Remco Evenepoel est sur son nuage: “Réaliser mes trois rêves la même année, c’est fou”
Auteur d’un fantastique triplé Doyenne-Vuelta-Mondial, Evenepoel voulait mettre en lumière la maîtrise collective belge.
Publié le 26-09-2022 à 08h10 - Mis à jour le 26-09-2022 à 13h39
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Une pile de maillots arc-en-ciel posé sur la table basse qui lui fait face, Remco Evenepoel enchaîne machinalement les autographes dans les coulisses du WIN Center de Wollongong. Le regard vague, le Brabançon semble en apesanteur, catapulté dans la nouvelle dimension que vient de donner un titre mondial tombé deux semaines à peine après son succès sur la Vuelta. À 22 ans, le grand bonhomme de cette saison 2022 en aurait presque le vertige !
Remco, quel sentiment vous habite actuellement avec ce maillot de champion du monde sur les épaules ?
"C’est comme si mon corps n’arrivait pas encore trop à y croire. J’ai commencé cette saison par un succès lors de mon premier jour de course sur le Tour de Valence, tout début février, et voilà qu’elle se termine ici en Australie par un titre de champion du monde après un succès sur un grand tour et d’autres belles victoires. Ce qui m’arrive est incroyable ! C’est un énorme accomplissement dans ma vie comme dans ma carrière. C’est fou de me dire que j’ai réussi cela à 22 ans, grâce à une incroyable équipe belge. Nous n’avons jamais subi la course ou été contraints de courir après les événements. Le scenario a été parfait d’un bout à l’autre. Nous étions d’abord représentés avec Peter Serry dans l’échappée avant que, lorsque l’équipe de France a ouvert la course, nous nous retrouvions avec trois autres éléments devant (NdlR : Evenepoel, Dewulf, Hermans). C’était idéal d’être équitablement répartis avec quatre gars dans l’offensive et quatre autres dans le peloton. Cela mettait Wout comme moi dans une position parfaite. La manière dont les choses se sont déroulées était conforme à la façon dont nous avions envisagé les événements samedi soir lors du briefing. Je n’aurais pas pu être plus fier de ma propre course mais aussi de la façon dont nous avons manœuvré de manière collective."
Lors de l’ascension du Mount Keira, à plus de 200 km de l’arrivée, vous avez un temps été distancé lorsque les Français on accéléré car vous étiez redescendu à hauteur de votre voiture. N’avez-vous jamais paniqué ?
"Non car nous avions alors Wout et Peter dans ce mouvement. J’étais allé à la voiture pour un bidon et cela a embrayé juste à ce moment-là. Mais il n’y avait pas de réelle raison de perdre son sang-froid car on était encore très loin du but. On a même un peu rigolé avec Lampaert en se disant que les hostilités commençaient encore plus tôt que l’année dernière…"
On imagine que votre téléphone portable va être inondé de messages. Quel est le témoignage le plus fort que vous avez reçu jusqu’ici ?
"Il va falloir que je trouve du Wifi pour me connecter et les lires car le roaming est assez cher ici (rires)… Je vais attendre d’être posé calmement à l’hôtel pour regarder cela."
Eddy Merckx, qui avait réussi comme vous le triplé monument-grand tour-Mondial en 1971, vous tire en tout cas son chapeau !
"Je le redis, ce que je vis est incroyable. Je ne vois pas comment une saison pourrait être encore meilleure que celle-ci. Cela va être très compliqué de réaliser un truc comme cela à nouveau."
Vous avez déjà collectionné de grands succès dans votre carrière mais cette victoire est-elle la plus belle à vos yeux ?
"Oui, clairement. Quand on commence le vélo, on rêve toujours de certaines choses bien précises. Moi, quand je suis devenu pro, mes trois grands objectifs étaient de gagner Liège-Bastogne-Liège, la plus belle des classiques à mes yeux, de m’imposer sur un grand tour et de devenir champion du monde. Alors imaginez ce que cela peut représenter pour moi d’avoir réussi tout cela au cours de la même saison. C’est tellement difficile de trouver les bons mots pour vous expliquer à quel point je suis fier de ce que j’ai accompli avec ceux qui me supportent et croient en moi. Car on ne gagne jamais tout seul et on ne court jamais tout seul. Si je devais remercier tous les gens auxquels je pense maintenant, on serait encore probablement encore là lundi soir et je ne vais donc pas me lancer dans l’exercice."
On vous a vu échanger derrière la ligne avec votre partenaire en équipe de marque, Julian Alaphilippe, à qui vous succédez au palmarès. Que vous êtes-vous dit ?
"Julian m’a simplement soufflé qu’il était super fier de ma saison. Comme il avait dû quitter la Vuelta prématurément après sa chute, nous n’avions pas trop eu l’occasion d’échanger après mon succès espagnol. Après l’arrivée, il m’a glissé de profiter à fond de ces moments et de tout ce que j’allais vivre."
Après votre titre de champion du monde junior en 2018, vous n’aviez pratiquement pas pu goûter au maillot arc-en-ciel puisque vous étiez passé pro quelques mois plus tard. L’impatience de vous aligner avec votre nouvelle tunique en compétition doit dès lors être encore plus grande, non ?
"C’est vrai que je n’avais disputé qu’une seule et unique kermesse avec ce maillot. Je vais donc désormais profiter de chaque mètre que je vais faire avec l’arc-en-ciel sur la poitrine après avoir goûté à une période de repos. Mais je me demande quand même si je ne vais quand même pas encore faire quelques entraînements cette semaine juste pour le plaisir de revêtir cette tenue (rires)… "
Quelle importance a eu Tirreno-Adriatico, un moment plus difficile au cours de votre saison, dans votre évolution ?
"Cela a constitué un tournant important. Avant cela, je fonctionnais encore un peu au feeling pour certaines choses comme la diététique. Mais après la course italienne, j’ai voulu mieux planifier les choses, trouver un poids plus stable. J’ai le sentiment de désormais mieux connaître et comprendre mon corps. J’ai trouvé le bon équilibre et j’ai compris que la récupération revêt un rôle aussi important que le travail sur le vélo. Je sais aussi désormais qu’il faut parfois savoir se montrer patient pour décrocher de grands résultats."
Comment avez-vous réussi à vous focaliser sur ce Mondial dès le lendemain de votre succès sur la Vuelta et comment comptez-vous désormais profiter et célébrer ce formidable doublé ?
"Nous avions déjà décidé avant la Vuelta que je voyagerais vers l’Australie directement après l’arrivée à Madrid. Quand les choses sont planifiées de longue date, c’est plus facile sur un plan mental. Après le chrono de la semaine dernière, que j’ai fait au mental avec une grosse volonté de me faire mal, j’ai pu sentir que mon corps avait regagné en fraîcheur, que mes jambes tournaient mieux. J’ai pu mixer quelques journées de repos avec de longs entraînements en compagnie de mes équipiers qui m’ont permis d’être à 100 % ce dimanche. Et maintenant, une fois que je serai rentré à la maison, je crois que je vais enchaîner toutes les fêtes possibles pendant un bon mois (éclat de rires)."
La manière dont la Belgique a roulé ce dimanche est-elle, à vos yeux, une réponse aux critiques de l’année dernière ?
"Oui. On savait que ma présence dans un groupe de tête nous mettrait dans une position plus confortable. La meilleure décision que nous avons prise pour ce Mondial était de l’aborder avec deux leaders. Nous avons toujours couru comme nous le souhaitions, en ayant les choses en mains. Le parcours offrait la possibilité de jouer sur nos deux atouts et on l’a parfaitement fait."
Quand avez-vous réalisé que vous aviez gagner ce dimanche et que vous alliez gagner ?
"Je n’ai accepté de me le dire que dans le dernier kilomètre car je sais que tout peut toujours arriver sur une course d’un jour. Je savais, lorsque je me suis extrait en tête de course avec Lutsenko, que j’avais une bonne chance d’aller au bout. C’était le compagnon de fuite idéal car il est souvent très solide dans le final des grandes classiques. J’ai vu qu’il commençait un peu à fléchir en abordant l’avant-dernière ascension du Mount Pleasant et j’ai donc tenté le tout pour le tout. Lorsque Sven Vanthourenhout est venu à ma hauteur pour me dire que j’avais un avantage de 1:30, je n’ai pas relâché mon effort et quand j’ai vu que j’avais encore des forces dans les jambes, j’ai compris que j’allais devenir champion du monde… J’avais dit après mon succès sur la Vuelta que j’étais sur des nuages et bien je suis encore monté d’un étage (rires)."
Greg LeMond, qui a été champion du monde juniors avant de le devenir chez les pros comme vous, a souvent dit que la pression avait été pesante durant sa carrière en raison des attentes qu’il suscitait déjà très jeune. Avez-vous le sentiment de devoir, vous aussi, composer avec ce poids ?
"Je pense que j’ai appris à composer avec et c’est pour cela que j’ai pu prester à un très haut niveau ces trois derniers mois. Je gère mieux une pression et des attentes qui vont sans doute s’accentuer avec ce maillot. Mais j’ai une équipe et une famille très fortes pour m’entourer. Comme je l’ai dit en amont, on ne gagne pas seul et on ne reste pas seul au plus haut niveau. C’est une chose que j’ai apprise dans la foulée de mon crash en Lombardie."
Votre fiancée Oumi a posté une photo de vous à l’âge de 6 ans avec un maillot arc-en-ciel de Tom Boonen sur les épaules. Celui-ci était-il déjà un rêve enfant ?
"Non, car je jouais encore au foot à cette époque. Mais quand on est petit, qu’on aime le vélo et qu’on a un champion du monde belge… C’est un de mes tout premiers maillots de vélo, mais je me souviens que j’avais aussi un maillot de Robbie McEwen, alors chez Lotto."