop pour les mettre en scène. Ils me font peur !

Votre contrat-programme est en cours de renégociation avec le ministère de la Culture alors que les difficultés financières de l’ORW sont sur la place publique. Les dettes du passé y comptent pour beaucoup. Vos prédécesseurs ont-ils été trop dépensiers ?

Je regarde devant moi, pas derrière. Le passé est le passé et je n’étais pas là. Un opéra coûte cher, c’est sûr. Beaucoup plus qu’une pièce de théâtre ou un concert. Le problème est stratégique : veut-on une maison de renommée internationale ou un théâtre de province comme il en existe des centaines ? Dès le moment où le premier choix a été fait, il faut mettre de l’argent. S’il y a sous-financement, nous risquons d’être obligés de réduire le personnel. On l’a déjà fait, mais toujours dans une logique saine. Un moment donné, il y a un niveau de qualité qui ne peut plus être garanti. Cinq emplois en moins sur les 230-240 qu’on a actuellement, on peut gérer. 50 en moins, c’est catastrophique. On peut aussi économiser en faisant un spectacle en moins par saison. On paye déjà des cachets très bas, on évite les productions hollywoodiennes Mais il ne faut pas être trop pauvre. Bien sûr, nous vivons dans un contexte de crise difficile, mais on n’imagine pas New York sans le Metropolitan Museum ou Paris sans le Louvre. Le conseil d’administration me soutient pleinement.

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