Les hôpitaux liégeois sont unanimes : "Nous ne manquons pas de lits, nous manquons de moyens"
Liège Plus d’un an après le début de la crise, le CHU, le CHR et le CHC veulent être entendus.
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Publié le 08-06-2021 à 07h56 - Mis à jour le 08-06-2021 à 11h48
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Alors que l’Europe tout entière semble sortir de sa troisième torpeur, à l’aube de l’été, un coup d’œil dans le rétroviseur semble aujourd’hui nécessaire, afin d’analyser les choix posés durant cette crise sanitaire. Lors de chaque confinement en effet, la situation hospitalière semblait identique… et particulièrement critique. Si le nombre de cas de personnes nécessitant une prise en charge à l’hôpital voire aux soins intensifs augmentait, ces unités apparaissaient rapidement engorgées. La solution ? Le report de la prise en charge d’autres pathologies mais avec des conséquences fâcheuses pour la santé publique. Quid en effet d’une prise en charge tardive d’un cancer ? Les spécialistes sont clairs : des personnes mourront de n’avoir pas été soignées suffisamment tôt. Conséquence indirecte de la crise du Covid. Un mal nécessaire ?
Depuis plusieurs mois déjà, des voix s’élèvent pourtant contre la gestion de cette crise et dénoncent le manque de réactivité du monde politique… Pourquoi en effet, entre la première et la troisième vague, n’avoir pas réglé ce problème de manque de lits, particulièrement dans les unités de soins intensifs ? Des moyens supplémentaires ont-ils enfin été mobilisés pour aider le secteur hospitalier ? Nous avons posé la question aux trois grandes institutions hospitalières liégeoises que sont le CHU, le CHR et le CHC. La réponse est unanime : le secteur manque cruellement de moyens mais la création de lits supplémentaires est pourtant une fausse bonne idée.
Comme nous l’indique en effet Alain Javaux, directeur du CHC, "des structures intermédiaires ont bien été envisagées", rappelle-t-il, "comme l’hôpital Saint-Joseph. Mais le problème, ce n’était pas les lits, c’était les ressources humaines". Ici en effet, une centaine de lits étaient disponibles mais la difficulté résidait bien dans la mobilisation d’un personnel, déjà éprouvé et trop peu nombreux. "Pour les soins intensifs", poursuit le directeur, "c’est encore pire puisque pour s’occuper de 6 lits, il faut deux équivalents infirmiers, 7 jours sur 7". Des infirmiers formés aux soins intensifs qui plus est sont "une denrée rare".
Des propos que partage Sylvianne Portugaels, directrice du CHR. Pour elle, "augmenter le nombre de lits n’est pas la solution en effet car nous n’en manquons pas. Par contre, il est difficile de former du personnel qualifié en un an, surtout aux soins intensifs". Au CHC, en 20 ans, le nombre de lits est passé de 1093 à 1039, une légère diminution qui n’est pas problématique mais qui témoigne d’une nouvelle philosophie de soins hospitaliers.
"La situation est en effet complexe", poursuit Julien Compère, directeur du CHU de Liège. "Car si on crée des lits supplémentaires, il faut pouvoir encadrer ces lits et il faut du personnel. Or avant la crise du Covid, la pénurie au niveau du personnel infirmier existait déjà". Avec la crise, ce manque est devenu manifeste et criant doit-on comprendre, "car nous étions déjà à flux tendus".
Revalorisation du métier
Pas besoin de lits supplémentaires mais une incapacité à accueillir les patients en cas de crise : est-ce à dire que l’impasse sera une nouvelle fois inévitable à la prochaine épidémie ? Dans les trois structures hospitalières liégeoises, on plaide aujourd’hui pour des solutions intermédiaires qui nécessitent, c’est le nerf de la guerre, des moyens.
Au CHR, entre la première et la deuxième vague, le choix de collaborer avec des maisons de repos fut gagnant se félicite la directrice, "ce qui nous a permis de ne jamais refuser un patient. Mais on constate aujourd’hui qu’il y a une dévalorisation du métier, surtout au niveau des infirmières spécialisées en soins intensifs. On sait en effet qu’en province de Liège, il y en a à peine 15 qui sortent par an et en plus, elles ne font souvent pas une carrière complète dans ce secteur". Pour Sylvianne Portugaels, il faut rendre ce métier plus attractif.
Un avis partagé par Alain Javaux qui plaide non seulement pour des formations rapides de personnel mais aussi, en cas de crise, pour des solutions "middle-care", entre une unité banalisée et les soins intensifs. "Des structures moins consommatrices de ressources qui permettent précisément de dégager du personnel […] Car actuellement, nous n’avons pas les ressources pour mettre en place un hôpital de campagne". Ce qui, on a pu le constater, est un problème majeur.
Une "revalorisation du personnel et du secteur", insiste Julien Compère qui plaide donc clairement, comme ses homologues du CHC et du CHR, pour un refinancement… conséquent. "Je n’en veux pas personnellement aux autorités dans cette crise", nous confie le directeur du CHU, "mais aujourd’hui, il faut clairement envisager une réflexion sur le financement"… Et d’évoquer la piste d’un financement spécifique pandémie, notamment.
Refinancement structurel
En 5 ans, le budget du CHU a drastiquement diminué. S’il avoisine aujourd’hui les 650 millions d’euros, la perte depuis 2015 est de près de 25 millions d’euros. Un chiffre confirmé au CHR où on évoque une diminution de l’ordre de 5 millions par an… Pour Alain Javaux du CHC, le refinancement s’impose alors que la courbe est, depuis des années, "descendante. C’est la politique de la râpe à fromage".
"Nous ne manquons donc pas de lits mais bien de moyens", conclut Sylvianne Portugaels. Des moyens structurels qu’il importe de mobiliser avant une nouvelle crise. Car la santé a un prix… qu’il importe de ne pas négocier.