Un Mondial de cyclisme en Wallonie: une douce utopie ?
La semaine arc-en-ciel qui s’ouvrira ce week-end dans notre pays se déroulera intégralement en Flandre. Mais à quand une édition sur le sol wallon ?
Publié le 17-09-2021 à 11h49 - Mis à jour le 17-09-2021 à 11h50
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Dix-neuf ans après la dernière édition des championnats du monde de cyclisme sur route organisés sur le sol belge (Zolder 2002), notre pays s’apprête à retrouver la magie de la semaine arc-en-ciel à partir de ce week-end. Ou du moins une partie de notre pays… Si les premières ébauches faisaient de ce Mondial un projet national (les bruits de couloir évoquèrent, un temps, des chronos au nord du pays et la course en ligne à Namur), il se disputera finalement intégralement en Flandre.
La faute, sans doute, à une inertie politique et décisionnelle trop lourde côté francophone au moment de sauter dans un train dont la Flandre s’est saisie des manettes. Si on se refusera de ternir l’enthousiasme que suscite l’accueil de ces championnats du monde chez tous les fans belges de cyclisme, il nous apparaît toutefois légitime de nous poser la question de la faisabilité d’un tel événement en Wallonie.
La faisabilité financière
Vous avez pu le lire dans nos colonnes jeudi matin, l’organisation de ces championnats du monde flandriens piloté par Flanders Classics et Golazo est très transparente quant au budget global de cette semaine arc-en-ciel dont le coût total se chiffre à 21,3 millions d’euros.
Un montant évidemment considérable supporté majoritairement par les pouvoirs publics, principalement la Région flamande (13 millions) mais aussi les villes hôtes de l’une des différentes épreuves à l’agenda. Une multiplicité d’entités locales (Knokke, Bruges, Anvers, Louvain, mais aussi les trois provinces traversées en plus de la région flamande) qui permet de ventiler les coûts et de répartir l’addition. Louvain, théâtre de l’arrivée des courses en ligne, n’a par exemple dû débourser "que" 3 millions pour accueillir le final de l’épreuve la plus médiatisée.
Une ardoise pour laquelle le secteur privé met également la main à la poche au travers du sponsoring ou des sociétés organisatrices qui rentabilisent ensuite leur investissement via, entre autres, des formules VIP.
"Un partenariat public-privé m'apparaît incontournable dans ce genre de dossier, juge Sébastien Legat, le représentant de Golazo en Wallonie. Tout comme l'étalement géographique des épreuves entre différents lieux et sur lequel la Flandre a particulièrement bien travaillé. Aujourd'hui, je ne vois pas une ville du sud du pays capable de supporter l'intégralité ou même la majeure partie d'un tel coût."
Une analyse que l'on partage au cabinet de Valérie Glatigny, la ministre des Sports de la Fédération Wallonie-Bruxelles. "Sur un tel dossier, il est assez évident que les différentes strates de pouvoir, je parle de la Fédération Wallonie-Bruxelles, mais aussi des Régions et des pouvoirs locaux, seraient amenées à intervenir à hauteur de leurs ambitions. Les acteurs privés, en ce compris les fédérations sportives, constitueraient également des interlocuteurs importants."
Si la logique du secteur privé n’est évidemment pas la même que celle de la sphère publique, l’investissement y est cependant également réalisé dans la perspective d’un retour direct ou plus indirect. Différentes études réalisées par des villes hôtes du Tour de France évoquent ainsi un rapport de 3 à 8 en matière de retombées pour chaque euro investi. Une Grande Boucle dont la facture pour un grand départ se chiffrerait au… quart du coût d’un Mondial.
"Mais au-delà des retombées économiques et de la valeur de la mise en image de nos territoires, il y a aussi tout ce que l'on appelle l'héritage intangible d'un tel événement sportif, avance Valérie Glatigny. Je pense ici à l'incitation à la pratique du vélo chez les citoyens par exemple."
La faisabilité politique
"La première et la plus incontournable des conditions nécessaires à la perspective d’un Mondial en Wallonie, c’est la volonté politique pour un tel projet."
La petite phrase de Christophe Brandt, le boss de TRW, organisation qui pilote le Tour et le Grand Prix de Wallonie, synthétise parfaitement le nœud de la question.
Côté flamand, les instances ont créé en 2016 l’ASBL Event Flanders en collaboration avec les ministères du Tourisme, de la Culture, de la Jeunesse, des Médias et des Sports afin de piloter les projets devant déboucher sur des manifestations de portée internationale. Une structure qui a permis de porter des dossiers aussi divers que ce Mondial de cyclisme ou… l’un des plus grands concours musical de chœurs au monde. Un intervenant central qui a ainsi les coudées suffisamment franches pour pouvoir travailler sur un projet à moyen ou long terme, indépendamment de l’attribution politique des différents portefeuilles.
Côté wallon, les choses sont bien différentes puisqu’un accord tacite relatif à la bonne gouvernance veut que les engagements importants n’empiètent pas sur la législature suivante. Une chose qui n’aurait de toute façon pas de réel intérêt électoral pour le ou les ministres en poste puisque leur potentiel successeur en récolterait alors les fruits.
"Il est évident qu'un projet comme celui de l'accueil des championnats du monde sur le territoire wallon se pense des années en amont, avance la ministre Glatigny. Mais je suis convaincue qu'il s'agit là d'un dossier qui aurait le pouvoir de transcender les clivages politiques."
Très concrètement, il faudrait alors une sorte d’unanimité au sein des partis francophones qui permettrait de piloter une telle candidature au travers des législatures. Plusieurs figures charismatiques des mondes politiques et sportifs seraient également très probablement nécessaires pour effectuer un lobbying toujours déterminant sur de tels projets.
La faisabilité organisationnelle
Quatre cents collaborateurs dans le comité d’organisation, 4 000 volontaires, 1 000 rues fermées à la circulation pour la seule course en ligne élites hommes : quelques chiffres de ces championnats du monde 2021 suffisent à donner le tournis. Une organisation portée par les deux mastodontes de l’organisation sportive en Belgique : Flanders Classics (Tour des Flandres, Circuit Het Nieuwsblad…) et Golazo (Mémorial Van Damme, Tour du Bénélux, Tour de Belgique…).
"Le plus important dans un tel projet, c'est l'expérience, juge Christophe Impens, CEO Golazo Cycling&Co-President du projet "Flanders 2021". Notre société ou Flanders Classics aurait sans doute pu supporter l'organisation de ce Mondial seule, mais à deux, nous pouvions nous adosser à un plus grand vécu. Un Mondial en Wallonie ? Cela ne me semble pas irréaliste. Vous avez un terrain propice à de beaux parcours, des villes qui s'y prêtent et plusieurs ministres fans de cyclisme."
Mais le sud du pays dispose-t-il d'un opérateur capable de prendre en main un tel événement ? "Monter un Mondial sur un strict plan organisationnel, ce n'est pas beaucoup plus difficile que mettre sur pied une course de moindre envergure, juge Christophe Brandt. Pour schématiser assez grossièrement, on réalise à peu de choses près les mêmes choses mais en beaucoup plus grand. Pour un projet comme celui-là, on peut évidemment engager (rires)…"
Pour la ministre Glatigny, le support des pouvoirs locaux s'avérerait absolument déterminant. "Ce sont souvent ces acteurs de proximité qui sont les plus actifs dans des dossiers comme ceux des étapes du Tour de France en Belgique. La Province de Liège avait par ailleurs porté le Grand Départ de cette épreuve en 2012."
L’Euro de cyclo-cross à Namur en 2022 : une première étape

La capitale wallonne, devenue un haut lieu du cyclo-cross mondial, accueillera le rendez-vous continental dans un peu plus d’un an.
Lorsqu'on prend le départ de sa toute première course, on ne vise pas immédiatement la médaille d'or…"
Glissée dans un sourire par un organisateur influent du paysage cycliste belge, la réflexion traduit plutôt bien la nécessité de se faire les dents sur des événements internationaux de moyenne envergure et d’ainsi démontrer son savoir-faire auprès des instances décisionnaires avant de viser le Graal.
Théâtre d'une manche de la Coupe du monde de cyclo-cross depuis dix ans maintenant, Namur recevra en novembre 2022 un Euro de la spécialité qui pourrait précisément servir d'étalonnage quant à la capacité de la Wallonie d'accueillir un événement de cette nature, assez différent d'un Grand Départ du Tour de France qu'ASO pilote sur bien des aspects. "Cela peut effectivement participer à créer une sorte de cercle vertueux pour ensuite organiser des événements plus importants encore, juge la ministre des Sports Valérie Glatigny. Les instances internationales sont généralement demandeuses de la démonstration d'un certain savoir-faire dans l'organisation."
CEO de Flanders Classics et très bien introduit au sein des instances décisionnaires, Tomas Van Den Spiegel juge que la perspective la plus raisonnable pour un retour du Mondial sur route en Belgique tient dans un délai de cinq à six ans. "Même si cela s'est déjà vu par le passé dans d'autres pays, il ne faut pas vouloir les championnats du monde chez nous tous les cinq ou six ans. Un Mondial en Wallonie en 2030 par exemple, c'est quelque chose que je considère comme tout à fait envisageable !"