Après Milan-Sanremo, Jasper Stuyven rêve d'un deuxième monument: "En 2021, j’ai été plus acteur que suiveur"
Vainqueur de Milan-Sanremo cette année, Jasper Stuyven rêve d’un autre monument.
Publié le 04-12-2021 à 07h48 - Mis à jour le 04-12-2021 à 07h49
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Lorsqu’il fait machinalement défiler les pages de l’application météo de son téléphone portable, Jasper Stuyven doit parfois être parcouru d’un lointain frisson quand son index s’arrête sur sa ville natale de Louvain. Pendant qu’il neigeait sur une bonne partie de la Belgique en cette fin de semaine, celui qui est résident monégasque depuis un an et demi maintenant avalait les kilomètres sous le soleil de la Côte d’Azur.
"Il y fait magnifique !" sourit le coureur de chez Trek-Segafredo.
Dauphin de Wout van Aert au classement du Vélo de cristal mercredi, le vainqueur de Milan-Sanremo a repris le chemin de l’entraînement depuis vingt jours.
"J'ai observé une coupure totale de trois semaines avant de me remettre doucement en mouvement, glisse-t-il. J'enchaînais alors des sorties vélo très légères avec des séances de course à pied. Mais sur des distances sans comparaison avec le marathon qu'a avalé Adam Yates cet automne (rires) ! Je sais que le running est en vogue chez les cyclistes, mais je n'ai enfilé mes baskets qu'à deux ou trois reprises pour un jogging à une allure très cool."
Un rythme auquel Jasper Stuyven est resté fidèle tout au long de la large interview qu’il nous a accordée.
Jasper, avec le recul de cette trêve hivernale, considérez-vous la saison 2021 comme la plus aboutie de votre carrière ?
"Oui, certainement. Je sais que certains diront que je n’ai gagné ‘qu’’une seule course, mais il s’agit d’un monument : Milan-Sanremo. À 29 ans, je pense désormais être conscient de mes qualités et réalise que je ne remporterai jamais dix courses par an comme certains. Je suis en paix avec cela (sourire)… Au-delà de ce succès, j’étais aussi dans le coup au Tour des Flandres (4e) après une approche compliquée par une infection de Covid dans l’équipe qui nous avait privés de Gand-Wevelgem et j’ai terminé au pied du podium lors du Mondial. Globalement, la plus grande satisfaction et l’enseignement majeur que je retire de cette année 2021 est que j’ai été en mesure d’être pleinement acteur de nombreuses finales dans lesquelles je disposais encore de suffisamment de force et d’énergie pour tenter des choses là où j’étais autrefois souvent content de pouvoir suivre."
Avez-vous le sentiment que vos collègues du peloton vous regardent d’un autre œil depuis votre succès sur la Primavera ?
"Non, pas vraiment. Les gars avec qui je bataille durant la majeure partie de la saison étaient conscients de mon niveau, du fait que j’étais pratiquement toujours là dans les classiques. On peut être rivaux en course et nourrir une relation de respect, voire d’amitié, une fois descendu du vélo et cela m’a touché de voir comment certains étaient heureux pour moi après mon succès sur la Via Roma."
Rétrospectivement, qu’est-ce qui a, selon vous, fait la différence dans les derniers kilomètres de ce monument. S’agit-il d’une question de confiance en vos moyens, de qualités spécifiquement travaillées ?
"C’est assez difficile à dire et je crois que l’éclairage n’est pas à chercher dans un seul élément. Il y a un mélange de confiance, d’expérience et de petites choses que j’ai changées depuis près d’un an maintenant avec mon nouvel entraîneur. C’est bien de parfois sortir de sa zone de confort ou de certaines habitudes pour se remettre en question."
Greg Van Avermaet avait pratiquement le même âge que vous lorsqu’il s’est imposé sur le Tour de France à Rodez en 2015 face à Sagan, un succès qu’il présente souvent comme un déclic dans la suite de sa carrière. Pensez-vous que Milan-Sanremo sera votre déclic à vous ?
"Question compliquée… Je sens désormais que je suis habité d’une plus grande confiance en mes moyens sur les grands rendez-vous comme le Tour des Flandres ou le Mondial par exemple car je sais que leur format me convient. Mais cela ne veut pas dire pour autant que je vais gagner un monument chaque année, même si j’aimerais beaucoup que ce soit le cas (rires)… Avec le trio van Aert-Van der Poel-Alaphilippe, il ne reste de surcroît pas énormément de place pour les autres sur notre terrain de chasse commun."
Considérez-vous déjà votre carrière comme une réussite ou avez-vous encore de nombreux objectifs à cocher pour l’envisager comme telle ?
"Je suis content de ma trajectoire jusqu’à ce jour, mais mon appétit n’est pas encore rassasié, loin de là (rires). Milan-Sanremo n’a pas réfréné mes ambitions."
Vous évoluez depuis vos débuts pros chez Trek. N’avez-vous jamais songé à rejoindre une équipe belge durant votre carrière (il sera en fin de contrat en décembre 2022) ?
"Si, car à chaque fois que je reviens en équipe nationale, je trouve cela agréable de baigner dans un environnement davantage belge si je peux dire cela ainsi. En 2018, j’avais d’ailleurs eu l’opportunité de rejoindre la formation Lotto, mais j’avais alors préféré poursuivre chez Trek. Je me sens bien dans cette structure où on m’accorde beaucoup de confiance mais cela ne veut pas dire pour autant que j’y resterai à vie. Je n’ai pas peur du changement qui peut s’avérer bénéfique."
Vous avez terminé à la 4e place du Ronde et du Mondial. Laquelle de ces deux courses vous donne le plus de regrets ?
"Le Mondial sans hésitation. Avec le recul, je suis content de la course que j’ai livrée mais je ne cache pas avoir vécu avec beaucoup de frustration pendant une semaine. Avoir la chance de pouvoir prendre une médaille lors d’un championnat du monde dans votre ville… J’ai mis un peu de temps à tourner la page. J’avais dit avant ce Mondial que les attentes du public et des médias étaient telles que le seul résultat qui ne s’assimilerait pas à un échec était le titre arc-en-ciel avec Wout (van Aert). Les choses se sont vérifiées…"
On a beaucoup parlé des petites phrases qui se sont échangées entre Wout et Remco Evenepoel dans la semaine qui a suivi cette course. Avez-vous le sentiment que quelque chose s’est cassé entre eux et plus globalement dans le groupe ?
"Wout et Remco sont de deux générations différentes et cela implique qu’ils ne voient pas toujours les choses au travers du même prisme. Cela ne veut pas dire pour autant qu’ils ne seront plus jamais capables d’évoluer ensemble sous le maillot de l’équipe nationale lors d’un Mondial par exemple. Mais je crois que si ce jour arrive dans les prochaines années, il y aura beaucoup de choses à se dire avant…"
Vous aviez confié que Remco était le seul coureur à ne pas avoir participé au débriefing collectif dans la foulée de ce Mondial. Ressentez-vous, à titre personnel, le besoin de vous entretenir avec lui afin de mettre les choses à plat ?
"Peut-être bien oui, mais il s’agit d’un truc qui ne regarde que Remco et moi. Pour reprendre une expression du monde du foot, c’est quelque chose qui doit rester au sein du vestiaire…"
Foot américain, hockey sur glace, soleil, vin et truffe
La trêve hivernale est courte, j'ai tenté d'en profiter un maximum (rires)."
Dans la foulée de la troisième place conquise à Paris-Tours sur laquelle il a refermé sa saison 2021, Jasper Stuyven a rapidement mis le cap sur le centre des États-Unis à l’invitation de partenaires techniques de sa formation.
"L'objectif premier de ce voyage était d'assister à certaines réunions avec notre sponsor Trek (fabricant de vélos) et la marque Sram, explique le Louvaniste. Mais à côté des séances photos pour des campagnes publicitaires et des échanges pour le développement de certains produits, nous avons également participé à certaines activités très amusantes. Je me suis, par exemple, essayé au hockey sur glace dans le club de Waterloo, la ville où est basé le siège de Trek. Nous avons aussi assisté à un match de foot américain à Chicago, où nous avons vu jouer les Bears dans le Soldier Field, un stade de plus de 60 000 places extrêmement impressionnant. Je dois avouer que je n'ai toujours rien compris aux règles de cette discipline, mais j'ai passé un très chouette moment (rires). Pour une bonne douzaine de minutes de jeu, la rencontre s'étale sur plusieurs heures, mais cela fait partie intégrante de la culture américaine."
Un pays avec lequel Japser Stuyven nourrit une relation très particulière.
"Depuis que je l’ai découvert en 2012 en rejoignant l’équipe Bontrager Livestrong d’Axel Merckx, il a une place à part dans mon cœur. J’y ai vécu une expérience fantastique. Lorsque l’opportunité se présente, je tente donc toujours de joindre l’utile à l’agréable en combinant travail et retrouvailles avec un pays qui m’a marqué. Cela fait plusieurs années maintenant que je n’ai plus couru aux USA et j’aimerais regoûter au Tour de Californie la saison prochaine si la course se tient bien à la fin du mois de mai. Cela me permettrait sans doute d’ensuite enchaîner avec un stage en altitude sur place pour préparer au mieux le Tour de France."
Après avoir goûté au soleil de Dubaï, le coureur de chez Trek-Segafredo et sa compagne Elke ont également mis le cap sur le Piémont.
"Les vins issus de cette région sont parmi mes préférés, sourit cet œnophile averti. J'adore par exemple le Barolo ! L'avantage de ce terroir est qu'il n'est qu'à deux heures et demie de route de notre domicile monégasque et qu'il est donc assez facile d'y organiser un petit voyage. Nous y avons profité, cette fois, de quatre jours en compagnie d'amis eux aussi amateurs de bonnes bouteilles. L'un d'eux est propriétaire du restaurant Fragma à Louvain (NdlR : repris au guide Michelin) qui comporte une cave merveilleuse. J'étais donc assisté de connaisseurs qui ont su me guider et me faire découvrir de nouvelles très belles choses. J'ai ainsi déjà pointé certaines références que j'aimerais beaucoup acheter dès l'année prochaine (rires)… Mais les charmes du Piémont ne s'arrêtent pas au seul vin. L'endroit, comme la très large majorité de l'Italie, est empli d'une forme d'élégance folle. Et puis sur le plan gastronomique, on y mange aussi fantastiquement bien. Et comme notre voyage avait lieu en plein dans la période des truffes dont cette terre regorge (sourire)…"
