Bettini: "Comme moi, Sagan peut tout gagner"
Le Grillon, vainqueur de Milan-Sanremo en 2003, préface la Primavera.
Publié le 18-03-2017 à 07h34 - Mis à jour le 18-03-2017 à 09h08
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Le Grillon, vainqueur de Milan-Sanremo en 2003, préface la Primavera. Le soleil se dégage autant de son accent toscan que du surnom dont il est resté affublé : le Grillon. Venu saluer le peloton en voisin lors de la seconde étape de Tirreno Adiratico, à Pomarance, Paolo Bettini se présente au rendez-vous qu’il nous avait fixé avec une petite heure de retard. "Toutes mes excuses, mais je me suis fait arrêter par des amis ou des supporters tous les cinq mètres depuis que j’ai stationné ma voiture... (rires)"
Un sourire sans cesse accroché sur un visage à la rondeur joviale, le vainqueur de Milan-Sanremo 2003 nous a accordé un peu de son temps entre ces multiples sollicitations.
Paolo, cela fera onze ans ce samedi qu’un coureur italien n’a plus gagné Milan-Sanremo. Comment expliquez-vous que Filippo Pozzato n’a toujours pas trouvé de successeur ?
"Le problème est complexe, mais le constat fait mal. Les coureurs italiens ont longtemps marqué l’histoire des grandes classiques, mais nos meilleurs champions sont désormais plus spécialisés dans les courses par étapes. Avec Aru et Nibali, nous pouvons nous appuyer sur deux des meilleurs coureurs de grands tours. Un phénomène que nous n’avions plus connu dans notre pays depuis la domination de Pantani à la fin des années 90. Nibali est un coureur que j’aime beaucoup. Seuls six coureurs ont réussi le défi de remporter au moins chacun des trois grands tours et il en fait partie. Il a aussi triomphé en Lombardie, a terminé deuxième de Liège-Bastogne-Liège ou troisième de Milan-Sanremo. Au contraire de Froome, Nibali est un vrai coureur ! Je ne conçois pas qu’un cycliste vive pour un seul et un unique objectif sur sa saison. Le public aime suivre son favori tout au long de la saison, c’est important pour l’identification. Cela a fait le bonheur de votre compatriote Van Avermaet mais je pense que si Vicenzo ne chute pas à Rio, il gagne même les Jeux Olympiques…"
Ce bouleversement est-il le fruit du hasard ou résulte-t-il plutôt d’un problème culturel ?
"Dans ma carrière, j’ai eu la chance et le privilège d’apprendre beaucoup aux côtés de Bartoli. Il était littéralement habité par les classiques. J’ai, aussi, très vite rejoint l’équipe Mapei où les courses d’un jour étaient inscrites dans l’ADN. Ce terreau explique très certainement le coureur que je suis devenu par la suite. Je veux faire profiter les jeunes talents de mon vécu au travers d’un nouveau projet et les ramener sur ce terrain dans une attitude conquérante. Car le talent est bien présent en Italie."
L’Italie est le pays qui compte le plus grand nombre de coureurs dans le peloton WorldTour (61) mais plus aucune équipe de ce niveau ne bat pavillon transalpin. Etrange, non ?
"Votre constat est très juste et pertinent, et traduit la bonne santé sportive de notre cyclisme. Le problème est exclusivement économique. Nos jeunes talents parviennent jusqu’ici à faire leur place au sein de l’élite de la discipline, mais il ne faudrait pas que la situation perdure…"
Vous tirez la sonnette d’alarme ?
"Oui. Il faut que l’on prenne conscience ici que le cyclisme a changé. L’équilibre mondial a été bouleversé. Lorsque je vois Nibali qui court sous le maillot de Bahrein et Aru pour une équipe kazakhe, cela me fait tout de même un petit pincement au cœur. Ce serait un rêve de réussir à réunir les meilleurs coureurs nationaux dans une équipe italienne mais il ne faut pas vivre d’utopies…"
Milan-Sanremo a connu de nombreux changements de parcours ces dernières années mais il en est revenu à ses origines. Un bon choix ?
"Oui tout à fait. Ce tracé, c’est celui de mon Milan-Sanremo, celui qui parle à chacun. Au risque de paraître rétrograde, je suis pour le maintien d’une certaine tradition dans le cyclisme. Le parcours du Tour des Flandres a été modifié, mais son essence n’a pas été altérée. C’est le plus important."
Comme vous en 2006 et 2007, Peter Sagan a réussi le doublé aux Championnats du Monde. Un sacré tour de force…
"Oui, c’est vrai. Mais sans vouloir aucunement contester le mérite du Slovaque, je n’ai pas compris l’attitude de ses rivaux dans les 50 derniers kilomètres à Doha. Ils lui ont pratiquement déroulé le tapis rouge en ne l’attaquant pas. Je comprends que Boonen a entendu le sprint, car cela constituait la meilleure option, mais pourquoi les Italiens ou Van Avermaet, par exemple, ne sont-ils pas passés à l’offensive ?"
On dit parfois que, un peu comme vous, Sagan peut espérer gagner toutes les classiques. Approuvez-vous cette analyse ?
"Oui, totalement. Ce gars sait absolument tout faire. Le seul monument qui pourrait lui résister est, à mes yeux, le Tour de Lombardie. Pour le reste… Il est capable de gagner Liège-Bastogne-Liège même si ce sera difficile. Un peu comme moi avec le Tour des Flandres, le défi est ardu mais réalisable. C’est incontestablement l’un des meilleurs coureurs qu’il m’a été donné de voir ces dernières années."
Et que pensez-vous du personnage Sagan ?
"Disons qu’il est très différent de ce que je pouvais être lorsque j’étais coureur. (rires) Mais cela fait du bien au vélo et attire un public neuf vers notre discipline."
L’éclosion de Greg Van Avermaet vous surprend-t-elle ?
"Non, pas véritablement. Je me souviens qu’il m’avait battu lors d’une étape du Tour de Wallonie 2008, à Neufchateau. Je pensais avoir course gagnée, et il est venu me sauter dans les derniers mètres. Le soir à l’hôtel, j’ai demandé son nom et ne l’ai jamais oublié." (rires)
"Tom n’a pas d’ennemi"
Equipier de Tom Boonen de 2003 à 2008, Paolo Bettini a pris le temps d’aller saluer son "ami" lors de Tirreno Adriatico. "Je lui ai souhaité bon vent dans sa nouvelle vie" , sourit l’Italien.
Quelle trace Tom aura-t-il laissé, à vos yeux, dans l’histoire du cyclisme ?
"Il est, pour moi, le plus grand coureur de l’histoire des classiques pavées. Un constat que son palmarès ne permet pas de contester. Mais bien au-delà de ce seul terrain de chasse, il a marqué le cyclisme d’une manière plus globale grâce à son charisme. C’est un monument. En Belgique, j’ai le sentiment que c’est le numéro deux après un certain Eddy Merckx. C’est dire… En 2003, lors de notre première saison en tant qu’équipiers, il a gagné pratiquement toutes les semi-classiques dans votre pays ! Il ne fallait pas être grand clerc pour comprendre, alors, que ce gars avait un sacré talent."
Quel type de rapports avez-vous entretenu avec lui ?
"Très bon. Nos carrières ont suivi deux voies parallèles du fait de nos caractéristiques différentes. Je me souviens toutefois de notre seule et unique prise de bec. Lors de la Vuelta 2005, nous n’avions pas collaboré intelligemment et avions laissé filer une victoire d’étape. La discussion, animée, n’a pas duré plus de cinq minutes et tout était rentré dans l’ordre dès le soir à l’hôtel. Tom est un gars à qui je ne connais pas d’ennemi. Nous nous ressemblons d’ailleurs sur ce point. Une question de caractère… Dont je suis très fier!"
On a toutefois difficilement compris la manière dont votre carrière s’est arrêtée en 2008…
"Je préfère ne pas m’étendre sur le sujet... La décision de Patrick Lefevere et de Frans De Cock (le boss de Quick Step) de ne pas prolonger mon contrat reste un mystère. J’avais tout gagné pour Quick Step : les JO, deux Mondiaux, trois Coupe du Monde, le maillot rose et j’en passe. Pour moi, cela coulait de source que ma carrière devait se refermer avec au sein de cette formation. Mais..."
Dans la presse belge, le manager flandrien a laissé entendre il y a peu que vous aviez été trop gourmand financièrement…
"Ce n’est pas vrai! Je me souviens très bien que Patrick m’a demandé, en marge de la 4e étape du Giro, si je comptais continuer à courir ou non car l’éventuelle prolongation de mon contrat impacterait fatalement son budget. Je lui ai répondu que oui, mais que je souhaitais évoluer d’une manière différente, sans pression, pour guider les jeunes talents de l’équipe. Nous nous sommes quittés sur cette piste. Lors du Tour de Wallonie, Patrick m’a signifié que le projet que je lui proposais était avalisé, qu’il venait de trouver un accord avec un nouveau sponsor, et que nous nous reverrions sur la Vuelta pour les détails. C’est là que, le 11 septembre (une date qui restera gravée dans mon esprit), il m’a expliqué que je ne serais pas prolongé. J’étais extrêmement surpris et lui ai même dit que je n’en faisais pas un question d’argent et que nous pouvions trouver un accord. Quick Step souhaitait alors, selon lui, investir dans une autre direction. Mais Lefevere venait alors de faire signer Stefan Schumacher pour deux ans car son partenaire Specialized voulait s’attaquer au marché allemand…"
"Je reviens en Belgique en avril pour la toute première fois depuis… 2008 !"
Paolo Bettini a beau être amoureux de la Belgique, le Toscan n’y a pas remis un pied depuis sa retraite sportive en 2008. "Je ne sais pas trop pourquoi votre pays n’est pas venu s’inscrire sur mon carnet de voyage depuis lors, sourit le Grillon. Disons que l’opportunité ne s’est tout simplement pas présentée. Ce manquement sera, toutefois, prochainement corrigé puisque je passerai le week-end du Tour des Flandres chez vous. Je participerai à la version cyclo de l’épreuve le samedi avant d’assister à la course le lendemain. Pour moi, votre pays est la terre du cyclisme, celle des meilleurs supporters du monde ! Et je vous assure que mon discours n’a pas pour but de vous flatter. J’ai déjà hâte de regoûter à cette ambiance unique et cette ferveur."
"Je veux mettre mon expérience au service des coureurs"
Longtemps impliqué dans la construction du projet d’équipe que le pilote de Formule 1 Fernando Alonso souhaitait mettre sur pied, Paolo Bettini s’est désormais ouvert d’autres horizons. "Il est encore un peu pour en parler en détails . (rires) J’espère pouvoir présenter le projet lors du prochain Giro mais disons que celui-ci a pour objectif de servir les intérêts des coureurs. Je pense pouvoir m’appuyer sur une vision globale du monde du cyclisme puisque, après ma carrière de coureur, j’ai travaillé durant quatre ans à la fédération italienne (NdlR : comme sélectionneur national) et j’ai également œuvré en tant que consultant externe pour RCS sur Tirreno Adriatico par exemple. Un vécu solide qu’est venu compléter le gros travail effectué durant une année pour le projet Alonso. Ais-je des regrets de m’être investi de la sorte alors cette équipe n’a finalement jamais vu le jour ? Non, pas vraiment. C’est, plus globalement, dommage pour le cyclisme que le projet n’ai pas été à terme car l’ambition était réellement de monter une très grosse équipe. Sur le plan personnel, disons que j’ai souhaité saisir la belle opportunité qui s’offrait à moi. On ne sait jamais si le train repassera une seconde fois…"