On a rencontré le seul joueur belge du championnat irlandais: "Je suis passé de la D7 anglaise à la Coupe d’Europe en deux ans"
Tunde Owolabi est le seul footballeur belge dans le championnat irlandais, au bout d’un parcours étonnant où se mêlent l’Antwerp, le frère de Ryan Giggs, un boulot de nuit et même les stars du PSG.
Publié le 25-03-2022 à 14h39
:focal(591.5x453.5:601.5x443.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/ULG46JOLQNFLHG2IASA2M6KPYQ.jpg)
Onze Diables de la sélection n’étaient pas nés lors du dernier voyage des Belges à Dublin, en octobre 1997, pour le barrage de qualification à la Coupe du monde. S’ils cherchent un guide dans la capitale irlandaise, ils peuvent contacter l’unique footballeur belge du championnat local : Tunde Owolabi (26 ans) est l’attaquant de St-Patrick’s Athletic, l’un des clubs du top. Si vous ne le connaissez pas, c’est normal. Il a quitté notre Royaume il y a dix ans et il n’a jamais joué en équipe première chez nous. Mais son parcours pour grimper jusqu’au professionnalisme à l’âge de 25 ans vaut le détour.
On fait l’interview dans quelle langue, Tunde ?
"En anglais SVP (rires) ! Mon néerlandais n’est plus très bon. J’ai quitté Anvers pour l’Angleterre en 2012 et je n’ai plus vraiment de raison de parler cette langue. Et je n’ai jamais appris le français vu que ma famille est nigériane. Je suis d’ailleurs né là-bas avant d’arriver en Belgique pour la carrière de mon papa quand j’avais un an."
Votre papa, Ganiyu Owolabi, a été l’un des chouchous du public à l’Antwerp pendant cinq ans.
"Oui, il était attaquant entre 1995 et 2000 là-bas. C’était l’époque des Svilar, Severeyns, Smidts, Fatokun, Pivaljevic… Ensuite, il a encore joué à Dender et à Berchem."
Vous êtes né au Nigéria et vous vivez loin de la Belgique depuis dix ans. Vous vous sentez Belge quand même ?
"Oui, je me sens Belge et Nigérian. Ma dernière visite en Belgique, c’était il y a quatre ou cinq ans. Mais j’y ai quand même vécu jusqu’à mes 17 ans. Ça fait partie de moi."
Contrairement à votre papa, vous n’avez jamais joué à l’Antwerp chez les jeunes.
"Mais j’ai fait un test au… Germinal Beerschot quand j’avais 15 ans (rires). C’était la première fois que j’essayais de m’inscrire dans un club. Je n’avais jamais pris ce sport au sérieux avant ça. J’ai compris que c’était mieux d’aller dans un plus petit club que le Beerschot. Je me suis affilié à Cappellen l’année d’après."
Puis vous décidez de partir en Angleterre au bout d’un an.
"La carrière de mon père était terminée et toute la famille était partie s’installer à Manchester. J’ai suivi et j’ai commencé tout en bas de l’échelle. Je jouais dans la Sunday League (NdlR : l’équivalent de l’ABSSA). J’allais au collège en même temps. Je jouais dans l’équipe de l’école et notre coach jouait au FC United of Manchester. J’ai obtenu un essai là-bas avec la réserve. L’entraîneur était Rhodri Giggs, le frère de Ryan. Mais je n’ai pas eu ma chance avec l’équipe première et je suis parti."

Avant d’évoquer la suite de votre parcours, parlez-nous du FC United of Manchester, un club très particulier en Angleterre.
"C’est un club créé en 2005 par des supporters déçus de Manchester United. Ils en avaient assez de la manière dont le club était géré par la famille Glazer et ils ont fondé leur propre club, avec les mêmes couleurs mais une philosophie tournée vers les fans. C’est super parce qu’il y a une grosse adhésion de la communauté. En Division 7, on jouait devant 2 000 personnes, même à l’extérieur. Tu avais en fait toujours l’impression d’évoluer à domicile."
Vous avez commencé dans le football d’adultes en "Non-League", tout ce qui se trouve en dessous de la D6 anglaise. Comment ça se passe ?
"J’ai dû apprendre à manger (rires). J’ai commencé au New Mills AFC en Division 9. Si tu n’as pas de muscles, tu voles dans chaque duel quand tu es attaquant. J’étais rapide mais je manquais de puissance. Heureusement que la cuisine nigériane de ma maman m’a aidé à prendre de l’épaisseur (rires). On perdait quasi tous les matchs et c’était dur de sortir du lot. J’ai pu compter sur mon papa qui m’a aidé. Lui aussi était attaquant et il m’a appris des trucs. J’ai enchaîné plusieurs clubs sans vraiment briller. J’étudiais le business management à l’université en même temps. Puis tout change lors de la saison 2018-2019 au Radcliffe FC. Je marque 22 buts sur la saison. Le coach adjoint était Franck Sinclair, un ancien défenseur de Chelsea. Il m’a bien aidé."
Et là, vous signez à… Malte.
"Oui, une grosse erreur. J’ai eu l’opportunité de signer au Victoria Hotspurs, en D1 maltaise. J’ai fait la préparation mais je suis rentré. Je n’aimais pas le pays, ni le foot pratiqué. Mais ça a finalement été une bonne chose. Je suis retourné au FC United of Manchester et je suis arrivé en très bonne condition après avoir bossé tout l’été sous la chaleur de Malte. J’ai fait ma meilleure saison : 32 buts toutes compétitions confondues. Et encore, j’aurais marqué plus si la saison n’avait pas été interrompue par le Covid. C’était en Division 7 et ça a suscité beaucoup d’intérêt. J’avais des contacts avec des clubs de League Two (D4) et même League One (D3). Puis Hamilton, club de l’élite écossaise, m’a proposé de venir. J’étais choqué. Je passais du statut de semi-pro à la possibilité d’affronter les Celtic et les Rangers. C’était mon premier contrat professionnel, à 25 ans."
Vous n’arriviez pas à vivre du football avant ?
"J’avais besoin de travailler. Mes parents m’ont aidé mais, à un moment, je n’ai plus voulu dépendre d’eux. J’ai commencé à travailler au Radisson Blu de Manchester, près de Piccadilly. Je bossais la nuit, en général. Les horaires en journée étaient laissés à ceux qui avaient des enfants. Des équipes de foot venaient souvent en mise au vert là-bas. Un jour, c’est le PSG qui est venu, à l’époque de Tuchel. Mbappé, Neymar, Di Maria et tous les autres devant moi. J’avais très envie de faire des photos mais la direction de l’hôtel ne donnait pas la permission d’embêter les clients. Celui qui m’a le plus impressionné, c’était Buffon. Oh my god, il est gigantesque (rires) ! En voyant ça, je me suis dit que j’avais très envie de bosser dur pour un jour arriver à un niveau pro. C’est bête mais je rêvais d’être en mise au vert avec mon club de foot, comme eux. J’ai fait beaucoup de musculation et de séances supplémentaires pour y parvenir. Voir les gars du PSG m’a motivé encore plus à réussir."

Vous avez eu des mises au vert à Hamilton ?
"Oui, c’était génial (rires). Mais je ne suis resté que six mois en Écosse. Le rythme était beaucoup plus rapide. J’avais besoin de temps pour m’adapter en arrivant de D7 anglaise mais on ne me l’a pas laissé. C’était pendant le confinement en plus. J’étais seul là-bas et je me sentais perdu. En janvier, je suis parti dans le championnat irlandais, à Finn Harps. Un club de bas de tableau mais en D1 quand même. Je restais pro et j’ai fait une bonne saison 2021 (NdlR : le championnat se joue sur l’année civile, comme dans les pays scandinaves). J’ai mis un hat-trick contre St-Patrick’s et ils m’ont engagé pour cette année (sourire). Ils avaient fini deuxièmes."
Et cet été, vous allez donc jouer les préliminaires de la Conference League avec St-Patrick’s.
"Oui, incroyable. Je vais jouer la Coupe d’Europe. Qui l’aurait cru quand j’étais un semi-pro qui rêvait de haut niveau ? Il y a deux ans, j’étais encore en D7 anglaise. Mes journées étaient très longues entre le boulot de nuit et les entraînements. J’avais à peine le temps de manger parfois. Je serais peut-être mort de faim si les McDo n’avaient pas été ouverts 24 heures sur 24 (rires)."

Et vous pourriez affronter l’Antwerp dans ces préliminaires européens.
"Oui, j’y ai pensé. Ce serait génial d’affronter le club de mon papa, dans le pays de ma jeunesse. Peut-être que je pourrais être repéré par un club belge ?"
Vous allez supporter l’Irlande ou la Belgique samedi ?
"Les Diables, évidemment ! J’adore cette équipe. Romelu Lukaku est un magnifique attaquant mais je dois dire que mon chouchou est Eden Hazard (NdlR: ils ne sont pas repris). Son passage au Real est catastrophique mais quel joueur il était à Chelsea. Pfiou, scary bro !"