Wilfried Van Moer évoque l'historique Euro 1980 des Diables rouges : "On a bu une bière… avant la finale de l’Euro"
Wilfried Van Moer évoque l’Euro 1980, où les Diables ont miraculeusement atteint la finale.
Publié le 20-06-2020 à 15h19
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Wilfried Van Moer évoque l’Euro 1980, où les Diables ont miraculeusement atteint la finale.
Quelle blague belge". Voilà le titre du Telegraaf, journal néerlandais, il y a exactement 40 ans. Nos Diables rouges s’étaient qualifiés pour la finale de l’Euro 1980 en Italie après des matchs contre l’Angleterre (1-1), l’Espagne (2-1) et l’Italie (0-0). Le meilleur Belge du tournoi fut Jan Ceulemans ; l’architecte s’appelait Wilfried Van Moer (quatrième du Ballon d’or cette année-là, juste devant le Caje).
Interview du Standardman limbourgeois (75 ans depuis le 1er mars) qui, avec ses 35 printemps en 1980, était le joueur de champ le plus âgé de cet Euro...
Wilfried Van Moer, selon la légende, c’est Rik De Saedeleer, commentateur réputé de la VRT, qui a conseillé au coach fédéral Guy Thys de vous rappeler en équipe nationale, en pleine campagne de qualification.
"Il paraît, oui. Cela faisait plus de quatre ans que je n’avais plus été Diable rouge. J’avais quitté le Standard pour aller lutter contre la relégation en D1 avec Beringen, parce que je tenais un café à Hasselt. Mais j’avais fait de bons matchs contre Anderlecht, Bruges et le Standard. Et l’équipe belge ne tournait pas, au début de la campagne de qualification. Thys a dû revenir quelques fois à Beringen pour me convaincre. Je ne voulais pas être ridicule. J’avais 35 ans à ce moment-là. On a battu le Portugal (NdlR : il avait marqué le 1-0) et ensuite deux fois l’Écosse en qualification. On était lancés."
L’atout de l’équipe était l’amitié entre les joueurs.
"On se connaissait tous, parce que personne ne jouait à l’étranger. Et les réservistes ne faisaient pas de leur nez, ils acceptaient leur statut. Il n’y avait aucun dikkenek dans le groupe. Notre autre qualité était notre intelligence de jeu. Notre défense maîtrisait à merveille le piège du hors-jeu. Et quand il fallait corriger quelque chose, on le faisait nous-mêmes. Combien de gars ne sont d’ailleurs pas devenus coachs ? En fait, on aurait pu jouer sans consignes tactiques de Thys. Par contre, il était un bon psychologue."
Il vous laissait la liberté de sortir et de boire un verre.
"Oui. Au Mondial 1970 au Mexique, certains joueurs se sont enfermés dans l’hôtel. Après quelques semaines, ils avaient le mal de la maison et voulaient rentrer. Moi, j’ai toujours eu besoin de me défouler. Thys acceptait qu’on joue aux cartes assez tard. Mais, quand il faisait son tour des chambres et qu’il disait que cela suffisait, il fallait écouter. Un joueur a protesté, et n’a plus jamais été repris."
Le nul contre les Anglais et la victoire contre les Espagnols étaient des résultats inespérés.
"Absolument ! On était des amateurs ! À Beringen, je m’entraînais une fois par jour, le soir. Les Anderlechtois et Standardmen avaient soi-disant le statut de professionnels, mais cela ne signifiait rien. Non, personne ne tenait compte de la Belgique avant l’Euro."
Avant le match décisif contre l’Italie, la presse locale a essayé de vous déstabiliser en écrivant que vous aviez été vu main dans la main avec une femme à Rome. Alors que c’était votre épouse !
"La tentative de déstabilisation n’a pas fonctionné, parce que je n’ai appris cela qu’en rentrant en Belgique (rires). Et, oui, c’était ma femme. Les épouses sont restées pendant deux semaines en Italie. Elles dormaient dans l’hôtel des journalistes. Je n’ai donc rien à me reprocher !"
Les Italiens voulaient votre peau, Wilfried. Cela a commencé en 1972.
"Fracture du péroné lors d’un Belgique - Italie, à Anderlecht, en quarts de finale de l’Euro (NdlR : les quarts se jouaient en aller et retour). Je me suis fracturé la jambe à quatre reprises dans ma carrière, mais les trois dernières fois il s’agissait d’accidents parce que je mettais aussi le pied. Or, cette fois-là, le tacle de Bertini (NdlR : de l’Inter Milan) était vraiment vicieux. J’avais marqué le 1-0. Les Italiens se sont dit qu’il fallait m’éliminer."
Rebelote dans ce match à l’Euro 1980.
"Après un nouveau tacle italien, je m’étais pris un genou sur la tête en première mi-temps. J’étais sonné. J’ai dû quitter le terrain peu après le repos."
Entre-temps, René Vandereycken avait pris sa revanche en éliminant le grand Antognoni.
"Oui, René n’aimait pas l’injustice (rires). Il a poursuivi Antognoni jusqu’à la piste d’athlétisme et n’a pas loupé son tendon d’Achille. Quand on reçoit des coups, il faut en donner. Je dois dire que la première mi-temps se jouait… à la limite de l’acceptable. Des deux côtés."
Et puis la finale contre l’Allemagne de l’Ouest.
"Les Allemands étaient considérés comme plus forts que nous. Nous ne stressions pas. La veille du match, on a même bu une bière pendant le repas. Je me souviens du visage des garçons de notre hôtel. Ils ne nous croyaient pas quand nous commandions une bière. Et je peux vous garantir que ce n’est pas à cause de cette bière que nous avons perdu."

Horst Hrubesch vous a tués en fin de match avec son 2-1.
"Alors que nous dominions la seconde mi-temps! En première période, nous avons souffert. Je n’ai jamais autant couru. Mais physiquement on prenait le dessus sur eux après le repos."
Il paraît que vous avez fêté la finale jusqu’à 6 h du matin.
"Jusqu’au moment où il n’y avait plus une goutte d’alcool dans le bar de notre hôtel. Le lendemain, l’équipe a été reçue par le roi Baudouin au palais. Vous ne me verrez pas sur les photos : je suis resté encore pendant une semaine à Rome avec ma femme."
Ceulemans et vous étiez repris dans l’équipe de l’Euro 1980 et vous avez terminé quatrième au Ballon d’or.
"Vraiment ? C’est la première fois que j’entends parler de cela. Pourtant, je lis au moins deux journaux par jour. Rummenigge avait gagné le Ballon d’or ? C’est logique."
Aucun Belge n’a fait mieux depuis lors. Hazard a terminé huitième en 2018.
"Oui, mais Eden Hazard est meilleur que moi ! Il est d’une autre catégorie que Van Moer. Même s’il n’a jamais joué au Standard - mon club -, j’ose dire que j’adore ce joueur."
Van Moer aurait eu sa place dans l’équipe actuelle ?
"Comparer les générations est très difficile. Mais j’étais déjà un joueur moderne pour mon époque. J’allais chercher le ballon en défense, je construisais le jeu, j’avais une bonne passe dans les pieds et je faisais mon travail défensif."
La grande différence : leur compte en banque.
"Cela ne me dérange pas. J’ai bien gagné ma vie… avec mon café et un peu avec le foot. J’ai eu une plus belle vie que les footballeurs actuels. Quand on voit le peu de liberté qu’ils ont, et les règles qu’ils doivent respecter…"
L’équipe actuelle n’a pas encore atteint de finale.
"C’est le moment ou jamais à l’Euro en 2021 et au Mondial 2022. Ils ont les qualités pour être champions du monde. Mais, après cela, la défense deviendra plus âgée, et il faudra reconstruire."
Quelle était la meilleure équipe : celle de 1980 ou celle de 2020 ?
"Celle de maintenant. Mais, quand Jan Ceulemans passe à Hasselt pour boire une chope, il me dit souvent : ‘Wilfried, ce qu’on a réalisé en Italie en 1980, cela dépasse la demi-finale du Mondial 1986 au Mexique. C’était un exploit.’ Tu as raison, Caje."
“Le Standard au milieu du classement, c’est possible”
Van Moer va encore toujours au Standard : “J’ai raté neuf buts en partant à la 85e.”
En huit saisons au Standard, Van Moer a remporté trois titres consécutifs. Son amour de Sclessin n’a pas disparu. “Je vais voir tous les matchs à domicile”, dit le triple vainqueur du Soulier d’or, qui a débuté à 16 ans en tant qu’attaquant de Beveren. “La saison prochaine, je n’irai que si le coronavirus ne nous pourrit plus la vie. Je fais partie du groupe à risques, je ne vais pas mettre ma santé en danger.”
Van Moer a une place dans la tribune d’honneur à Sclessin. “Je pars toujours vers la 85e minute pour éviter les embouteillages. Quand je me lève, les gens crient :
‘Van Moer, on va encore marquer !’
Je leur réponds toujours : ‘Tant mieux !’
Et vous savez quoi ? Ils ont souvent raison ! Cette saison, cela s’est produit neuf fois, toutes compétitions confondues. Vous pouvez vérifier dans vos statistiques. Alors, je regarde les buts à la télé, quand je suis de retour au Limbourg.”
Van Moer a suivi de près la saga Preud’homme et les autres soucis du club. “C’est dommage que Michel arrête comme coach. Et les problèmes financiers du club ne facilitent pas les choses. J’espère qu’ils pourront garder leurs meilleurs joueurs. Si on en perd deux ou trois, je crains qu’on doive se contenter d’une place au milieu du classement.”
Il n’a pas envoyé de message à Preud’homme. “Non, mais, quand on se voit, on parle toujours un peu. On se reverra plus souvent à la réception avant le match, où on papote entre anciens comme Gerets, Semmeling et Piot.”
GROUPE B
12/06/1980 Belgique - Angleterre 1-1 : 26e Wilkins (0-1), 29e Ceulemans (1-1)
15/06/1980 Belgique - Espagne 2-1 : 17e Gerets (1-0), 36e Quini (1-1), 65e Cools (2-1)
18/06/1980 Italie - Belgique 0-0
Classement : 1. Belgique 4 pts ; 2. Italie 4 ; 3. Angleterre 3 ; 4. Espagne 1.
FINALE
22/06/1980 RFA - Belgique 2-1 : 10e Hrubesch (1-0), 75e Vandereycken sur pen. (1-1), 88e Hrubesch (2-1).