L’ultime entretien avec Philippe Gilbert avant la retraite: “Je suis fier, ce furent 20 bonnes années”
Ultime entretien avec Philippe Gilbert à quelques heures de sa retraite, dimanche après Paris-Tours.
Publié le 08-10-2022 à 13h58
Quarante-huit heures avant de prendre sa retraite de coureur, dimanche à l’issue de Paris-Tours, Philippe Gilbert a donné sa dernière conférence de presse en tant que cycliste professionnel. Le Liégeois espère mettre un terme en beauté à vingt saisons au plus haut niveau.
Philippe, dans quel état d’esprit êtes-vous ?
"Je suis heureux de finir ma carrière quand je l’ai décidé, au moment et à l’endroit que j’ai choisis. C’était important pour moi de pouvoir décider quand j’arrêtais. Je suis content de finir, ce furent vingt bonnes années avec énormément de voyages, de courses, d’émotions… Je suis content de passer à quelque chose d’autre et de différent à l’avenir."
Qu’allez-vous faire ?
"Ce n’est pas encore le moment de parler de l’avenir. Soyez patients, ça viendra (NdlR : il pourrait notamment devenir consultant sur Eurosport)."
Allez-vous bien dormir samedi ?
"Oui. Je sais qu’il y aura plus de trucs autour de moi, au podium avant et après la course. Les gens vont plus me regarder, mais j’ai assez d’expérience pour ne pas être bouleversé par ça. Et dans la course, je ne m’attends pas à des cadeaux…"
Pourtant, vous serez sûrement ému dimanche soir.
"Après une course de 215 kilomètres, je serai surtout fatigué. Sinon, ce sera comme les autres fois quand je finissais ma saison à Paris-Tours."
Une fête est prévue ?
"C’est difficile car tout le monde veut rentrer chez lui, de longs déplacements nous attendent. Et puis il y a mon dernier événement (NdlR : un critérium en son honneur, le samedi 15, à Valkenburg sur le Cauberg). Là, on pourra plus en profiter et faire la fête. Avant cela, j’ai encore des interviews, des demandes de médias et je dois régler les derniers détails de l’événement sur lequel mes managers travaillent depuis des mois."
Pourquoi avoir voulu finir sur Paris-Tours ?
"J’ai un rapport spécial avec la course. Dès la première fois où je l’ai courue, elle m’a plu car j’avais des opportunités dans la finale d’échapper aux sprinters. À l’époque, c’était une classique de la Coupe du monde, elle faisait 260 kilomètres. J’y ai remporté ma première grande victoire même si j’avais gagné deux fois le Het Volk. À ce moment, en 2008 et 2009, Paris-Tours était plus important que ne l’était ce qui est devenu le Nieuwsblad. Surtout, c’était ma dernière course après six ans à la Française des jeux. C’était symbolique de finir comme ça et un rêve pour Marc Madiot, pour moi, pour l’équipe. Ce n’est plus la même course qu’alors, il y a beaucoup de secteurs de gravel, mais c’est toujours Paris-Tours, je suis content d’y revenir."
Avec quelle ambition ?
"Les jambes sont bonnes, je suis en condition. J’espère courir la finale avec les meilleurs, comme à Binche mardi. J’espérais le podium, j’ai fini 6e, j’ai fait la course, c’était agréable. Je veux un bon résultat pour finir. Jeudi, j’ai aidé Arnaud De Lie à Paris-Bourges. Je me suis entraîné, j’ai travaillé pour cela, je ne voulais pas finir comme un anonyme en étant simplement au départ avec un dossard. Je veux profiter et faire la course."
Ces dernières années n’ont pas toujours été roses, c’était difficile à vivre ?
"Je n’ai pas été au meilleur niveau mais le Covid, ma deuxième chute sur le genou au Tour (NdlR : à Nice en 2020) et les soucis dans l’équipe… Tout cela explique pourquoi ce ne furent pas trois années faciles. Mais j’ai donné le meilleur de moi-même et, c’est le plus important, je finis à un excellent niveau. Depuis le Tour, je me sens de plus en plus fort."
Pas au point de vous faire courir une 21e saison ?
"Non. Je n’y ai jamais pensé. Vingt, c’est un bon chiffre. Je suis heureux d’avoir effectué toutes ces saisons à 100 %. La vie d’un coureur est difficile, il y a les entraînements, les courses, le stress, la pression des résultats. Il est temps de faire autre chose. Je me suis battu sur tous les terrains dans les classiques, je n’ai jamais disputé les grands tours pour un classement. Je n’en avais pas les capacités. J’ai pris la bonne décision, je ne voulais pas sacrifier deux saisons pour peut-être finir 10e ou 15e. Je n’étais pas capable de lutter pour le podium ou encore plus de gagner un grand tour."
Qu’aimeriez-vous changer ?
"Rien, j’ai été satisfait de ce que j’ai fait, de mes choix."

Le cyclisme a évolué en 20 ans.
"Comme la vie en général, tout a changé. Tout va plus vite, on suit le mouvement, tout est plus technologique, plus calculé, plus scientifique. Mais il faut quand même toujours se battre pour réussir son rêve, pour gagner des courses. Je dirais que la philosophie du cyclisme est identique, mais pas les moyens pour y parvenir."
Comment aimeriez-vous qu’on se souvienne du coureur Philippe Gilbert ?
"Comme d’un coureur attractif, qui donnait le meilleur, attaquait, se battait. Moi, c’est ça que j’aime quand je regarde une course. C’est ce genre de coureurs dont je suis supporter comme quand Remco (Evenepoel) attaque dans La Redoute à Liège. C’est ce qui m’a fait rêver et aimé le cyclisme, j’espère que j’ai été un coureur comme ça. C’est ce que les gens aiment, un coureur qui prend le risque de perdre. C’est ce qui rend le sport si beau. Paris-Tours est une bonne course pour être offensif. On vient de faire la reconnaissance, dans les 60 derniers kilomètres, il y a de nombreuses possibilités de faire une course d’attaque."
La nouvelle génération est pleine de panache. Vous l’avez peut-être inspirée ?
"Tous les jeunes attaquent maintenant. Ils passent des juniors et font la course, le cyclisme est devenu plus attrayant avec Pogacar, van Aert, Evenepoel, van der Poel. Van Aert, au Tour, dans 80 % des cas, il était le premier à attaquer, c’était beau à voir, mais je ne suis pas l’exemple de ceux-là. Ils venaient directement des courses de jeunes sans tactique… Quand je suis passé professionnel, il y avait un ou deux néo-pros par équipe. Certaines n’en avaient pas. Maintenant, dans chacune, il y en a trois, quatre, six parfois."
De quoi êtes-vous le plus fier ?
"D’être resté tant d’années à un niveau supérieur, ce n’est pas évident, et d’avoir réalisé la plupart de mes objectifs."
Quelle fut votre plus grande victoire ?
"Le Mondial, c’est la course la plus symbolique de notre sport. Je l’ai gagné en favori n°1 ? On a fait la course avec Tom Boonen et les autres, c’était une belle édition et j’ai concrétisé notre travail. C’était le rêve, si près de la Belgique, devant tant de supporters. Cela reste le meilleur moment, le plus intense de ma carrière."
Et quel succès dans un Monument vous a offert le plus de plaisir ?
"Liège-Bastogne-Liège. C’était chez moi, c’était très spécial, aussi parce que c’était la quatrième victoire de suite après la Flèche brabançonne, l’Amstel et la Flèche wallonne. Ce furent dix jours intenses et exceptionnels, la pression augmentait jour après jour."
Qu’est-ce qui va vous manquer le plus ?
"La période de stress avant un objectif, quand vous vous battez, vous travaillez, vous optimisez tout pour gagner les deux ou trois derniers pour cent qui feront que vous serez le plus fort. Je vais continuer à rouler certainement, parce que j’aime ça. J’espère garder un bon niveau car le cyclisme est très dur si vous n’avez plus le niveau et, à Monaco, pour aller rouler avec les pros, il faudra le niveau."
Si vous pouviez ajouter une course à votre palmarès, laquelle choisiriez-vous ?
"Paris-Tours ce dimanche, ce serait bien."