Il y a 50 ans, j'ai vu Eddy Merckx ceindre son premier maillot jaune, à Woluwe
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Publié le 03-07-2019 à 15h14 - Mis à jour le 04-07-2019 à 17h00
Un commentaire de Jean-Claude Matgen
La dernière étape du Tour de France 1968 consistait en un contre-la-montre individuel disputé sur une distance de 55,2 kilomètres, entre Melun et le vélodrome parisien de la Cipale. Cette année-là, pour la dernière fois, le Tour se courait par équipes nationales.
Au matin de l’ultime effort, le Belge Herman Van Springel avait le maillot jaune sur les épaules et comptait 16 secondes d’avance sur le Néerlandais à lunettes Jan Janssen. A quelques places du podium se trouvait un autre Belge, Ferdinand Bracke, connu pour ses qualités de rouleur.
Des larmes et une prophétie
La plupart des suiveurs estimaient que la Belgique allait revivre les joies du succès final, les uns voyant Van Springel, galvanisé par le port du maillot jaune, repousser les assauts de ses adversaires, les autres voyant Bracke coiffer tout le monde sur le fil. J’avais 13 ans et je me passionnais déjà pour les courses cyclistes et pour le Tour en particulier.
Mes parents nous avaient emmenés, ma soeur et moi, passer le week-end chez ma tante et mon oncle, dans l’est de la France. Je suivais l’étape sur le téléviseur noir et blanc familial, aux côtés de mon oncle Remy, des mes cousins Robert et Denis, de mon père Firmin et de mon grand-père maternel, Joseph. Quand il devint évident que Jan Janssen allait émerger et battre les deux Belges, je ne pus retenir mes larmes d’adolescent.
Mes cousins, Robert et Denis, se moquèrent gentiment de moi, ce qui ajouta à mon désarroi. Mon grand-père eut pitié de moi et me glissa à l’oreille: “ne pleure pas mon petit, l’année prochaine, Eddy Merckx va mettre tout le monde dans sa poche.”
Une carte postale signée Eddy
“Pépère” avait vu juste. L’année suivante, Merckx était au départ et toute la Belgique espérait qu’il allait marquer le Tour de son empreinte. A 24 ans, c’était déjà une idole. Il avait construit un palmarès de grand champion et son sacre dans le Tour d’Italie 1968 faisait croire qu’il était en mesure d’apporter à la Belgique sa première victoire sur la Grande Boucle depuis Sylvère Maes, en 1939.
Pendant ce tour d’Italie 68, l’enfant que j’étais encore vécut une grande joie. Un matin, je découvris dans la boîte à lettres de la maison familiale, à Forest, une carte postale représentant un site italien. Elle m’était destinée. Au verso, un petit mot plein de sympathie: “un grand bonjour d’Italie à notre ami sportif, Jean-Claude”. C’était signé Théo Mathy et... Eddy Merckx.
Théo Mathy couvrait le Giro pour le compte de la RTBF. C’était sinon un ami du moins une relation de mon père et il connaissait mon engouement pour le cyclisme et mon admiration pour Eddy Merckx, dont il était très proche. Il avait eu cette délicate attention de m’adresser cette carte postale et de la faire signer par mon idole. Il allait répéter ce gentil geste plusieurs fois par la suite.
Le complot de Savone
En 1969, quand Merckx fut accusé de dopage, lors du même Giro, à Savone, je fis partie de tous ces Belges incrédules, qui ne pouvaient se résoudre à admettre que le grand Eddy ait pu “se piquer.”
Nous partagions sa tristesse et sa rage mêlées, nous parlions, comme lui, de complot, nous nous révoltions à l’idée qu’il comptât des ennemis voués à sa perte dans le peloton.
Inutile de dire que nous fûmes soulagés quand, le 14 juin, le comité directeur de la Fédération internationale du cyclisme décida de blanchir Merckx au bénéfice du doute, lui permettant de disputer le Tour de France.
Eddy Merckx eut beau ne pas se contenter de cette sentence qui ne le lavait pas de tout soupçon, pour ses supporters l’essentiel était qu’il pût s’aligner au départ de la Grande Boucle, à Roubaix, le 28 juin.
Départ en tram pour Woluwe-Saint-Pierre
Le 29, mon père me réveilla tôt. Il m’emmenait à Woluwe-Saint-Pierre, la commune où Eddy avait grandi et où se jugeait l’arrivée de la première partie de la première étape. Il fallait traverser tout Bruxelles en transports en commun mais nous étions à temps pour voir l’emballage final remporté par l’Italien de la Molteni Marino Basso devant Jan Janssen et Roger De Vlaeminck.
Le public était quelque peu déçu. Merckx n’avait fini “que” cinquième du sprint et l’Allemand Rudy Altig, qui, la veille, avait battu Merckx de sept secondes lors du prologue, conservait son maillot jaune.
Le récital de la Faema
L’après-midi, dans les rues de Woluwe, ce fut une autre chanson. La formation Faema offrit un récital lors du contre-la-montre par équipes et Merckx s’empara de la tunique dorée, sous les acclamations d’une foule en délire. Trois semaines plus tard, il avait écrit l’histoire, remportant l’épreuve en surclassement, avec 17 minutes et 54 secondes d’avance sur Roger Pingeon et 22 minutes et 13 secondes de moins que Raymond Poulidor.
Au passage, lors de la 17e étape, Luchon-Mourenx, il avait signé un exploit tonitruant, s’en allant seul à des dizaines de kilomètres de l’arrivée, rejointe avec 7 minutes et 56 secondes d’avance sur Dancelli. Une épopée qui avait laissé sans voix les journalistes Luc Varenne et Léon Zitrone, les plus célèbres fans du Cannibale.
Place des Bouvreuils
Le jour de l’étape de Woluwe, je découvris les quartiers riants de la commune, la commerçante place Dumon, les avenues bordées d’arbres et de villas protégées par des haies taillées au cordeau et des jardins semés de fleurs multicolores. J’ignorais que, six ans plus tard, ma famille allait déménager dans ce coin verdoyant de Bruxelles, où je vis désormais depuis plus de quarante ans, où j’ai trouvé l’amour et quelques heureuses amitiés et où j’ai élevé mes enfants.
Inutile de dire que me pas m’ont souvent conduit dans le parc de Woluwe, le premier terrain d’entraînement d’un gamin nommé Eddy Merckx, et du côté de la place des Bouvreuils, où ses parents tenaient une épicerie.
L’endroit est resté dans son jus, comme ont pu s’en rendre compte tous ceux et celles qui ont participé, en mai, à la cérémonie d’hommage à Eddy Merckx et à l’inauguration d’une stèle en son honneur, au milieu du petit square posé au milieu de la place. Les lieux ont conservé ce côté villageois qui leur donne un charme indéfinissable.
Vivement ce week-end
Que le Tour 2019 célèbre le grand champion et l’homme bon que fut et demeure Eddy Merckx, qu’il sillonne deux jours durant les rues de Bruxelles et de Woluwe-Saint-Pierre est une aubaine pour tous les Belges, pas seulement pour les adeptes de la petite reine. Vivement ce week-end.