Zoom sur la santé du cyclisme italien: "Notre problème est économique, pas sportif"
Depuis cette année, l’Italie ne compte plus aucune formation au plus haut échelon du cyclisme mondial.
Publié le 17-03-2017 à 11h26 - Mis à jour le 17-03-2017 à 12h31
:focal(465x240:475x230)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/W36JBQUAKBCMTL6XXIVYVPLGLM.jpg)
Depuis cette année, l’Italie ne compte plus aucune formation au plus haut échelon du cyclisme mondial. Dans un pays où le plus grand quotidien sportif national s’imprime chaque jour sur plus de trente pages roses, l’horizon du cyclisme italien semble s’être teinté d’une couleur bien plus sombre ces derniers mois. Pour la première fois depuis la mise sur pied du WorldTour en 2005, cette nation à l’origine de la création de l’UCI ne comptera pas d’équipe du plus haut niveau, là où flottent les bannières de treize différentes nations. Une exception dont l’écho résonne bien plus fort encore si l’on se souvient de noms aussi légendaires que Mapei, Faema ou Molteni, pour n’en citer que quelques-uns.
Après 24 années de présence dans le peloton, les frères Galbusera, patrons passionnés de la fabrique d’acier Lampre, ont en effet choisi de se retirer face à l’augmentation galopante des coûts qui avait fait d’un budget annuel frôlant les dix millions une aumône ou presque…
"Notre problème est, à mes yeux, économique et non sportif, juge Davide Cassani, le sélectionneur national italien. Dans un sport désormais mondialisé, nous sommes le pays le plus représenté dans le peloton WorldTour avec 61 coureurs (voir infographie), comptons vingt directeurs sportifs au sein des équipes de l’élite mondiale de la discipline et possédons, comme fer de lance, l’un des six coureurs de l’histoire à avoir remporté chacun des trois grands tours en la personne de Vincenzo Nibali. Je ne pense donc pas que notre cyclisme soit malade. Mais nous devons toutefois être attentifs à ce qu’il ne prenne pas froid (rires…) L’absence de formation italienne au plus haut niveau n’est, à ce jour, pas un problème puisque nos coureurs y ont tout de même trouvé leur place. Mais il ne faut pas que la situation perdure. Je m’inquiéterais toutefois plus si nos équipes continentales pros venaient à disparaître. Car c’est souvent grâce à elles que nos talents mettent le pied à l’étrier."
Si un bruit avait, un temps, laissé entendre que Vincenzo Nibali évoluerait cette année sous le maillot italien de l’équipe Barilla, le projet n’a pas été mené à bien et le Requin de Messine bat désormais pavillon bahreini. Dernier grand industriel transalpin débarqué dans le peloton (en 2015), le torréfacteur Segafredo-Zanetti avait, lui, préféré s’adosser à la structure existante de l’équipe Trek plutôt que de lancer sa propre formation.
"Pour convaincre nos industriels d’investir dans ce sport, il faut simplement réussir à les attirer sur une course, sourit Ivan Basso, development manager au sein de l’équipe américaine. Ils tombent alors instantanément sous le charme. Après un an de présence en qualité de cosponsor, Segafredo a choisi de prolonger son investissement jusqu’à l’horizon 2020. C’est la preuve que ce sport reste attractif pour nos partenaires. Pour que le mariage se passe au mieux, il faut toutefois que les équipes adoptent une position plus business et que les sociétés aient, elles, une vision plus sportive. Aujourd’hui, le budget moyen d’une équipe WorldTour avoisine les quinze millions d’euros. Peu de compagnies italiennes sont capables de déposer un tel montant sur la table, mais c’est au monde du vélo de réussir à les convaincre."
Si les marquES légendaires que sont Pinarello et Bianchi sont passées sous capitaux étrangers, l’économie italienne a, elle, renoué avec la croissance en 2015 après avoir été touchée de plein fouet par la crise. Le retour d’une touche de rose dans l’horizon ?
"Nous aurions besoin d’un peu plus de soutien"
Gianni Savio, le manager de la formation Bardiani Giocattoli, regrette que son équipe ne soit, comme en 2016, pas invitée sur le Giro.
Manager d’équipe depuis plus de trente ans maintenant, Gianni Savio est intarissable lorsqu’on évoque avec lui la santé du cyclisme italien. Les mains du boss de la formation continentale pro Bardiani Giocattoli-Sidermec s’agitent toutefois avec un peu plus de frénésie lorsque le sujet glisse sur la disparition d’équipe de pointe dans la Botte.
"Peut-être certains projets auraient-ils besoin d’un peu plus de soutien de la part des organisateurs nationaux, lance le Turinois, visiblement amer. Pour la deuxième année consécutive, ma formation n’a pas été invitée sur le Giro . Monsieur Prudhomme, lui, soutient l’ensemble des équipes françaises. La nationalité ne doit évidemment pas être le seul critère d’attribution des invitations sur les grands tours, mais nous étions par ailleurs la seule équipe à compter dans notre noyau un coureur émargeant au Top 100 mondial en la personne de Francesco Gavazzi. On peut donc parler d’une véritable injustice sportive. Cette décision m’a fait perdre un sponsor prêt à investir un peu plus de trois millions…"

Plus de culture des classiques
Les coureurs italiens sont bien moins dominants qu’autrefois sur les Monuments.
Si les coureurs italiens se sont adjugés 50 des 107 éditions de Milan-Sanremo, la probabilité d’entendre résonner le Fratelli d’Italia ce samedi sur la Via Roma apparaît plutôt ténue.
Autrefois redoutables chasseurs de classiques, les Transalpins semblent en effet avoir perdu la culture des courses d’un jour. "Il est très difficile de trouver une explication rationnelle à ce phénomène, juge Alessandro Petacchi, vainqueur de la Primavera en 2005. Le Giro absorbe une bonne part de la lumière, mais cette vérité valait déjà il y a plus de dix ans. Peut-être nos coureurs ne sont-ils plus aussi désireux de partir à la guerre qu’autrefois. Car les courses d’un jour sont un véritable combat, et les classiques pavées encore plus. Je crois toutefois que le jour où un coureur italien aura le sentiment de pouvoir jouer la gagne sur ce terrain, il s’y consacrera alors pleinement. Vois-je un de mes compatriotes capables de s’imposer ce week-end sur la Classicissima ? Très franchement, cela me semble difficile. Si je devais avancer un nom, ce serait celui de Colbrelli, mais je ne le vois pas devancer des gars comme Gaviria, Démare ou Sagan qui seront mes trois favoris."
Le sélectionneur national italien croit, lui, plutôt à un phénomène de cycle. "Nos coureurs n’ont pas perdu l’amour des classiques, j’en suis certain, juge Davide Cassani. Nous avons actuellement de super athlètes pour les courses par étapes avec Nibali, Aru ou Rosa mais peut-être la génération suivante sera-t-elle branchée courses d’un jour. Nos jeunes continuent de courir à l’étranger et la fédération travaille de la même manière. Il n’y a donc pas de bouleversement culturel."

L'avis de Vincenzo Nibali: "S’exiler n’est pas un problème"
S’il est passé pro en 2005 au sein de la formation italienne Fassa Bortolo avant de porter les couleurs d’une autre équipe transalpine, Liquigas, de 2006 à 2012, Vincenzo Nibali bat pavillon étranger depuis cinq saisons déjà. Après Astana, c’est désormais sous le maillot de Bahrain-Merida qu’évolue le Requin de Messine. "Il est dommage que le WorldTour ne compte pas une formation italienne cette année, mais s’exiler ne constitue pas un véritable problème à mes yeux, juge ainsi le vainqueur du Tour de France 2014 . La santé d’un cyclisme national ne se mesure pas uniquement aux couleurs des drapeaux qui flottent à côté du nom des différentes équipes(rires). Si je ne me trompe pas, mon pays reste le mieux représenté au plus haut niveau du cyclisme mondial (NdlR : voir infographie ci-dessous) et les staffs de nombreuses équipes WorldTour regorgent, pour la plupart, de techniciens italiens. Je ne vois donc pas pourquoi il faudrait parler de crise.
