Girmay savoure son exploit: "C’est un grand jour pour le cyclisme africain"
En s’imposant dans la classique flandrienne, Biniam Girmay a écrit une page d’histoire.
Publié le 27-03-2022 à 23h54 - Mis à jour le 28-03-2022 à 15h38
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Quand il rentrera chez lui en ce début de semaine, à Asmara, la capitale de l’Érythrée où l’attend sa famille, Biniam Girmay aura des choses à raconter. Il y sera fêté comme la star qu’il est devenu, lui, le premier vainqueur africain d’une classique. Il y a six mois, après la médaille d’argent conquise au mondial espoirs à Louvain, "Bini" avait déjà été accueilli comme un véritable héros par ses compatriotes.
Pour Girmay, le rêve se poursuit et ce n'est pas une, mais dix fois au moins, qu'il a salué son succès à Wevelgem par un "c'est incroyable". En quittant la salle de presse, le coureur d'Intermarché-Wanty-Gobert a remercié tous ceux qui venaient de l'interroger, comme il avait salué avant cela au micro de Sporza, le public pour tous les "Biniam, allez, allez" entendus sur le bord de la route. "Merci pour tous ces supporters enthousiastes qui m'ont encouragé", a-t-il dit en racontant qu'il avait été surpris par les demandes qu'il avait reçues de création de plusieurs fan-clubs en Belgique. À ses proches, en quittant le bâtiment, il a glissé avec un large sourire : "C'est un grand jour…"
En effet ! Après avoir terminé 4e du G.P. E3, pour sa première expérience dans une classique pavée, le coureur érythréen a enlevé Gand-Wevelgem, en se montrant le plus rapide du quatuor sorti du groupe des favoris dans la finale. Là où l’on considère qu’il faut une solide expérience du parcours, de ses difficultés et de la manière de courir dans ces épreuves, Girmay apprend à toute vitesse. Il n’était pas prévu sur Gand-Wevelgem, son équipe pensant d’abord l’aligner sur la Roue Tourangelle, une manche de la Coupe de France, dans l’espoir qu’il y marque les précieux points UCI.
En devançant Laporte, Van Gistel et Stuyven, il en a conquis plus de trois fois plus, d’un seul coup ce dimanche ! Pourtant, il ne sera pas dimanche au départ du Tour des Flandres car dès ce lundi, il rentre au pays. Jeudi, sa petite fille, qu’il n’a plus vue depuis le 8 janvier, tout comme son épouse restée en Érythrée, fêtera son premier anniversaire, Biniam lui-même aura 22 ans samedi.
"Je ne changerai pas mes plans", s'est-il excusé. "On a décidé vendredi soir que je serais au départ, mais cela fait trois mois que je n'ai plus vu ma famille. Ma femme et ma petite fille me manquent. Je dois rentrer."
Amené à raconter la finale, Girmay a redit son bonheur.
"Je ne me souviens que quand j'ai franchi la ligne, dit-il. C'était magnifique. C'était la première fois que je disputais cette course. Je ne la connaissais pas, seulement de ce que j'en avais vu à la télé, et là, j'étais devant, puis j'ai gagné. Sur le Kemmel, je n'étais pas au mieux sur les pavés, mais cela a été de mieux en mieux. Je suis sans expérience, mais mes équipiers m'ont à chaque fois super bien placé où et quand il le fallait. Ils m'ont tous aidé. J'ai essayé d'être malin, car tout le monde regardait Van Aert. Je me suis retrouvé devant mais j'étais avec des hommes forts, je n'étais pas rassuré. Ce n'est que dans les derniers hectomètres que j'ai retrouvé confiance. Plus le sprint était court, mieux c'était pour moi."
Girmay est sur un nuage. "Je suis surpris, comme depuis le début de cette saison, j'ai gagné à Majorque et vendredi j'étais 4e, poursuit Girmay. J'aime ces courses et j'y reviendrai, mais aujourd'hui, c'est exceptionnel. C'est super pour le cyclisme africain. J'espère que cela va permettre d'amener plus de coureurs chez les pros."
Le coureur, qui pendant la saison vit à Saint-Marin, va préparer la suite de sa saison dans son pays, puisqu'il habite à 2 400 mètres d'altitude. "Je reviendrai pour le G.P. de Francfort (NdlR : le 1er mai)", dit-il, "et pour le Giro. C'est mon grand objectif ; j'aimerais tant y gagner une étape."
Et la suite de sa carrière, l'Érythréen la voit dans toutes les couleurs imaginables. "J'aimerais devenir champion du monde, dit-il. Gagner des classiques comme Milan-Sanremo, Paris-Roubaix ou le Tour des Flandres et puis des étapes sur les grands tours, le Giro, le Tour…"
Adrien Petit : "Bini, c’est un très, très gros moteur"
Six ans, jour pour jour, après le décès tragique d’Antoine Demoitié sur les routes de ce même Gand-Wevelgem, Biniam Girmay a offert à l’équipe Intermarché-Wanty Gobert une joie immense en lui offrant une victoire dans une deuxième classique après le succès d’Enrico Gasparotto à l’Amstel Gold Race 2016.
Comme tous les équipiers du vainqueur, Adrien Petit, qui faisait partie du groupe des favoris arrivé sur les talons des premiers, ne tarit pas d'éloges à propos de "Bini". "Ce qu'il fait, c'est juste énorme, savourait le vétéran nordiste. Et pour l'équipe, c'est super. Nous pouvions jouer sur deux tableaux avec Bini devant et Alexander (Kristoff) dans le groupe. Au bout, il y a la victoire, ce n'est que du bonheur."
Le Français est admiratif des qualités de son équipier. "Vous allez apprendre à le découvrir, dit-il avec un grand sourire. Bini, c'est un très, très gros moteur ; il est vraiment impressionnant. Il ne connaît rien de la Belgique, il ne connaît ni les monts, ni les routes, mais sa force lui permet de se retrouver devant dans la finale. C'est un super mec, très gentil, toujours à l'écoute des conseils, ce qui lui permet de progresser."
Le premier Africain vainqueur d’une classique
Pendant des décennies, toutes les classiques ont été remportées par des coureurs européens et même des coureurs ouest-européens avant que l’internationalisation ne se produise peu à peu depuis quarante ans.
1983, à l'Amstel Gold Race : Phil Anderson (Aus), premier Océanien.
1991, à Gand-Wevelgem : Djamolidine Abdoujaparov (Ouz), premier Asiatique.
1994, à Paris-Roubaix : Andrei Tchmil (Rus), premier Est-Européen.
1994, à San Sebastian : Raul Alcala (Mex), premier Centre-Américain.
1995, à San Sebastian : Lance Armstrong (USA), premier Nord-Américain.
2015, au G.P. de Québec : Rigoberto Uran (Col), premier Sud-Américain.
2022, à Gand-Wevelgem : Biniam Girmay (Eri), premier Africain.