Présence de la Grande Guerre
Dominique Nahoé et Daniel Conraads font (re)découvrir nos lieux de mémoire.
Publié le 22-10-2013 à 05h40 - Mis à jour le 22-10-2013 à 06h18
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Il a fallu du temps, beaucoup plus qu’en Flandre, mais à moins d’un an du centenaire de la Première Guerre mondiale, les autorités liégeoises - Ville et Province - ont pris la pleine mesure de cet événement mémoriel. Ainsi présenteront-elles, ce vendredi soir, le programme officiel des commémorations dont le temps fort sera, le 4 août 2014, la venue à Liège des chefs d’Etat et de gouvernement des pays impliqués dans le conflit.
D’autres n’ont pas attendu d’avoir le nez sur le guidon. C’est assurément le cas de deux collègues - dont un bien connu de nos lecteurs -, Daniel Conraads ("Le Soir") et Dominique Nahoé (RTBF, "La Libre Belgique/Gazette de Liége"), qui ont mis pendant trois ans leurs pas sur les traces de 14-18, en Wallonie et pour cause, l’ouvrage étant édité par l’Institut du patrimoine wallon, mais avec des incursions dans les régions limitrophes. L’essentiel des quelque 350 illustrations du livre est dû au photographe Guy Focant. L’ensemble constitue, en tout cas, de la très belle ouvrage.
La province de Liège, lieu des premiers combats et aussi de la fin des hostilités - avec l’abdication du Kaiser Guillaume II à Spa le 9 novembre 1918 - est évidemment bien représentée dans cette (re)découverte des lieux célèbres ou oubliés de l’histoire et du souvenir, à partir desquels les auteurs remontent aux faits, aux batailles certes, et d’abord celle des forts de Liège, mais aussi à la vie quotidienne sous l’occupation, aux réseaux de résistance et d’espionnage, où s’illustrèrent un Dieudonné Lambrechts et un Walthère Dewé, ou encore à la tragédie des villes martyres, Herve et Visé en premier. Tout ce qui est resté tangible des événements a retenu leur attention, des constructions militaires à la mémoire collective en passant par les paysages, les rues, les cimetières, les monuments…
La bataille de Liège : 8500 morts
Avec compassion certes, mais avec recul aussi. "Les journalistes ne sont pas là pour commémorer, explique Dominique Nahoé, mais pour expliquer, "faire savoir, faire sentir et faire comprendre" comme dit Pierre Nora. Il est vrai que l’ouvrage arrive alors qu’il y a un immense mouvement commémoratif qui se prépare. Dans beaucoup d’endroits, nous avons constaté qu’il y a une volonté de mettre en valeur les familles, les enfants… Les générations d’aujourd’hui se disent vraiment qu’il faut faire quelque chose pour ces cent ans".
Construit selon deux plans successifs, le premier chronologique et le second transversal, l’ouvrage remonte très en amont de la guerre, jusqu’à l’origine des fortifications, leur raison d’être, leurs caractéristiques techniques… L’occasion de se souvenir - ou d’apprendre - que maints représentants politiques, Frère-Orban en tête, bataillèrent à la fin du XIXè siècle contre une politique de défense qui faisait de Liège, et aussi de Namur, les remparts d’Anvers. Du communautaire déjà ou du simple esprit de clocher ? En Belgique, l’un et l’autre ne sont jamais très loin.
Les forts - et en premier lieu Loncin - constituent certainement aujourd’hui la présence la plus poignante de la première des grandes tragédies du XXè siècle qui allait en être prodigue. Une grande partie demeure chez nous visible et visitable, alors qu’il ne reste pas grand-chose à Namur. Selon les estimations, 1500 soldats belges, dont 500 défenseurs des forts, et 28 officiers ainsi que 1200 civils trouvèrent la mort dans la bataille de Liège. Du côté allemand, les pertes se chiffrèrent à 5300 hommes. Total : plus de 8500…
Dans un tout autre registre, la Légion d’honneur décernée à la Cité ardente constitue elle aussi une trace durable, régulièrement évoquée avec fierté par nos officiels. "C’était la première fois qu’une ville non française recevait la Légion, rappelle Daniel Conraads. Sa remise a donné lieu en 1919 à des cérémonies et des manifestations gigantesques à Liège. Nous avons eu des Archives de la Ville l’autorisation de reproduire des photos d’époque". Elles sont de fait impressionnantes. La presse fit alors état de 120.000 spectateurs le long des trois kilomètres du parcours du président français et de nos souverains, entre la gare des Guillemins et la place Saint-Lambert.
Citons encore, parmi bien d’autres étapes du périple mémoriel, les domaines spadois où s’établirent l’Empereur et le haut état-major allemands. Au Neubois, Guillaume avait fait aménager un abri antiaérien, toujours en place aujourd’hui, avec téléphone et ventilateurs électriques. Il n’a jamais servi, mais ce fut le premier du genre.
Daniel Conraads & Dominique Nahoé, "Sur les traces de 14-18 en Wallonie. La mémoire du patrimoine", Institut du patrimoine wallon (coll. "Sur les traces", 2), 360 pp. 23,6 x 30,8, 45 euros.