La poésie d’une mémoire réinventée

Un roman poétique entre la Flandre et la Picardie, entre la campagne et la ville industrielle.

Aude Quinet
La poésie d’une mémoire réinventée

Un roman poétique entre la Flandre et la Picardie, entre la campagne et la ville industrielle.Le jeune Jean Frans doit quitter sa campagne thioise rongée par la famine pour aller chercher fortune dans les charbonnages de Picardie. Jean-François, tradition oblige, sera prof d’hébreu. Les deux frères aiment la belle rousse Victorine, ouvrière porcelainière. À Quargneries-la-Belle-Enceinte, les histoires se mêlent au fil des rencontres et du temps…

Née en 1939 et diplômée en philologie germanique à l’ULiège, la poète, philologue, romancière et dramaturge Rose-Marie François a enseigné aux universités de Liège, de Lund (Suède), de Lettonie (à Riga), dont elle est doctor honoris causa. Elle est membre du jury du Premio Napoli et prix littéraire de la ville de Naples. L’interdiction de sa mère de parler le picard durant son enfance au profit du seul français induit chez elle dès l’enfance une passion pour les langues étrangères. Formée à la peinture et au théâtre, celle qui parle quinze langues et qui a fait de Liège sa terre d’adoption est l’auteure de trente-neuf œuvres (romans, nouvelles, livres de poésie, essais et articles, pièces de théâtre, traductions, etc.) publiées en divers pays et traduites dans une douzaine de langues. "Je vis dans plusieurs époques, dans plusieurs pays et plusieurs langues à la fois."

"J’ai commencé ce livre alors que j’enseignais à l’Athénée royal d’Angleur, en 1985. Je le reprenais tous les ans et je ne comprenais pas où il voulait en venir... J’ai rencontré Edmond Gabès qui m’a offert une première lecture, et il m’a dit ceci : ‘Quand vous retravaillez un manuscrit, ce n’est pas une question de style ; il s’agit de savoir ce que votre texte veut dire, ce qu’il veut vous dire’", raconte l’auteure qui livre un roman subtilement écrit après trente-trois années de gestation.

Dans La Belle enceinte, Rose-Marie François s’inspire de sa Picardie natale (aujourd’hui Wallonie picarde), plus précisément de la ville de Baudour, "où se trouvait une très belle usine de porcelaine". "Le personnage de Jan Frans van der Weyden, qui va rencontrer son alter ego, c’est l’histoire du grand-père de mon grand-père maternel. Il est le cadet d’une famille paysanne en Flande occidentale. Vers 1860, c’est l’année de la grande famine. Les familles paysannes envoient leur cadet travailler dans les charbonnages de Picardie", explique-t-elle, faisant de cet écrit "un amalgame de choses vécues par [elle]-même ou [ s]es ancêtres".

Un livre poétique

Dans cet ouvrage, l’auteure nie la chronologie au profit de l’imaginaire des personnages et du lieu. Plus qu’un roman, il s’agit ici d’un roman poétique, où la prose et l’allégorie prennent toute leur place, égarant parfois presque le lecteur qui doit redoubler d’attention pour ne pas se perdre dans cet imaginaire historique. "L’imaginaire, c’est la construction", révèle la romancière qui confronte ici le monde rural et industriel, le monde manuel et intellectuel. Une large place est également accordée à la femme et au savoir-faire (textile et porcelaine). On y trouve aussi le thème du réfugié amené à devoir s’intégrer dans une ville et dans une langue qu’il ne connaît pas. Enfin, l’auteure y laisse également une trace de ses années de professeure avec un personnage qui se perd presque au fil de ses copies…

(1) "La Belle Enceinte. Nos amours de Flandre et de Picardie", Rose-Marie François. Ed. Maelström, Bruxelles, 2018, 16 euros. Blog : www.rosemariefrancois.eu

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