Eddy Merckx: "Philippe Gilbert m’a toujours rappelé Roger De Vlaeminck"
Eddy Merckx est sous le charme de Philippe Gilbert. Il explique pourquoi.
Publié le 14-10-2022 à 07h02
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Demander à Eddy Merckx de parler de Philippe Gilbert est une mission d'autant plus facile que le Cannibale n'a jamais caché son "admiration" pour le Remoucastrien. Quand nous l'avons appelé, le quintuple vainqueur du Tour de France s'est excusé d'avoir dû faire l'entretien par téléphone, confirmant qu'il est aussi humble que disponible malgré son immense palmarès.
Eddy, vous avez toujours apprécié Philippe Gilbert. Pourquoi ?
"Il y a deux raisons à cela. Humainement, Phil est quelqu’un de très agréable, de très entier aussi. Il dit les choses comme il les ressent. Il a roulé quelques années avec Axel, mon fils. Et une relation forte s’est nouée entre eux à ce moment-là. Et puis, c’est un grand champion. Peu de coureurs, même étrangers, peuvent se targuer d’avoir un palmarès aussi riche. Non content de gagner sur beaucoup de terrains, il s’est souvent imposé avec la manière. C’est un super champion et j’ai beaucoup d’admiration pour lui. Il a quand même gagné l’Amstel Gold Race à quatre reprises et signé une année 2011 tout bonnement extraordinaire. Dans le cyclisme moderne, s’imposer autant est très compliqué."
Quelle est, pour vous, sa plus belle victoire ?
"Sa plus prestigieuse, et sans doute sa plus belle, c’est son succès aux championnats du monde 2012. S’emparer du maillot arc-en-ciel est le rêve de tous les cyclistes. Phil a réussi cet exploit en partant seul, ce qui ajoute au plaisir qu’il a dû ressentir en franchissant la ligne. Il a pu savourer encore davantage. J’imagine aussi que sa joie a dû être immense lorsqu’il a gagné Liège-Bastogne-Liège. Remporter la course seul devant le public belge est quelque chose d’incomparable."
Philippe compte 95 victoires professionnelles…
"C’est absolument gigantesque parce qu’il a dû faire face à une énorme concurrence. Il a vu plein de coureurs passer et a continué à s’imposer. C’est remarquable et cela démontre une grande intelligence de course autant qu’une énorme capacité d’adaptation."
Quelle fut, selon vous, sa victoire la plus inattendue ?
"Sans aucun doute son succès à la Flèche Wallonne. Qu’un coureur comme lui, avec un tel gabarit, parvienne à se montrer le plus fort au sommet du Mur de Huy en dit beaucoup sur le niveau qu’il affichait alors. S’imposer là où on n’est pas censé le faire rend le succès encore plus beau."
Il aura passé vingt ans dans le peloton professionnel. C’est énorme.
"C’est clair. Cela tient presque de l’exploit et je pense que cela arrivera de moins en moins. Pour pouvoir prétendre à une telle longévité, il faut être très rigoureux dans tout ce que l’on fait. Mais c’est impossible si l’on ne demeure pas passionné. C’est ça. Phil est parvenu à garder la foi jusqu’au bout. Jusqu’à 40 ans, il aura vécu pour son métier. Il peut être très fier de ce qu’il aura accompli."
Auriez-vous bien aimé l’avoir comme équipier ?
"C’est évident car, je le redis, c’est un chouette gars. En outre, il a une telle science de la course que ses équipiers peuvent en profiter. Le cyclisme tel qu’on le pratiquait à mon époque lui aurait peut-être mieux convenu, encore. Parce que Philippe a toujours roulé avec son cœur. Il n’a jamais eu peur d’attaquer. Je garderai de lui l’image d’un coureur d’instinct."
Vous fait-il penser à l’un de vos rivaux ?
"Oui. Phil m’a toujours rappelé Roger De Vlaeminck. Ce sont des gars avec un tempérament offensif, capable de briller sur beaucoup de terrains différents et dans des conditions parfois très diverses. Ce sont des gagneurs qui ne lâchent rien et vous rendent la vie difficile quand vous êtes leur concurrent."
Philippe aurait-il dû essayer à un moment de devenir un coureur de grands tours ?
"Absolument pas. Il a toujours fait les bons choix en se focalisant sur les courses d’un jour. Il aurait dû changer trop de choses pour espérer briller sur les épreuves de trois semaines. En outre, il n’était pas assez bon grimpeur et n’était pas assez fort en contre-la-montre. Quand on regarde son palmarès, on constate qu’il ne lui aura manqué qu’un succès à Milan-Sanremo pour remplir toutes les cases du puzzle. C’est remarquable."
Finalement, en quoi Philippe Gilbert a-t-il réussi à vous étonner ?
"Il m’a surpris par ses qualités mentales. Il a toujours montré une incroyable rage de vaincre. Il n’a jamais baissé les bras. Combien de fois est-il parvenu à se relever de coups durs ou de blessures ? C’est la marque des grands champions. Philippe en est un et on se rendra vite compte du vide qu’il laissera."