Hirschi, ce bon petit Suisse
Dauphin d’Alaphilippe à Nice puis troisième à Laruns, le coureur de chez Sunweb a, cette fois, été récompensé pour son panache.
Publié le 11-09-2020 à 09h08
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Au pays de Raymond Poulidor, la victoire de Marc Hirschi avait, jeudi, le parfum de l’hommage. Deuxième à Nice derrière Julian Alaphilippe et troisième une semaine plus tard à Laruns après avoir été repris par le groupe des gros bras (Roglic, Bernal, Pogacar…) à moins de deux kilomètres de l’arrivée, le Suisse incarnait jusqu’ici le perdant magnifique de cette Grande Boucle, le détonateur d’un feu d’artifice dont il n’avait, pas encore, été le bouquet final.
Alors, dans une nouvelle ode au panache et comme pour rappeler que la carrière du légendaire Français n’avait pas été faite que de places d’honneur, loin s’en faut, la révélation de ces deux premières semaines de course a cette fois conclu le coup de force collectif des Sunweb en levant les bras au terme d’un solo initié dans le Suc au May (3,7 km à 7,4 %, 25 kilomètres de l’arrivée).
"Mes deux précédents podiums, sur ce qui constitue mon premier Tour de France, m’ont nourri d’un double sentiment", commentait celui qui a remporté, à Sarran, sa toute première victoire dans le peloton pro à 22 ans. "Au soir de l’arrivée à Laruns, j’étais très déçu car, une fois repris par Roglic, Pogacar&Co, je pensais avoir une réelle chance de m’imposer au sprint. Mais plutôt que de baisser la tête, je me suis servi de cette journée comme une force en me disant que si j’avais réussi à m’extraire en tête de course sur une étape de haute montagne du Tour puis à résister durant un long moment à plusieurs des meilleurs coureurs du monde, c’est que mon niveau de forme était plutôt bon (rires)."
Champion du monde (devant le regretté Bjorg Lambrecht) et d’Europe en 2018 chez les espoirs, Hirschi a tout du petit génie. "Lorsque je travaillais pour l’équipe de formation de BMC, je suivais de près les jeunes talents suisses", raconte le sélectionneur national Rik Verbrugghe. "Tout le monde a très vite compris qu’il possédait quelque chose de spécial ; il était au-dessus."
Talent protéiforme, le coureur d’Ittingen sait, en effet, faire beaucoup de choses. Élégant descendeur au sens de la trajectoire inné, très honnête rouleur et grimpeur/puncheur à l’excellent rapport poids puissance (1m74 pour 61 kilos), le Suisse a exploité toutes ses qualités sur le relief escarpé et tortueux de la Corrèze.
"Quand je me lance dans une offensive, c’est toujours parce que je crois en ma chance, commentait Hirschi. Mais mes expériences de Laruns et Nice m’ont invité à la prudence, à ne jamais considérer trop tôt le succès comme acquis. J’ai donc attendu les tous derniers mètres pour célébrer ma première victoire."
Dans la marée de messages de félicitations qui ont inondé son portable jeudi soir, l’ancien champion du monde de l’américaine (juniors) aura sans doute accordé une attention particulière à celui que n’aura pas manqué de lui envoyer son compatriote Fabian Cancellara.
"C’est en partie lui qui m’a donné envie de faire du vélo lorsque j’avais un peu plus de dix ans. Nous venons du même petit village de la banlieue de Berne (Ittingen, 10 000 habitants). Depuis un an maintenant, il est devenu mon manager et conseiller… en plus de mon voisin puisque nous habitons à 300 mètres l’un de l’autre. Il me guide dans ma vie de coureur mais aussi dans le reste de mon quotidien. Nous avons construit une relation forte et privilégiée. Il a été tellement inspirant pour moi…"
Et comme "Spartacus" a passé 29 jours en jaune sur le Tour…
Un plan tactique revu en cours de journée
L’équipe Sunweb a revu son plan en cours de journée pour porter le Suisse vers la victoire.
Hier soir, dans l’hôtel des Sunweb, le staff de la formation allemande a dû allumer un cigare en sortant l’une des phrases les plus légendaires du colonel Hannibal dans la célèbre série L’Agence tous risques : “J’adore quand un plan se déroule sans accroc !”
Présentes avec trois coureurs (Benoot, Kragh Andersen et Hirschi) dans un groupe de tête de six hommes dans la côte de la Croix du Pey, à un peu plus de quarante kilomètres de l’arrivée, les troupes d’Iwan Spekenbrink ont livré un fantastique numéro collectif pour porter Marc Hirschi vers la victoire.
“Nous avons pourtant dû revoir notre plan en cours de journée”, commentait ainsi Tiesj Benoot dans un sourire. “La stratégie établie lors du briefing matinal était de prendre l’échappée mais il a été rapidement assez clair que la formation CCC était bien déterminée à contrôler les événements. Le final plus musclé sur un itinéraire tortueux rendait cette manœuvre plus compliquée et nous avons donc alors choisi de durcir la course et de tenter un coup. Quand nous nous sommes retrouvés à l’avant à trois, nous avons alors décidé assez rapidement de jouer la carte de Marc, qui possédait les meilleures armes pour conclure. J’ai donc imprimé un gros tempo pour émousser la concurrence avant que mon équipier suisse ne porte ensuite son attaque. Je ne suis pas encore à 100 % de mes capacités, mais j’ai donné tout ce que j’avais.”
Une culture du collectif qui constitue l’une des forces de la Sunweb. “Le soir, à table, nous n’hésitons pas à nous dire les choses”,confiait le vainqueur de la 12e étape. “Mais toujours d’une manière très constructive et dans une bonne ambiance. C’est cela qui permet d’avancer et de progresser. L’équipe a négocié un virage important de son histoire cet hiver avec le départ de Tom Dumoulin. Suis-je l’un de ses nouveaux leaders ? Je n’ai que 22 ans; l’avenir nous l’apprendra…”
Il rêve de Liège-Bastogne et de la Lombardie
Capable de remporter une étape très vallonnée du Tour de France comme d’être avec les meilleurs spécialistes des pavés dans la finale du Grand Prix de l’E3 (10e l’année dernière pour sa première saison dans le peloton pro), Marc Hirschi peine à définir les contours de son talent. “Actuellement, les grandes courses qui m’apparaissent coller le plus à mon profil, ce sont Liège-Bastogne-Liège et le Tour de Lombardie. Les choses changeront peut-être dans le futur, après plusieurs années dans le peloton pro qui ont souvent le pouvoir de gonfler le moteur d’un coureur, comme on dit dans le jargon. Je digérerai peut être alors mieux les efforts plus longs et les cols de haute montagne. Mais c’est pour plus tard…”
L'édito par Eric de Falleur : Sous la loupe du Tour de France
Son immense talent et son tempérament offensif ayant franchi depuis longtemps les frontières, tous les connaisseurs et amateurs de cyclisme connaissaient déjà Marc Hirschi. En Belgique particulièrement où, en 2018, aux championnats du monde courus à Innsbruck, le jeune Suisse avait privé du titre mondial de la course espoirs le malheureux Bjorg Lambrechts en… démarrant dans la descente précédant l’arrivée. Un art dans lequel Hirschi est manifestement passé maître, on l’a vu dans les Pyrénées dimanche dernier ou ce jeudi sur les routes de la Corrèze.
Désormais, bénéficiant du prisme grossissant du Tour, le citoyen de Gippingen s’est fait un nom et une image auprès du grand public qui a découvert le coureur de l’équipe Sunweb depuis le départ de Nice. Il ne faut pas être devin pour comprendre qu’on entendra encore parler longtemps et souvent de lui.
Très proche d’un premier succès à deux reprises déjà, Marc Hirschi, deuxième à Nice derrière Julian Alaphilippe, malheureux troisième à Laruns où le retour des favoris l’avait privé d’une victoire méritée, succède à Fabian Cancellara. Lequel était depuis huit ans, et son succès dans le prologue à Liège, le dernier coureur helvétique lauréat d’une étape de la Grande Boucle. Petit clin d’œil de l’histoire, “Spartacus” est le mentor, agent et entraîneur du héros du jour et de ce début de Tour.
La formation germano-néerlandaise de Marc Hirschi, qui a perdu l’hiver dernier Tom Dumoulin, autour duquel elle avait monté un projet depuis des années visant le général, s’était présentée au départ de Nice avec une formation de baroudeurs, dont Tiesj Benoot, puisqu’elle ne dispose pas vraiment d’un candidat pour le classement. Elle anime depuis le Grand Départ la plupart des étapes et ses coureurs tournaient autour du succès, à l’image d’Hirschi mais aussi du sprinter Cees Bol.
L’appétit venant en mangeant, c’est bien connu, on devrait très vite revoir à l’attaque les coureurs au maillot blanc à bandes noires et parmi eux, le porteur du dossard 204…