Tour de France: Qu'est-ce qui se cache à l'intérieur des camions de la Sky?
Froome dormirait sous tente hypoxique. Et alors? Le professeur Marc Francaux n’y voit ni malice ni révolution. Éclairage de Jean-Claude Matgen.
Publié le 15-07-2015 à 19h57 - Mis à jour le 16-07-2015 à 10h52
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Le professeur Marc Francaux n’y voit ni malice ni révolution.Il a suffi que Christopher Froome s’offre une démonstration à la Lance Armstrong, mardi, lors de la première étape de montagne du Tour de France 2015 pour relancer les soupçons de dopage autour de sa personne.
Plusieurs observateurs du monde cycliste se disent inquiets. L’ancien coureur et directeur sportif français Cyrille Guimard a déclaré, mardi soir, que "certaines choses n’étaient pas normales sur ce Tour". Et de faire allusion à la présence de trois motorhomes de l’équipe Sky, d’une valeur estimée à 1,5 million d’euros. Ils accueilleraient, dit la rumeur, des chambres hypoxiques.
1. De quoi s’agit-il ? Nous avons posé la question au professeur de physiologie de l’exercice Marc Francaux (UCL). En septembre 2012, son université a inauguré une chambre hypoxique au sein du laboratoire de l’effort de la Faculté des sciences de la motricité. La chambre hypoxique climatisée de l’UCL est une sorte de grande boîte en verre de 37 m². Elle permet aux sportifs de haut niveau de s’entraîner dans des conditions extrêmes (chaleur, humidité) ou en condition d’altitude (de 0 à 5 000 m). On y contrôle la température, l’humidité et la teneur en oxygène. La chambre a été divisée en deux espaces distincts qui peuvent être pilotés de deux manières différentes : d’un côté, on peut reproduire les conditions de haute altitude et de l’autre, celles du niveau de la mer.
2. Pourquoi un tel dispositif ? "Souvenez-vous des Jeux olympiques de Mexico, en 1968, dont les épreuves se sont disputées à des altitudes supérieures à 2 000 m" , raconte M. Francaux. La plupart des athlètes ont préparé ces Jeux en effectuant des stages de longue durée en altitude pour s’habituer à respirer dans un environnement plus pauvre en oxygène. Leurs performances une fois qu’ils furent revenus au niveau de la mer furent étudiées et l’on observa chez beaucoup d’entre eux, une augmentation de la production naturelle d’érythropoïétine, hormone qui stimule la formation et la croissance des globules rouges, de quoi assurer un meilleur transport de l’oxygène vers les muscles." Ces bienfaits de l’altitude peuvent être assurés par les chambres hypoxiques sans qu’il faille se déplacer à l’autre bout de la planète et y rester plusieurs semaines, explique, en substance, le professeur Francaux.
3. Filière anaérobie. Celui-ci précise que l’on s’est beaucoup plus récemment rendu compte que si l’on prive un muscle d’approvisionnement en oxygène au cours d’un exercice intense, le corps s’adapte en favorisant l’expression de protéines intéressantes pour l’athlète. C’est ce qu’on appelle dans le jargon la filière anaérobie, non consommatrice d’oxygène. "Les chambres hypoxiques permettent de créer les conditions d’un entraînement anaérobie, de quoi améliorer les performances de sportifs comme les frères Borlée sur 400 m, par exemple."
4. Récupération. Mais le professeur Francaux voit dans l’usage, pendant le Tour de France, d’un tel dispositif par l’équipe Sky un autre objectif possible : améliorer la récupération des coureurs. "Aucune donnée scientifique ne permet d’affirmer que s’exposer à l’hypoxie dans les heures qui suivent une compétition permet une meilleure récupération. Mais certains ont essayé et estiment mieux récupérer. Est-ce un effet placebo ou effet réel ? La science doit encore le démontrer. Certains dorment aussi des tentes hypoxiques afin de prolonger les effets d’un stage en altitude. Il ne faut cependant pas que la qualité du sommeil en soit affectée car ce bénéfice serait perdu. Aujourd’hui, les médecins qui encadrent les équipes savent en général comment calibrer les choses."
5. Légal, illégal ? Recourir aux chambres hypoxiques est parfaitement légal, observe le professeur Francaux. Que Sky ait éventuellement recours à un équipement plus sophistiqué que les autres formations montre simplement un degré de professionnalisme plus grand, selon lui.
6. D’autres indicateurs. Pour le professeur, il existe d’autres moyens de soupçonner un sportif de se doper, sans nécessairement aller jusqu’à le prouver. "Les courbes de puissance sont de bons indicateurs. Désormais, tous les coureurs disposent dans leur pédalier de capteurs de puissance dont les données, après la course ou l’entraînement, servent aux entraîneurs pour évaluer leur degré de forme. Ces capteurs montrent, par exemple, combien de temps un coureur peut maintenir un degré de haute puissance. En général, l’évolution de la courbe de puissance d’un athlète est progressive. Le soupçon de dopage s’installe quand se produit une rupture de progression, quand on enregistre une amélioration bruta le et spectaculaire de la performance." Autre indicateur plutôt objectif : le passeport biologique. "Des contrôles répétés des paramètres sanguins d’un coureur permettent, à l’aide de modèles mathématiques rodés, de déceler l’existence ou l’absence d’écarts significatifs avec les résultats de l’ensemble de la population. Les prises de sang répétées peuvent mettre en lumière des modifications importantes. Il est alors justifié de transmettre le dossier de l’athlète aux organismes de contrôle agréés. A mes yeux, c’est beaucoup plus probant que les accusations au sujet des soi-disant mystérieux autocars de la Sky."