Johan Museeuw : “Pogacar et Alaphilippe incarnent une nouvelle espèce de Flandriens”
Notre consultant Johan Museeuw décrypte les qualités du Slovène et du Français pour les classiques pavées.
Publié le 24-03-2023 à 11h39
:focal(1627x1076:1637x1066)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/YTIXBYMOFZFWBKZKZCDMZJ3HTI.jpg)
Les plus fervents adeptes de la lithothérapie, cette pratique qui prêtent certains pouvoirs aux pierres, ont un nouveau mystère à résoudre : mais qu’est-ce qui explique donc l’attraction magnétique de ces pavés de grès et de porphyre qui jalonnent les Ardennes flamandes ? Autrefois terrain de jeu seulement apprécié d’une caste de Flahutes aux allures de kamikazes, la campagne du Nord semble captiver depuis plusieurs années des coureurs au tout autre pedigree. Si Nibali, Bardet ou Valverde se sont dernièrement essayés aux Flandriennes, Tadej Pogacar et Julian Alaphilippe ont poussé la démarche plus loin encore en faisant de la 'semaine sainte' s’étalant de l’E3 Saxo Classic de ce vendredi (qu’ils découvriront) au Ronde (2/4) le grand objectif de leur printemps 2023. Mais le double vainqueur du Tour de France et le triple lauréat de la Flèche wallonne ont-ils le profil d’un flandrien ? Décryptage avec notre consultant Johan Museeuw.
Le gabarit : dix kilos de moins que la moyenne des dix derniers vainqueurs du Ronde
Julian Alaphilippe (1m73 pour 62kg) comme Tadej Pogacar (1m76 pour 66kg) possèdent tous les deux un gabarit très différent du morphotype de vainqueur du Ronde. Le poids moyen des dix derniers vainqueurs du Tour de Flandres est en effet de 76 kilos pour 1m84 sous la toise.
”Il est certains que des coureurs comme van Aert, Ganna ou van der Poel possèdent une stature qui leur permet d’être plus naturellement à l’aise sur les pavés, juge Museeuw. Au plus vous êtes léger, au plus vous êtes secoué sur ce type de tronçons ou de monts. Mais le cyclisme a très fortement changé en dix ans. Il n’est désormais plus nécessaire d’être aussi musculeux et costaud que des spécialistes comme Boonen ou Cancellara autrefois afin d’être performant sur ce terrain. Le peloton s’est considérablement affûté car les entraîneurs ne jurent plus aujourd’hui que par le sacro-saint rapport entre poids et puissance. Une clé d’autant plus déterminante que le profil est escarpé. Or, le Ronde propose par exemple un dénivelé positif de plus de 2500m… Au contraire d’Alaphilippe, je pense même Pogacar capable d’un jour courir pour la gagne sur Paris-Roubaix mais il y souffrira alors bien plus que sur un Tour de Lombardie ou lors de Liège-Bastogne-Liège. Même s’il peut y être performant, cela ne constituera jamais pour autant son biotope naturel si je peux dire cela comme ça.”
La technique : Pogacar est déjà un styliste

”Le Français comme le Slovène sont deux véritables acrobates sur le vélo et sont techniquement très à l’aise sur leur machine, juge le Lion des Flandres. Ils ont toutefois un style très différent sur les pavés. J’ai été très impressionné, l’année dernière, par la montée du Vieux Quaremont de Pogacar : rien ne bougeait comme on dit dans le jargon. Je veux dire par là qu’il est parfaitement posé sur sa machine et qu’il n’y a aucune déperdition de puissance dans des mouvements parasites. Il a trouvé la posture la plus efficace sur son vélo lorsqu’il évolue sur ce terrain. Alaphilippe se déhanche, pour sa part, bien davantage mais cela a toujours été son style. Il est positionné plus en avant sur sa selle, ce qui peut se révéler problématique lorsque le pavé est mouillé car on dispose alors d’une moins bonne adhérence. La règle, c’est en effet de placer son poids sur l’arrière de la machine.”
Le placement : la connaissance du terrain d’Alaphilippe
”Alaphilippe possède une plus grande expérience sur ce terrain que Pogacar tout simplement car il a six ans de plus… Même s’il a déjà remporté deux Tours de Lombardie, les Strade Bianche ou encore Liège-Bastogne-Liège, ce qui est absolument énorme, le Slovène conserve toutefois un ADN moins typé classique que l’ex-double champion du monde. Depuis plusieurs années maintenant, le coureur de chez Soudal Quick-Step habite une partie de l’année en Belgique, pas très loin d’Audenarde, et sillonne donc ces routes très souvent à l’entraînement. Même si les outils technologiques modernes permettent un tas de choses, rien ne remplacera jamais la connaissance acquise sur le vélo. Plus que les monts en eux-mêmes, ce sont leur approche qu’il est capital de bien maîtriser car c’est là qu’il est nécessaire de se positionner. Même si vous êtes très fort, les trop nombreux efforts consentis sur ces endroits de la course coûtent très cher dans la finale…”
Le tempérament : des amateurs de mouvement perpétuel

”Je crois que si Alaphilippe comme Pogacar ont décidé de faire des classiques flandriennes le rendez-vous clé de leur printemps, c’est d’abord et avant tout car ils apprécient la manière dont la course s’y déroule. Le scénario y est souvent bien plus débridé que sur les Ardennaises par exemple. Cela peut parfois se jouer à cent bornes de l’arrivée et il convient donc d’être toujours très attentif. Il y a sans cesse du mouvement sur la campagne du Nord et je crois que cela cadre plutôt bien avec le tempérament de ces deux coureurs qui adorent faire la course et être offensif. Resté calfeutré dans un peloton pendant plus de 200 bornes comme c’est parfois nécessaire stratégiquement sur d’autres grandes courses, c’est totalement contre-nature pour eux. Sans vouloir jouer au physicien, ils aiment le mouvement perpétuel !”
Conclusion : des Flandriens d’un genre nouveau
”Julian Alaphilippe comme Tadej Pogacar sont la parfaite incarnation de ce que j’appelle les Flandriens d’un genre nouveau (rire). Ils ne collent pas à l’image ancestrale de ces Flahutes amoureux du vent, de la pluie et des conditions les plus dantesques, mais ils ont su comprendre comment utiliser au mieux leurs qualités sur un terrain qui ne leur était pas naturellement familier afin d’y être très performant et de pouvoir prétendre à la victoire. Cela constitue une réelle forme d’intelligence, alors je dis chapeau !”